Organisation décentralisée de la République

Publié le 29 octobre 2002 à 19:22 Mise à jour le 8 avril 2015

par Josiane Mathon-Poinat

Monsieur Le Président,
Monsieur Le Ministre,
Mes cher(e)s collègues.

Quel dommage pour les Français, quelle occasion manquée pour la démocratie que la précipitation avec laquelle le gouvernement soumet à l’approbation du Parlement une réforme de la constitution portant sur des enjeux aussi cruciaux que ceux de la décentralisation.
Depuis maintenant vingt ans, nos concitoyens se sont appropriés cette notion, cette liberté de mieux maîtriser l’administration locale des affaires communes.

Bien qu’il ait fallu du temps et des luttes pour obtenir un outil de justice sociale entre les collectivités, la mise en œuvre de la Dotation de Solidarité Urbaine a permis de faire avancer l’idée que la décentralisation ne signifiait pas la fin de l’égalité entre les citoyens. C’est une bonne chose. La décentralisation a permis à la France d’accomplir de nombreux progrès dans la gestion locale via la responsabilisation des élus locaux. Cela a constitué une avancée pour la démocratie.

Cependant, vingt ans plus tard, une exigence nouvelle s’exprime avec force sur le ton du désenchantement : nos concitoyens se sentent écartés des pouvoirs, des prises de décision les concernant, comme étrangers à leurs propres élus. Pire, les édiles sont assimilés dès l’échelon communal, à une classe politique ; ils sont vécus comme agissant dans une bulle institutionnelle nécessitant une forte volonté politique pour en crever l’écran invisible et retrouver le dialogue, le lien constant entre mandants et mandés.
Monsieur le Ministre, notre organisation des pouvoirs souffre aujourd’hui de ne pas prendre en compte la volonté participative des citoyens.

Alors que l’ensemble des forces politiques de ce pays s’exprime en faveur d’un élan nouveau pour décentraliser les pouvoirs, alors que la majorité de nos concitoyens exprime une profonde insatisfaction sur le fonctionnement de nos institutions, vous escamotez le temps du débat public et foncez vers l’adoption de textes constitutionnels rédigés à l’abri des exigences citoyennes laissant le flou total sur vos intentions quant aux lois organiques qui doivent suivre.
Les Assises des Libertés Locales ressemblent à une opération de communication, mais pas une seule collectivité locale n’aura seulement été sollicitée pour donner son point de vue !

Pourtant je rencontre tous les jours, et nous sommes nombreux sur ces bancs à rencontrer, des élus locaux inquiets de votre précipitation et de l’orientation que vous voulez imposer aux acteurs de la démocratie locale.
Car, et je vais m’efforcer de le démontrer, votre projet a un but, celui, non pas de permettre aux citoyens de participer à l’élaboration des choix qui les concernent, mais d’imposer en France une organisation administrative efficace en terme de mise en concurrence des territoires et des populations.
La lecture attentive du projet de loi appelle donc de la part des sénateurs communistes critiques et propositions alternatives. Nous ne voulons en effet ni du statu quo, ni de votre projet ultra libéral.

L’article 1 de notre constitution a pour objet de définir le sens de notre République. Fruit de longs combats, de luttes sociales et démocratiques, le projet républicain y est exposé dans les grandes lignes. Vous proposez inopportunément d’y adjoindre un principe d’organisation administrative. Cela ne serait pas seulement maladroit, cela constituerait un brouillage de sens. Or, ce qu’attendent les Français c’est de réaffirmer des valeurs solidaires, de participer à un projet collectif clair répondant à leurs besoins. Donner plus de contenu au projet républicain lui conférerait plus de forces, développerait la cohésion sociale de notre organisation politique.
Dès lors, nous favoriserons l’adhésion de nos concitoyens à leurs institutions, nous leur permettrons de s’impliquer mieux encore dans la gestion des affaires communes. Nous ferions œuvre utile pour faire progresser la décentralisation vers la démocratie participative.
Monsieur le Ministre , la décentralisation doit avoir un sens politique !

