Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, qu’il me soit permis tout d’abord de me féliciter de ce que cette proposition de loi, déposée initialement par notre groupe, puis signée par l’ensemble des sénateurs de la majorité de gauche du Sénat, vienne aujourd’hui en discussion dans notre assemblée.
Ce large rassemblement, qui peut d’ailleurs encore se renforcer – nous venons de le constater à l’instant –, reflète une vision partagée, qui nous a déjà réunis lors des débats sur la réforme des collectivités territoriales de décembre 2010.
Rappelons que ce n’est que par le biais d’un amendement de dernière minute, négocié en catimini, que la création du conseiller territorial fut finalement adoptée, sans recueillir l’assentiment de l’ensemble des élus de la majorité.
Rappelons aussi les multiples débats que nous avons eus sur l’annexe relative à la répartition des futurs conseillers territoriaux par département et par région. À chaque fois, nous sommes revenus sur le principe même de la création d’un tel élu, tant elle pose problème.
Enfin, chacun a pu mesurer, au cours de la campagne pour les élections sénatoriales, combien ce nouveau type d’élu hybride était contesté par une majorité d’élus locaux. Comment s’en étonner ? Comment la disparition de 2 000 élus locaux, soit près de 50 % des élus départementaux actuels, pourrait-elle être acceptée ?
C’est pourquoi nous avions déposé cette proposition de loi, fermement décidés à la défendre, que la majorité du Sénat soit ou non passée à gauche.
En effet, nous avons toujours refusé la création de cet élu cumulard par définition et schizophrène dans ses missions.
Je ne reviendrai pas ici sur l’ensemble des arguments que viennent de défendre la présidente de notre groupe, Nicole Borvo Cohen-Seat, et notre rapporteur, Gaëtan Gorce.
Un sénateur de l’UMP. C’est dommage !
M. Christian Favier. Je n’étonnerai personne en soulignant que je les partage, tout comme l’ensemble des sénateurs et des sénatrices de notre groupe.
Cela étant, je voudrais revenir sur certains aspects essentiels qui justifient, à notre avis, l’abrogation des articles de la loi de décembre 2010 créant ce conseiller territorial, en attendant l’abrogation de cette loi dans son ensemble.
Il s’agit, à nos yeux, d’un recul démocratique sans précédent, d’une remise en cause totale de la décentralisation, car avec 2 000 conseillers généraux en moins, les départements ne pourront plus être gérés ni mettre en œuvre leurs missions dans des conditions satisfaisantes, faute d’un nombre d’élus suffisant.
M. Bruno Sido. Dans le Val-de-Marne ?
M. Christian Favier. Dans le Val-de-Marne, après la suppression de quatorze conseillers généraux, il n’en restera que trente-cinq pour gérer un département de 1,3 million d’habitants. Très sincèrement, je ne crois pas que ce soit suffisant !
M. Bruno Sido. C’est le président qui fait tout ! (Sourires.)
M. Christian Favier. Cette mesure, ajoutée à la perte de la compétence générale, transformera inéluctablement nos départements en de simples administrations déconcentrées de l’État.
De plus, avec la mise en place des schémas d’organisation des compétences et de mutualisation des services entre les départements et la région, le risque est grand de voir nos départements disparaître peu à peu. Ils deviendront de simples guichets de paiement des politiques sociales définies par l’État et se transformeront en administrations territorialisées des régions.
Un sénateur de l’UMP. On verra !
M. Christian Favier. Ce serait alors la disparition de cet échelon départemental par évaporation, comme le préconisait la commission Balladur.
Pourtant, chacun reconnaît la pertinence de cet échelon pour mener avec efficacité une gestion de proximité des politiques publiques, au plus près des besoins de nos concitoyens.
Chacun sait bien ici le rôle joué par les conseillers généraux, dont le nombre, je le répète, n’est nullement pléthorique. Ce sont des élus de terrain, reconnus par les populations, ainsi que par l’ensemble des élus municipaux.
