Près de 400 000 normes s’imposent à nos collectivités

Simplification des normes applicables aux collectivités territoriales

Publié le 24 octobre 2012 à 18:20 Mise à jour le 8 avril 2015

Monsieur le président, mesdames les ministres, mes chers collègues, depuis de nombreuses années, le flot des critiques gonfle pour dénoncer les conséquences de la prolifération normative et de l’insécurité juridique qui en résulte de facto.

Les précédents orateurs l’ont rappelé, les états généraux de la démocratie territoriale ont fourni l’occasion aux élus locaux d’exprimer leur exaspération sur ce point.

Leurs critiques ont été rudes : aujourd’hui, ce n’est pas moins de 400 000 normes qui s’imposent à nos collectivités, du fait des législations nationale et communautaire. Ces législations imposent trop souvent des obligations supplémentaires aux collectivités territoriales, tout en engendrant fréquemment autant de coûts et d’allongements des délais de procédure auxquels il est difficile de faire face.

Le but affiché de la présente proposition de loi est de dresser le bilan de l’inflation législative sur l’action des politiques locales et de tenter d’y remédier.

Nous ne pouvons évidemment que partager cet objectif, tant les difficultés rencontrées quotidiennement par les élus locaux sont réelles : nombreux sont ceux d’entre eux qui nous l’ont rappelé au cours de la campagne des élections sénatoriales, et régulièrement depuis lors. Néanmoins, concernant certaines solutions proposées, notre approbation sera plus mesurée.

Compte tenu du peu de temps qui m’est imparti, je me contenterai de citer quelques articles.

Je songe, par exemple, à l’article 18. Dans le texte initial, il supprimait simplement l’obligation pour les communes de disposer de centres communaux d’action sociale, les CCAS.

Finalement, après discussion, la commission a fixé un seuil de 1 500 habitants, au-delà duquel la création d’un CCAS est obligatoire. En deçà de ce seuil, le CCAS peut être créé ou dissout.

M. Éric Doligé. Mais ces centres n’existent pas dans les petites communes !

Mme Cécile Cukierman. Pas moins de 29 977 communes sur 36 784 seraient concernées par cette disposition.

M. Éric Doligé. Pas du tout !

M. Jean-Jacques Hyest. C’est ridicule !

Mme Cécile Cukierman. Je formulerai une simple remarque sur ce point : compte tenu de l’extension de la précarité, qui s’accentue de manière dramatique dans notre pays, il est pour le moins dangereux de vouloir se passer des CCAS.

Par ailleurs, faut-il rappeler que les besoins sociaux d’une personne vivant dans une commune de moins de 1 500 habitants sont les mêmes que ceux d’un habitant d’une ville comptant plus de 500 000 résidants ?

M. Éric Doligé. Évidemment !

Mme Cécile Cukierman. L’Union nationale des centres communaux d’action sociale, consultée par notre rapporteur, s’oppose absolument au caractère facultatif de la création de ces centres. Toutefois, consciente des enjeux, notamment financiers, l’UNCASS a engagé avec les cabinets ministériels de tutelle un travail de réflexion qui a abouti à un projet de schémas territoriaux d’action sociale.

M. Éric Doligé. Normal, c’est leur fonds de commerce !

Mme Cécile Cukierman. On ne saurait faire état de fonds de commerce, lorsque l’on parle de la misère des gens !

Ce dispositif sera expérimenté dans certaines zones rurales, afin de permettre de tisser un maillage transversal dans ces territoires.

Des solutions alternatives à la dissolution pure et simple des CCAS sont donc envisageables et doivent être envisagées. Il faut prendre le temps de la réflexion sur ce point. De fait, quelles que soient les intentions, louables sans aucun doute, de notre collègue Éric Doligé, il est évidemment exclu d’ouvrir ainsi la porte à certains élus – aux yeux desquels l’action sociale coûterait trop cher – en leur permettant de se débarrasser à bon compte de leur CCAS.

Ensuite, plusieurs amendements, dont nous discuterons dans la suite de nos débats, tendent à réintroduire pour partie l’article 1er que la commission des lois a supprimé.

