Monsieur le Président,
Monsieur le Premier Ministre,
Mes cher(e)s collègues,
Le premier des motifs d’irrecevabilité pour le parlement est le mépris que lui manifeste le gouvernement.
Le projet dont nous sommes saisis, Messieurs les Ministres, est mal nommé. Il est question de prévention dans le titre, et dans le texte de répression.
Nous savons très bien que pour certains, il n’est de prévention que sanction, mais alors, comment accepter que le gouvernement qui n’a eu de cesse depuis 2002, de faire voter par sa majorité, des législations répressives, ait beaucoup de mal à nous en faire mesurer les effets réels, mais pire, argue de l’aggravation de la violence pour demander au parlement d’aggraver encore les sanctions. Spirale infernale !
Vous avez voté, MM. de la majorité, six textes - plus de 1 par an - qui, les uns après les autres, étendent le champ des infractions, augmentent le quantum des peines, abaissent la majorité pénale, stigmatisent des catégories de population, accroissent les pouvoirs de police et rabaissent les garanties de la défense !
Sans qu’aucune évaluation sérieuse, avec le recul nécessaire et pour cause, de l’application de ces lois, ne soit présentée au parlement, vous nous en soumettez un 7ème texte.
Celui-ci, il faut le dire, a été annoncé depuis trois ans par le Ministre de l’Intérieur, avec « le pavé » du dépistage précoce des comportements pré-délinquants dès l’âge de trois ans !!
Cette disposition qui a soulevé une émotion légitime exprimée par 200.000 professionnels et citoyens, a été retirée du projet, mais le Ministre de l’Intérieur ne manque pas une occasion de manifester son adhésion à des thèses déterministes particulièrement prisées aux USA et apparemment, en Grande-Bretagne, puisque T. BLAIR a préconisé le contrôle social obligatoire des futures mères adolescentes !
Certes, nous savons combien ce texte, après les précédents, au moment où il nous est soumis, participe de l’affichage électoral, mais il recèle des dispositions particulièrement dangereuses, mettant en cause ce qui a fondé les politiques de prévention menées depuis des années par tous les acteurs sociaux.
Pour le Ministre de l’Intérieur qui nous a présenté le texte en commission, prévention, travail social, justice des mineurs, cela ne marche pas !
Qu’est-ce qui ne marche pas ? Pourquoi ? Les élus n’en sauront rien et surtout, ne sauront rien de la misère des moyens publics au regard précisément des énormes besoins.
M. les Ministres, les équations désespérance sociale - délinquance et prévention - sanction sont difficiles à manier. Vous le faites de la pire des façons.
J’ajoute dans la même rubrique que le gouvernement devant nous soumettre - si nous sommes bien informés - un projet de réforme de la justice, nous ne pouvons accepter de débattre maintenant d’une réforme de la justice des mineurs, dans ce projet du Ministre de l’Intérieur, qui traite de tout, pêle-mêle, santé, protection sociale, collectivités territoriales, justice - à l’exception de la police !
Le deuxième motif d’irrecevabilité réside dans le contenu précis du texte dont des dispositions heurtent des principes fondamentaux de notre droit.
La CNCDH, consultée en 202 sur ce projet de sécurité intérieure, soulignait que « l’inflation des règles encadrant l’exercice des libertés publiques et parfois même la vie privée des individus, suscite l’inquiétude de notre société démocratique ».
Le présent projet de loi ne fait qu’en rajouter.
J’en veux pour preuve la multiplication inquiétante des fichiers, d’autant plus inquiétante que ne cesse de croître aussi le nombre des personnes habilitées à les consulter.
De plus, il n’y a pas si longtemps, la CNIL faisait état de très nombreuses erreurs contenues dans le STIC, erreurs non corrigées, et de leurs conséquences pour les personnes ; des agents de sécurité ont par exemple été licenciés sur la base de données erronées !
Le dispositif, instauré par l’article 6, selon lequel le Conseil pour les droits et devoirs des familles pourra disposer d’informations individuelles illustre mon propos.