Celui que nous proposons est de garantir aux citoyens la maîtrise des choix collectifs. Tout ce qui peut être administré à l’échelon le plus proche des lieux de vie doit être dévolu au niveau de gestion correspondant, dans la transparence et l’ouverture à l’intervention de chacun. C’est une question d’efficacité pour satisfaire les besoins de la population.
Cela ne signifie nullement l’abaissement de la Nation, de la représentation nationale. Nous proposons justement de démocratiser le fonctionnement de toutes nos institutions, en commençant par revaloriser le rôle du Parlement.
Pourquoi ne pas profiter de cette révision constitutionnelle pour enfin accorder aux résidents étrangers non communautaires, le droit de vote et d’éligibilité ? Même dans vos rangs, des voix s’élèvent pour le souhaiter !

Pourquoi ne pas reconnaître dans notre constitution l’existence des Etablissements Publics de Coopération Intercommunale dont la réalité sans cesse grandissante nécessiterait de ne plus éluder le débat sur la transparence de leur gestion, mais aussi, sur la modalité de désignation de leurs élus ?
Notre constitution doit reconnaître le droit des citoyens à intervenir dans la gestion directe de leurs affaires. Le principe de la République d’un "gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple" doit être confirmé et prolongé par l’invention du droit garanti à l’ensemble des citoyens de participer en liaison avec leurs élus aux débats et aux choix régissant le bien commun.
Les transferts de compétence de l’Etat vers les collectivités territoriales sont dans un grand nombre de domaines, largement profitables. Les Français en ont fait l’expérience en matière d’équipement scolaire, de gestion du réseau routier, d’action sociale…
Confier aux échelons les plus en rapport avec les bassins de vie des responsabilités de gestion est nécessaire pour répondre mieux aux besoins des populations. Cela n’implique nullement une rupture d’égalité de traitement. Pourtant votre projet propose aux collectivités territoriales d’expérimenter ce que bon leur semblera.

Vous préparez ainsi une décentralisation à la carte, foulant du pied les principes d’unité et d’égalité ! Votre projet ouvre grand la porte à la montée des inégalités. Nous devons prendre garde à ce que ce vaste chantier de la décentralisation ne conduise pas à défaire notre pays de ses traits originaux : les services publics, la fonction publique d’Etat ou territoriale, n’ont pas vocation à disparaître au gré du bon vouloir de telle ou telle collectivité territoriale.
Décentraliser, démocratiser la gestion des services rendus au public est nécessaire. Cela doit s’accompagner de la garantie constitutionnelle de leur existence, de leurs missions.
Les personnels de l’Education Nationale vous ont interpellé à ce propos, Monsieur le Ministre. Avec eux nous disons que l’accès à l’Education mais aussi à la santé ou à la formation professionnelle ne saurait être inégal en France.
L’article 6 tel que rédigé dans votre texte permettrait qu’une loi organique décide de la fin de l’égalité devant l’impôt, sous prétexte de donner aux collectivités des ressources propres prépondérantes !

Car s’il doit appartenir aux collectivités territoriales de décider d’une politique fiscale, si des ressources propres doivent leur être garanties, cela doit se faire dans un cadre national, fixant l’assiette et une échelle de taux.
Toutes les cartes ne sont pas sur la table, puisque vous admettez nécessaire une réforme fiscale tout en vous gardant de nous présenter vos propositions en la matière.
Et pourtant, qui n’entend déjà le Medef exiger des collectivités "le moins disant fiscal", c’est à dire exerçant une pression sur les élus locaux les poussant au dumping fiscal.
Monsieur le Ministre, vous préparez la mise en concurrence des régions et des territoires, alors que d’autres pistes sont possibles, porteuses de dynamisme pour le développement local et de solidarité face aux inégalités.
Ma collègue et amie, la Sénatrice Marie-France BEAUFILS, aura à cœur de développer le point de vue des sénateurs communistes sur les finances des collectivités locales.
D’autant que les mécanismes de péréquation financiers évoqués dans votre texte sont vagues et flous. L’expérience nous a appris que les transferts de compétences ne sont jamais réellement suivis des transferts des charges correspondantes. La gestion au plus près du terrain amène à mieux répondre aux besoins. Entendez que les dépenses s’envolent quand le transfert budgétaire est à niveau constant.

Même les outils les plus justes que sont la Dotation de Solidarité Urbaine ou Rurale ne prennent pas en compte la réalité des collectivités locales. Car pour viser l’égalité il est nécessaire de considérer les ressources de chaque collectivité mais aussi les dépenses nécessaires au bien être de la population. Cela signifie que la décentralisation ne doit pas être une technique de défaussement des responsabilités et obligations de l’Etat vers les collectivités.
Cela implique une vision d’un Etat assurant la solidarité et l’égalité entre tous les citoyens, entre tous les territoires de la République quelles que soient leurs spécificités. Cette vision de l’Etat est la condition même que les spécificités territoriales soient reconnues, valorisées et puissent s’exprimer.
Nous sommes favorables à ce que des coopérations puissent se nouer entre les collectivités pour mener à bien des projets communs.