Cet article inscrirait dans notre droit positif, le principe de proportionnalité des normes.

L’un des champs d’application de cet article, si l’amendement qui vise à le rétablir était adopté, concernerait sans aucun doute les dérogations possibles aux mesures réglementaires d’application de la loi du 11 février 2005 relative à l’accessibilité des établissements recevant du public.

Même si l’article 1er réaffirme des objectifs législatifs, il est évidemment inacceptable dans son principe : son adoption ne reviendrait qu’à contourner le problème et à créer de nouvelles sources d’inégalités, selon les richesses disponibles au sein des territoires.

Mes chers collègues, sur ce point, il ne faut pas se méprendre : le véritable débat, on le voit, c’est celui des moyens financiers et non celui de la seule simplification des normes.

Si les collectivités sont mises en difficulté, ce n’est parfois pas tant du fait de la prolifération législative – pourtant réelle et considérablement accrue au cours des dernières années – que du désengagement des gouvernements qui, durant la même période, ont peu à peu restreint les soutiens de l’État : suppression de dotations et de subventions, allégements fiscaux bénéficiant aux entreprises, compétences transférées et nouvelles attributions conférées aux collectivités sans les compensations financières exigées. Là réside, à nos yeux, la principale source du problème.

M. Doligé estime que certaines collectivités, notamment les plus petites d’entre elles, ne disposent pas des outils d’ingénierie publique leur permettant d’appliquer les normes nationales. Par ailleurs, il a pu constater que le non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite et la réorganisation des services déconcentrés, dans le cadre de la révision générale des politiques publiques, empêchent ces collectivités, qui ne peuvent financer des services dédiés, de bénéficier de l’ingénierie de l’État. Sur ce point, notre collègue a tout à fait raison.

M. Jean Bizet. Ah !

Mme Cécile Cukierman. Rendons aux collectivités les moyens de faire face aux exigences législatives plutôt que de les autoriser à les contourner !

Vous l’aurez compris, mes chers collègues, si notre groupe souscrit à une clarification rapide de l’arsenal normatif pesant sur les collectivités territoriales, ce n’est qu’à condition de ne pas s’engager dans la voie de la déréglementation ou de la dérégulation, reléguant, entre autres, les objectifs d’accessibilité ou de sécurité, les normes sanitaires ou de protection de l’environnement.

Oui, les normes applicables aux collectivités locales doivent être simplifiées, mais ce travail d’envergure suppose un examen approfondi : pas plus tard que ce matin, nous l’avons observé en commission, en étudiant les différents amendements déposés.

Depuis le 15 février 2012, date à laquelle nous avons renvoyé la présente proposition de loi en commission, trois commissions sénatoriales ont été saisies pour avis et ont remis leur rapport. Toutefois, la commission des lois ne s’est réunie qu’une seule fois pour étudier l’ensemble des rapports et des amendements déposés sur ce texte. Bref, notre commission n’a pas disposé des moyens nécessaires pour évaluer l’ensemble des conséquences de ces décisions.

M. Jean-Jacques Hyest. Si !

Mme Catherine Troendle. Huit mois de travail !

Mme Cécile Cukierman. Le texte issu de ses travaux mérite donc d’être retravaillé par elle, compte tenu de l’enjeu que soulèvent certains articles. Aussi, nous apportons notre soutien au président du Sénat, qui vient de décider de saisir la commission des lois et la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales,…

M. Jean-Jacques Hyest. Pour quoi faire ?

Mme Cécile Cukierman.… afin que ces deux instances puissent présenter au Sénat un texte de loi visant à endiguer le flux normatif auquel les élus locaux sont confrontés.

Mme Catherine Troendle. Mais il y a déjà un texte !

Mme Cécile Cukierman. Dans ces conditions, nous considérons que l’examen du présent texte devrait être mené parallèlement aux travaux de la commission des lois et de la délégation, dans la perspective ouverte par Jean-Pierre Bel.

Nous vous proposerons donc de voter la motion de renvoi à la commission que nous présenterons à l’issue de la discussion générale.

CécileCukierman

Présidente de groupe
Sénatrice de la Loire
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