Aucune garantie n’est apportée ni sur l’origine des informations qui seraient utilisées pour procéder à ce signalement, ni sur les critères le déclenchant, ni sur les modalités de transmission et de traitement des informations et leur nécessaire confidentialité.
D’ailleurs, ces informations pourraient être communiquées à des tiers concernés, tiers qui ne sont nullement et explicitement définis par l’article 6.
Je prendrai aussi l’exemple du traitement national des personnes hospitalisées d’office, instauré par l’article 19.
La CNIL relève ainsi que la mention de « l’autorité judiciaire » comme destinataire des informations enregistrées dans le fichier national apparaît en l’état trop générale au regard de la finalité du fichier indiquée par le projet de loi qui est « d’améliorer le suivi et l’instruction des mesures d’hospitalisations d’office ».
En outre, la mention de l’autorité judiciaire au titre des destinataires de données du fichier national des personnes hospitalisées d’office, qui a été envisagée dans le projet de loi afin de permettre aux magistrats d’assurer un contrôle de la responsabilité pénale des personnes mises en cause dans le cadre de procédures judiciaires, relève, du fait de son caractère ponctuel et limité, de la définition du tiers autorisé à accéder aux données enregistrées dans un traitement et non de celle de destinataire permanent des données, dont l’application serait en l’espèce disproportionnée.
De façon générale, la multiplication des fichiers telle qu’elle est prévue dans ce texte, apparaît manifestement disproportionnée eu égard à leur finalité et au danger que cela emporte pour les personnes concernées.
C’est d’ailleurs ce que relève la CNIL dans sa délibération du 13 juin. Les dispositions de l’article 5 qui autorisent le maire à obtenir communication de l’ensemble des données relatives aux difficultés sociales de ses administrés ont été jugées disproportionnées par la CNIL.
En effet, je la cite, « si le maire a vocation à connaître, de façon ponctuelle, de données sur les personnes sollicitant des aides sociales facultatives qui relèvent traditionnellement de ses compétences, il ne devrait pas être rendu systématiquement destinataire des informations que les professionnels de l’action sociale sont conduits à recueillir auprès des personnes et des familles en difficulté. »
Il en est de même concernant l’article 6 et le Conseil pour les droits et devoirs des familles. La CNIL souligne que « dans la mesure où des informations individuelles sensibles, relevant de l’intimité de la vie privée des familles, seraient ainsi recueillies, traitées et conservées, il appartient au législateur, pour assurer le respect du principe de proportionnalité, de définir précisément les garanties qui devraient être apportées afin qu’un tel dispositif d’accompagnement soit mis en place dans le respect des droits des personnes et en particulier de leur droit au respect de leur vie privée. »
Ces dispositions qui viennent s’ajouter, se superposer aux moyens de contrôle des individus considérés comme a priori suspects, prévus dans les lois précédentes -caméras vidéo, contrôle d’identité, fouille- organisent peu à peu l’Etat Léviathan comme alternative libérale à l’Etat Providence. Elle portent atteinte aux libertés individuelles et plus particulièrement au respect de la vie privée tels qu’ils ressortent de nos principes constitutionnels.
Mais ce ne sont pas les seuls principes constitutionnels remis en cause dans ce texte.
Les dispositions qui accordent au maire un rôle central en matière sociale mais aussi en matière de prévention de la délinquance posent d’autres problèmes quant à leur constitutionnalité.
L’égalité de traitement des citoyens sur l’ensemble du territoire est tout d’abord menacée.
Le maire disposera de multiples compétences, qui s’entremêlent d’ailleurs avec celles des conseils généraux, et dont la mise en œuvre entraînera nécessairement des disparités. Les réponses aux problèmes rencontrés par le maire seront donc différentes d’une commune à l’autre.
Cela dépendra également des moyens dont dispose la commune et de la politique que le maire souhaite impulser dans sa commune. Le maire est un élu qui agira, quoi que l’on en dise, en fonction de son électorat et des moyens dont il dispose.
De plus, le projet de loi instaure aussi une inégalité de traitement entre les communes, puisque celles de plus de 10 000 habitants auront l’obligation de créer un Conseil pour les droits et devoirs des familles.