Nous souhaitons réaffirmer que la commune est la première entité démocratique, de par sa proximité avec les citoyens. Nous observons que les Conseils Généraux prennent en charge des compétences accrues à la charnière des possibilités entre l’ espace communal ou inter-communal et l’espace régional. Nous sommes favorables à la reconnaissance constitutionnelle de la région.
Hélas votre texte constitutionnel permettrait que l’une ou l’autre disparaisse sans qu’ on y prête attention, pour se retrouver avec des institutions locales à géométrie variable !

La rédaction de l’article 4 du texte qui nous est soumis doit bannir la prééminence hiérarchique d’une collectivité par rapport à l’autre. Au delà, il est vital de pouvoir identifier qui fait quoi. Je redis que votre projet permettra surtout de rajouter du flou puisque chaque collectivité territoriale pourra déroger aux lois ou règlements régissant leurs compétences.
Finalement, et cela constitue un paradoxe bien étrange, l’Etat garde la main en permanence, déléguant aux collectivités territoriales la mise en œuvre des choix qu’il continue d’opérer. Il en est ainsi de la généralisation ou non des expérimentations des compétences décentralisées.

Le contenu de l’article 3 de votre projet de loi mérite un autre traitement. Nous touchons là à la réforme du Sénat. Alors qu’un groupe de travail pluraliste et contradictoire a planché sur le sujet l’an dernier, ouvrant un débat sur l’avenir de notre institution, vous l’escamotez en le diluant point par point. Il n’est pas question de voir le Sénat s’arroger des prérogatives de la sorte.
La commission des lois entend proposer un amendement aggravant cette dérive, revenant même sur la primauté de l’Assemblée Nationale dans le jeu de la représentation nationale. Cette méthode est irrespectueuse du peuple qui, selon notre Constitution, indique via l’élection des députés, l’orientation politique qu’il assigne à la conduite des affaires du pays.
La réforme de notre constitution est d’abord l’affaire de notre peuple. Le 21 avril dernier a été un choc terrible pour la démocratie, révélateur de l’ampleur de la crise frappant nos institutions.

Une bonne méthode aurait été d’ouvrir avec les français et les françaises ce débat essentiel.
Il n’est pas trop tard, Monsieur le Ministre. Ouvrez les portes de vos assises si médiatisées. Consultez les Conseil régionaux, les Conseils Généraux. Demandez aux Conseils Municipaux leurs contribution. Proposez aux citoyens, à leurs si nombreuses associations, des lieux et des moyens pour participer à ce débat.

Et en dernier ressort, reconnaissez au peuple souverain le droit de décider par référendum des institutions dont il souhaite se doter.

Marie-France Beaufils.
Monsieur le Président,
Monsieur le Ministre,
Mes cher(e)s collègues,

La décentralisation mise en œuvre en 1982 a montré qu’en rapprochant les lieux de décisions des populations concernées, celles-ci étaient mieux entendues. C’est le cas pour les lycées et les collèges.
Cette décentralisation s’est effectuée avec un transfert de ressources équivalentes à celles qui étaient consacrées par l’État aux lycées et collèges. Aujourd’hui les collectivités territoriales, selon leur situation consacrent de 3 fois à 10 fois plus de moyens pour la mise à disposition de bâtiments donnant aux enfants des conditions de travail scolaire dignes de notre époque.

Depuis de nouvelles compétences ont été octroyées aux Conseils Généraux ou aux Conseils Régionaux. Il s’agit de l’A. P. A. par exemple dont les 2/3 restent à la charge directe du budget du Département. J’entends d’ailleurs des voix qui aujourd’hui viennent sur une proposition que nous avions défendue à l’époque : que son financement soit assuré par la sécurité sociale.
Dans le domaine de la Régionalisation des transports, les Conseils Régionaux ont largement débattu de la nécessité de maîtriser le coût réel de ce qu’on leur transférait mais j’ai également souvenir que Monsieur le Premier Ministre, Président de la Région Poitou Charente, a négocié avec vigueur l’obtention de moyens tenant compte des besoins, pas seulement ceux estimés au moment du transfert mais avec l’évolution envisagée.

