Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, pour le groupe CRC, cette proposition de loi, déposée par Jean Pierre Sueur, par ailleurs président de notre commission des lois, est doublement symbolique. Nous souhaitons, en effet, y voir, d’abord, la marque d’une volonté d’aller vers l’abrogation totale de la réforme des collectivités locales.
Nous nous réjouissons d’une telle perspective. En effet, nous n’avons jamais cessé d’agir contre l’adoption de cette mauvaise loi qui n’a rien à voir avec un vrai projet de coopération intercommunale !
Depuis, nous voulons contribuer à l’abrogation de cette réforme emblématique du Gouvernement, réforme que nous jugeons contraire à la décentralisation. Elle vise, en effet, à mettre aux pas l’ensemble des élus locaux et à susciter, à terme, la disparition des communes et des départements, leur « évaporation », comme avait pu le dire l’ancien Premier ministre Edouard Balladur.
Aussi, au cours des élections sénatoriales, nous avons mené campagne, sans ambiguïté, contre cette réforme. Et nous savons que nos collègues de gauche, voire un peu au-delà, ont aussi été de ce combat pour porter cette exigence d’abrogation.
C’est, chacun le reconnaît aujourd’hui, l’un des motifs majeurs à l’origine de ce basculement à gauche de la Haute Assemblée même si, à l’écoute du débat de cet après-midi, certains semblent ne pas avoir entendu complètement ce message.
Mme Nicole Bricq. Très bien !
M. Christian Favier. L’incompréhension, l’inquiétude, la colère de l’immense majorité des élus locaux, face à cette réforme et contre la fragilité financière de leur collectivité, doit donc trouver aujourd’hui un débouché politique.
Ces élus, ces grands électeurs, nous ont demandé de tout faire jusqu’à l’abrogation de cette loi.
Permettez-moi de reprendre les propos du président Bel, en ouverture de son intervention à cette tribune, le 11 octobre dernier : « Le 25 septembre dernier, les grands électeurs nous ont adressé un message fort. Ce message, nous l’avons entendu. À nous, en conséquence, de ne pas décevoir cette attente, de ne pas trahir cet espoir. »
Dans cette perspective, les modifications apportées par cette proposition de loi à la loi du 16 décembre 2010 représentent donc pour nous une première étape utile que nous ne saurions négliger, sans pour autant oublier toutes les autres marches qu’il nous faut encore franchir, comme l’abrogation du conseiller territorial, que nous défendrons devant vous dans quelques jours, pour parvenir à notre objectif commun porté par notre majorité sénatoriale.
M. Jean-Pierre Sueur. Très bien !
M. Christian Favier. Cet objectif a été rappelé du haut de cette tribune par le président Bel, le 11 octobre dernier. Il déclarait alors : « La réforme territoriale doit être abrogée et entièrement repensée. Une réforme est à l’évidence nécessaire, comme je l’ai entendu dire en bien des endroits. Mais celle-ci est allée, je le crois, dans le mauvais sens. »
Il s’agit pour nous non de tenter de la modifier, de l’aménager, d’en gommer seulement les excès, mais d’agir jusqu’à son abrogation.
Aujourd’hui, avec cette proposition de loi, il s’agit de stopper le rouleau compresseur en cours, avec la mise en place, à la hussarde, des schémas départementaux de coopération intercommunale ; de donner du temps à la réflexion de chaque commune et de chaque intercommunalité sur leur avenir ; enfin, et c’est un point essentiel pour nous, de retirer aux préfets le rôle exorbitant que la loi leur conférait dans ce domaine.
Il y a donc une certaine urgence à légiférer sur ces questions, puisque le terme des délais prévus dans la loi se rapproche dangereusement. Or tout le monde le reconnaît aujourd’hui, y compris le Premier ministre, il est devenu urgent de donner du temps au temps pour mettre en place ces schémas départementaux. Je crois même que François Fillon a déclaré qu’il envisageait d’utiliser un véhicule législatif pour y parvenir.