Il y a véritablement confusion institutionnelle.
L’article 8, en reconnaissant au maire la possibilité de procéder à des rappels à l’ordre pour sanctionner des comportements ne constituant pas des infractions pénales mais des atteintes « au bon ordre, à la sûreté, à la sécurité ou à la salubrité publique », fait naître la confusion entre le pouvoir exécutif et l’autorité judiciaire.
Cette confusion des rôles est contraire à la séparation des pouvoirs consacrés par la Constitution et j’ajoute à votre propre définition des domaines régaliens et à votre propre loi de décentralisation.
Je vous rappelle en outre la recommandation du Comité des Nations-Unies sur les droits des enfants, reprise par le Conseil Constitutionnel en 2002, qui prône le traitement des affaires concernant des mineurs par des instances spécialisées.
J’en viens maintenant à la réforme de l’ordonnance de 1945. Je tiens tout d’abord à faire part de mon étonnement devant l’intégration, dans un projet de loi piloté par le Ministère de l’intérieur, de dispositions concernant la justice des mineurs en dehors de tout débat de fond, comme le préconise l’Association Française des Magistrats de la Jeunesse et de la Famille (AFMJF) sur la responsabilité des jeunes délinquants, mais aussi sur celle des adultes à leur égard et sur la prise en charge des jeunes en difficulté.
Quant aux modifications apportées par le texte à l’ordonnance de 1945, elles poursuivent l’alignement du traitement des mineurs sur celui des majeurs, déjà largement engagé avec la loi sur la récidive et la création d’un fichier des infractions sexuelles.
Marteler que les mineurs délinquants de 2006 ne sont pas ceux de 1945 s’apparente à des propos de « comptoir ». C’est tout à la fois ignorer que la délinquance juvénile était importante en 1945, c’est faire comme si l’ordonnance de 45 n’avait pas bougé, alors qu’elle a été modifiée 20 fois depuis ; c’est dire des évidences, à savoir que la délinquance a effectivement évolué, comme la société, comme le monde, les medias, la violence..., c’est surtout, occulter l’essentiel, qui fonde la spécificité de la justice des mineurs, à savoir qu’un mineur n’est pas un adulte !
La spécificité de la justice des mineurs est l’un des principes fondamentaux de notre droit pénal, d’ailleurs consacré par le Conseil Constitutionnel dans sa décision du 11 août 1993.
Ce principe est également inscrit dans les textes internationaux ratifiés par la France.
L’article 14, alinéa 4, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques dispose que « la procédure applicable aux jeunes gens qui ne sont pas encore majeurs au regard de la loi pénale tiendra compte de leur âge et de l’intérêt que présente leur rééducation ».
De même, la Convention internationale des droits de l’enfant, dans son article 40 alinéa 3, invite les Etats parties à « promouvoir l’adoption de lois, de procédures, la mise en place d’autorités et d’institutions spécialement conçues pour les enfants suspectés, accusés ou convaincus d’infraction à la loi pénale ».
En 2002, nous dénoncions déjà le rapprochement qui existerait entre la procédure de comparution immédiate pour les majeurs et la procédure de jugement à délai rapproché pour les mineurs. Aujourd’hui, cette procédure, renommée « présentation immédiate devant le juge des enfants aux fins de jugement » aggrave la situation. Elle devient une quasi comparution immédiate pour les mineurs.
Les amendements proposés par la commission, tendant à la nommer « présentation immédiate devant le tribunal pour enfants » et à ne la permettre que si des investigations sur la personnalité du mineur ont déjà été conduites à l’occasion d’une procédure antérieure de moins d’un an au lieu de 18 mois, ne changent rien sur le fond, ni en termes de délai de comparution, ni en termes de droits de la défense garantis au mineur.
En effet, cette procédure porte atteinte au principe d’égalité puisque des mêmes faits pourraient être jugés selon les cas par une juridiction collégiale ou par un juge unique.