Comme le disait ma collègue Josiane MATHON, pour nous, la poursuite de la décentralisation doit se faire dans une perspective d’avancée démocratique. Elle doit contribuer à mieux répondre aux besoins des habitants. Elle doit en même temps garantir l’égalité du citoyen quel que soit le lieu du territoire où il habite.
Pour y parvenir cela suppose que la collectivité qui assure ces nouvelles compétences en aient les moyens.
Vous faites référence à la libre administration des collectivités territoriales et vous faites allusion aux ressources dont elles peuvent disposer librement pour y faire face. Vous ajoutez qu’elles peuvent recevoir tout ou partie du produit des impositions de toute nature et que la loi peut les autoriser à en fixer le taux et l’assiette.

Vous connaissez tous la situation des collectivités territoriales, vous connaissez les différences énormes existant d’une commune à l’autre, d’un Conseil Général à un autre, d’un Conseil Régional à un autre. Vous savez combien la mise en place des communautés de communes et des communautés d’agglomération ont modifié les réalités financières des collectivités territoriales. Ces questions ne sont pas mises en débat et le texte est très flou dans ce domaine financier.
Pourtant au hasard des déclarations, on entend dire que les communes pourraient elles-mêmes procéder à la révision des valeurs locatives, alors que le projet de réforme n’a pu voir le jour.

Parallèlement la taxe professionnelle a subi d’importants allègements avec la suppression du calcul de la taxe professionnelle sur les bases salariales, réduisant la progression de cette ressource pour les années à venir.
Compte tenu de l’évolution des besoins des populations, des nouvelles compétences qui seront proposées, les besoins financiers des collectivités sont et seront croissants. Les capacités contributives des populations sont diverses ainsi dans mon département entre une commune comme la mienne où le revenu moyen est de 34 000 F par habitant et par an, et une autre où ce revenu est de 66 000 F par habitant et par an, les possibilités seront bien différentes. Surtout que dans le même temps les exigences des réglementations font augmenter la participation des populations aux coûts des services, c’est le cas des ordures ménagères ou de l’assainissement. De plus en plus, face aux difficultés rencontrées, on incite les élus à abandonner la solidarité gérée par le budget municipal, départemental ou régional, à faire payer le service en coût réel.

Ainsi une fois de plus avec ce projet vous êtes en cohérence avec les choix que le gouvernement a présenté devant notre assemblée au début du mois. Vous voulez réduire l’intervention de l’État dans de nombreux domaines. Pour cela vous voulez donc les transférer vers les collectivités, et réduire vos charges. Ainsi vous pourriez diminuer le déficit de l’État en dessous des 3 % imposés par le traité de Maastricht.
Vous pouvez annoncer la réduction de l’impôt sur les revenus, le seul qui tienne compte des ressources de chacun, vous pouvez proposer la réduction de l’impôt sur les sociétés et en même temps exiger que les services rendus à la population soient de qualité. Cette exigence se transférerait en fait sur les collectivités territoriales. Si aucunes autres ressources ne sont mises à leur disposition, elles devront augmenter leurs impôts.

Ce n’est pas notre conception de la décentralisation. Nous souhaitons que les compétences soient assumées au niveau qui permet aux populations de mieux prendre leur place dans les choix qui les concernent. Mais nous estimons que l’État doit assurer l’égalité des citoyens sur tout le territoire national, c’est le sens même de notre République, c’est ce qu’exprime l’article 1er de notre constitution.
Pour assumer ces choix une autre conception des finances locales doit être associée à un développement de la décentralisation.

Aujourd’hui, ce dont nous avons besoin, c’est que les ressources soient appuyées sur les richesses produites dans notre pays. Elles peuvent être de véritables outils contre la spéculation dont on a vu les conséquences catastrophiques sur l’économie mondiale. Les modifications de la taxe professionnelle doivent être engagées dans ce sens ; une taxation des actifs financiers rapporterait des ressources nouvelles et permettrait d’assumer une véritable péréquation.

Une véritable péréquation à l’image d’une véritable réforme des finances locales, c’est un système qui prend en compte les réalités sociales, les besoins de nos citoyens, qui sait se mettre à l’écoute de la vie des populations dans nos villes, nos villages.

C’est en leur en donnant les moyens que les collectivités territoriales pourront assumer de nouvelles compétences qu’elles que soient leurs richesses.

Josiane Mathon-Poinat

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