Monsieur le ministre, quel plaisir de vous avoir parmi nous !
M. Henri de Raincourt, ministre. - Le plaisir est réciproque.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - La commission mixte paritaire a retenu un texte proche de celui adopté dans notre hémicycle mais si l’Assemblée nationale l’avait modifié mardi, la séance d’aujourd’hui n’aurait guère d’effet...
Malgré une nouvelle tentative des députés UMP tendant à rétablir le seuil de dix ans pour permettre la surveillance de sûreté, cette rédaction avalise les suggestions de notre rapporteur pour modérer tant soit peu les surenchères de la première lecture.
Il reste que notre opposition au projet de loi demeure, pour deux raisons majeures.
Premièrement, nous désapprouvons une frénésie sécuritaire potentiellement illimitée : en cinq ans, nous en sommes à la quatrième loi consacrée à la récidive, sans parler des autres lois pénales. Il y a de quoi être confondu lorsqu’on entend le Gouvernement invoquer la stabilité de la norme en matière pénale !
M. Philippe Marini. - Nous nous inquiétons pour les victimes !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - Nous aussi !
M. Nicolas About. - Il est bon de le dire.
M. Henri de Raincourt, ministre. - Balle au centre !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - En réalité, ce texte a une cause précise : vous deviez contourner la censure de la loi du 23 février 2003 par le Conseil constitutionnel, qui ne pouvait tout de même pas accepter des dispositions pénales aggravantes directement rétroactives. Aujourd’hui, vous vous limitez à une rétroactivité indirecte mais avec un champ plus large puisque la rétention de sûreté prorogera de façon banale une sanction de la récidive.
On présentait initialement le placement en rétention de sûreté comme une mesure exceptionnelle applicable aux auteurs des crimes les plus odieux, comme l’assassinat, la torture ou le viol d’un mineur de 15 ans. Puis on est passé à 18 ans, avant d’ajouter les victimes majeures en cas de circonstances aggravantes. L’enlèvement et la séquestration ont complété cette liste. Et comme la peine requise est de quinze ans, nous voyons bien que vous ne vous limitez pas à l’exception.
La loi du 25 février 2008 a consacré la notion de dangerosité criminelle, que les scientifiques contestent...
M. Philippe Marini. - Certains scientifiques !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. - ...une notion que vous amalgamez de surcroît à la maladie mentale, ce que les psychiatres refusent car le contrôle social est à mille lieues de leurs obligations thérapeutiques !
Vous amalgamez aussi les soins et la sanction pénale, puisque le refus de soins peut conduire à l’enfermement. Fort heureusement, notre rapporteur et la majorité n’ont pas accepté que le juge prescrive lui-même le traitement inhibiteur de libido.
Une fois de plus, nous examinons une loi d’affichage, débattu sous l’effet d’événements dramatiques. Mais c’est aussi un texte dangereux, créant l’illusion que le risque zéro existe.
D’où la deuxième raison de notre opposition : l’absence d’étude d’impact, notamment de toute évaluation des mesures de prévention et des difficultés rencontrées pour appliquer les lois déjà votées.
Le temps de la peine devrait servir à prévenir la récidive car les détenus doivent non seulement être contrôlés mais aussi pris en charge par un personnel compétent et en nombre suffisant. Or, la médecine pénitentiaire -notamment psychiatrique- est dans un état désastreux. De même, les dispositifs de réinsertion demeurent dramatiquement insuffisants.
Hélas, ni la loi pénitentiaire ni le budget ne peuvent apporter une quelconque amélioration. Le rapport de M. Lamanda, commandé par le Président de la République, montre qu’il en va de même à la sortie de prison : nous ne manquons pas de dispositif coercitif à même de prévenir la récidive mais les moyens de mise en oeuvre font cruellement défaut, notamment pour le suivi socio-judiciaire. Il faut donc des moyens pour la justice, notamment pour les secrétariats de l’application des peines. De nombreuses juridictions manquent de personnel et sont parfois en cessation de paiement plusieurs mois avant la fin de l’année ! Il faut augmenter le nombre de conseillers d’insertion et de probation, il faut plus de médecins coordonnateurs et des services médico-psychologiques plus étoffés. A l’heure actuelle, plus de la moitié des juridictions ne peuvent mettre en place de véritables injonctions de soins ! Nous ne pouvons continuer à voter des lois comportant toujours plus d’injonctions de surveiller et de soigner alors que les moyens ne sont pas disponibles.
En matière d’application des lois, je voudrais évoquer deux événements dramatiques d’actualité.
La semaine dernière, une jeune femme a été poignardée par son ex compagnon qui avait été condamné à quatre mois de prison, une interdiction d’entrer en contact avec la jeune femme et un contrôle judiciaire. Qu’allons-nous devoir encore voter pour qu’une telle situation ne se reproduise pas ? Le durcissement de sa peine aurait-il empêché cet homme de tuer la jeune femme, qui avait porté plainte à plusieurs reprises, en vain ? Il a fallu que les associations et quelques parlementaires se livrent à un véritable harcèlement pour que les violences faites aux femmes soient prises en considération.
Trois détenus se sont suicidés, dont un en quartier de haute sécurité et un jeune homme de 16 ans ! Quelle réponse entendez-vous donner au triste record que nous détenons en matière de suicides en prison ? Monsieur le ministre, vous représentez ici le Gouvernement et le garde des sceaux : nous attendons une mobilisation du Gouvernement, des parlementaires et des administrations concernées. Ça suffit ! Je serais tentée d’appeler les parlementaires à faire la grève de la loi pénale tant que nous légiférerons pour les médias. Nous voterons donc contre ce texte.