Elle porte gravement atteinte à l’ordonnance de 1945, dont les principes ont, je le disais, valeur constitutionnelle, puisqu’elle aboutira à instaurer un régime procédural plus sévère pour les mineurs que pour les majeurs, -je me permets ici de reprendre les termes employés par la Chancellerie- en créant pour les premiers une comparution immédiate à juge unique alors qu’elle n’existe pas pour les seconds.
Le gouvernement ne pourra pas, par conséquent, nous reprocher de parler de comparution immédiate pour les mineurs : ce sont tout simplement les termes utilisés par la Chancellerie !
Enfin, elle ne garantit pas aux mineurs le respect des droits de la défense étant donnée la quasi absence de délai avant la comparution devant le juge des enfants.
Les droits de la défense, tout autant que la spécificité de la justice des mineurs, sont également gravement remis en cause par l’extension aux mineurs de la composition pénale.
Je rappelle qu’avant 16 ans, on n’a pas la possibilité de contracter. Comment justifier, donc, que le plaider-coupable vaille pour les moins de 16 ans ?
Aucune garantie n’est prévue dans le cadre de cette procédure pour assurer la prise en compte de l’état de minorité du jeune mis en cause.
J’ajoute que la pénalisation systématique des comportements, en l’espèce des mineurs, est contraire aux textes internationaux -la convention internationale des droits de l’enfant, toujours dans son article 40, préconise de « prendre des mesures, chaque fois que cela est possible et souhaitable, pour traiter ces enfants sans recourir à la procédure judiciaire, étant cependant entendu que les droits de l’homme et les garanties légales doivent être pleinement respectés ».
A l’évidence, les fondements mêmes de l’ordonnance de 45 que sont la complémentarité entre l’assistance éducative et le pénal sont dévoyées. Les mesures dites éducatives comme la réparation, deviennent des modalités de sanction pénale.
Plusieurs autres dispositions de ce projet n’ont pas manqué de soulever des questions quant au respect des libertés individuelles ou tout simplement de la dignité des personnes.
L’article 16 qui, en dispensant le médecin de l’accord de la victime pour le signalement de violences conjugales font des femmes des incapables majeures et - entre parenthèses - est totalement contre-productif pour qui connaît un tant soit peu la problématique des violences conjugales.
Les articles 20 à 23 renforcent le pouvoir administratif en matière d’hospitalisation psychiatrique en rapprochant la procédure d’hospitalisation obligatoire de la procédure d’urgence et élargissent le champ de l’HO, ce qui ne peut que restreindre les garanties de la personne.
L’article 28 relatif au dépistage de la toxicomanie dans les lieux à usage professionnel, notamment le paragraphe III autorisant l’entrée de la police dans ces lieux n’est pas suffisamment encadré pour respecter les libertés individuelles et le droit du travail.
Je citerai encore les articles 45 à 51, dits dispositions diverses qui, sous couvert de sécurité, poursuivent la volonté du gouvernement de criminaliser l’action syndicale, comme de porter atteinte au droit de grève. Il n’est que de citer la création d’un « délit d’occupation des infrastructures de transport, quel que soit son type ».
Le temps me manque, mais les quelques questions que j’ai évoquées me paraissent largement justifier l’irrecevabilité de ce texte pour méconnaissance des principes fondamentaux de notre Constitution en matière de libertés individuelles et de garantie des droits de la personne.
Je voudrais rappeler ici, pour nos collègues, que notre assemblée a produit un long rapport sur la délinquance des mineurs en 2002. Mon groupe avait émis des réserves à l’époque sur un certain nombre de conclusions de ce rapport, notamment concernant l’abaissement de la majorité pénale et l’enfermement des mineurs.
Mais, et nous l’avions souligné, ce rapport comptait de nombreux éléments positifs quant à l’appréciation de la situation et les recommandations en terme d’action sociale, d’éducation et de moyens.
Depuis 2002, le gouvernement a ignoré toute préconisation dans ces trois domaines. Il n’en a retenu que les mesures répressives dans les différents textes votés depuis. Le projet soumis aujourd’hui en est une illustration encore plus cynique.