Eh bien, cette proposition de loi est là, à sa disposition ! Elle peut rapidement, si elle est adoptée par notre assemblée, être présentée devant l’Assemblée nationale pour y être votée.
Ainsi, les dysfonctionnements que chacun reconnaît aujourd’hui seraient alors gommés dans un cadre législatif assurant une assise juridique plus solide que les propos d’un ministre, fût-il Premier ministre, qui ne peut, même par circulaire, remettre en cause les termes de la loi.
Monsieur le ministre, à ce propos, permettez-moi de vous faire une double demande.
Partout dans la presse locale, des échos sont apparus laissant entendre qu’en de très nombreux endroits ces schémas départementaux ont été massivement rejetés lors des votes sur les propositions préfectorales, dans les conseils municipaux, les assemblées intercommunales et les assemblées délibératives des syndicats.
De votre côté, vous avez reconnu, y compris cet après-midi, l’existence de nombreux désaccords, tout en en minimisant globalement le nombre.
Ma première question est donc simple : monsieur le ministre, pour éclairer notre assemblée, pourriez-vous nous transmettre un état récapitulatif, département par département, des situations en nombre d’intercommunalités et de syndicats actuellement en place et, en regard, les propositions actuelles des préfets ?
Par ailleurs, pourriez-vous nous remettre un état complet, département par département, du résultat des consultations qui se sont déroulées sur ces projets ? Nous avons, me semble-t-il, tous besoin d’une telle transparence.
M. Alain Richard, rapporteur. Très juste !
M. Christian Favier. En répondant favorablement à ces demandes, monsieur le ministre, vous éclaireriez nos travaux futurs.
Mais revenons à la proposition de loi qui nous est soumise.
Au début de mon propos, j’ai indiqué que ce texte était symbolique à un double titre pour les membres de notre groupe. Après avoir affirmé notre souhait de voir abroger la loi du 16 décembre 2010, je voudrais maintenant évoquer le chemin qu’il nous reste à parcourir pour parvenir à une nouvelle réforme, démocratique, de nos institutions locales.
En effet, une fois la loi précitée abrogée, il nous faudra bien entendu reconstruire. Nous ne pouvons en rester au statu quo, car le besoin de réforme est réel. Les états généraux des élus locaux en préparation nous permettront, me semble-t-il, d’ouvrir d’autres voies ; nous en serons, pour notre part, des acteurs engagés et responsables, mais aussi exigeants et vigilants.
En attendant, nous voterons en faveur de l’adoption de cette proposition de loi, qui permettra de régler un certain nombre de questions importantes, en reprenant notamment des propositions que nous avons déjà soutenues ; en particulier, le rôle exorbitant des préfets se trouvera restreint. Voilà qui va dans le bon sens et ne peut que nous satisfaire.
Nous tenons, dans le même temps, à réaffirmer notre opposition à l’achèvement autoritaire de la carte de l’intercommunalité, laquelle doit, à nos yeux, être toujours librement consentie et fondée sur un vrai projet de territoire, au service des habitants de celui-ci. Cette question me semble plus importante que le débat quelque peu laborieux sur la date d’adoption de la carte de l’intercommunalité auquel nous avons assisté cet après-midi et qui n’est pas à la hauteur des enjeux, ni des attentes de nos concitoyens.
Mme Marie-France Beaufils. Très bien !
M. Christian Favier. Nous ne pensons toujours pas que les schémas départementaux de la coopération intercommunale doivent avoir pour finalité de supprimer systématiquement tous les syndicats intercommunaux existants ou de réduire drastiquement leur nombre : ils répondent souvent à de réels besoins.
Aussi, afin d’affirmer avec force notre volonté d’abroger l’ensemble de la loi du 16 décembre 2010, soutiendrons-nous un amendement tendant à insérer un article additionnel avant l’article 1er ayant cet objet. Ainsi, la nouvelle majorité de gauche du Sénat mettra ses actes en cohérence avec ses paroles : nos concitoyens attendent de nous un tel courage politique !