Tous savent pouvoir trouver auprès d’eux une écoute pour faire entendre et remonter, comme on dit, leurs besoins et leurs attentes, dans l’espoir que le département pourra soutenir tel ou tel projet, surtout quand il faut suppléer au désengagement de l’État. Cela fait toute la richesse démocratique de notre pays, et cette réalité, quoi qu’on en dise, est vécue aussi bien dans les territoires ruraux que dans les zones urbaines. En tant que président du conseil général d’un département fortement urbanisé, je peux en porter aujourd’hui témoignage.
Entendons tous nos conseillers généraux, ruraux et urbains, qui, dans leurs permanences, reçoivent des centaines de personnes venues exposer leurs difficultés et demander leur intervention. Écoutons ce qu’ils nous disent de la richesse des échanges au sein des divers conseils d’administration de collège, d’hôpital, de maison de retraite dont ils sont membres. Enfin, n’oublions pas que beaucoup d’entre eux conservent également une activité professionnelle : c’est là aussi une richesse et une particularité de notre pays.
Ce sont cette proximité et cette écoute qui fondent la pertinence des politiques publiques mises en œuvre à l’échelon départemental. Réduire de 50 % le nombre des conseillers généraux n’est pas seulement une mesure d’ordre quantitatif, c’est aussi un changement qualitatif, amenant une transformation totale des missions de ces élus.
Siégeant dorénavant à la fois à l’assemblée départementale et à l’assemblée régionale, ils vont devenir, de fait, des professionnels de la politique,…
M. Éric Doligé. Cela leur fera du bien !
M. Christian Favier. … accaparés par leurs nombreuses tâches politico-administratives, mobilisés quasiment en permanence, au département et à la région, par les séances et les réunions des diverses commissions.
M. Éric Doligé. Il faut s’organiser !
M. Christian Favier. En effet, ce changement de statut vaudra aussi quand ils exerceront les fonctions de conseiller régional.
D’abord, l’article 5 de la loi de réforme des collectivités territoriales, dont nous soutenons l’abrogation, dispose que désormais les conseils régionaux sont composés des conseillers territoriaux siégeant dans les conseils généraux de la région. C’est donc bien ès-qualité que ces derniers siégeront à l’assemblée régionale, où ils seront des représentants des départements, doublés d’élus cantonaux : il y a bien confusion des genres et changement de statut.
M. Éric Doligé. Que font-ils dans les communautés de communes ?
M. Christian Favier. Leurs missions s’en trouveront totalement bouleversées. Ils perdront de fait la proximité nécessaire à leur mission de conseillers généraux et le recul essentiel à la définition de leurs choix stratégiques en tant que conseillers régionaux.
Par ailleurs, leurs tâches seront si multiples qu’ils ne pourront plus exercer leur rôle irremplaçable d’animateurs de la vie publique locale, de notre démocratie de proximité. Ils perdront peu à peu le contact avec les forces sociales, ne pourront plus les rencontrer sur le terrain, travailler avec elles sur les projets, aller à la rencontre des habitants, participer aux événements de la vie locale.
Compte tenu des charges qu’ils assumeront, ils dépendront toujours plus de la technostructure qui les entoure. Je ne crois pas que c’est ainsi que nous réaliserons des économies ; bien au contraire, nous ne ferons que renforcer une bureaucratie toujours plus envahissante. Ils deviendront alors des gestionnaires éloignés des populations qu’ils sont censés représenter.
Comme le disait Philippe Séguin (Exclamations ironiques sur les travées de l’UMP.), la proximité coûte cher. Cela est vrai, et c’est sans doute ce qui conduit le Gouvernement à vouloir éloigner les élus de la population, pour mieux les contraindre à réduire la dépense publique, pourtant si utile au bien commun, à réduire les services publics locaux, auxquels nos concitoyens sont attachés.
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue !
M. Christian Favier. Ces services publics les aident dans leur vie quotidienne, par la mise à disposition d’équipements publics…
M. Bruno Sido. C’est terminé !
M. Christian Favier. … et de prestations utiles d’une grande diversité, allant de la crèche à l’école, de la restauration scolaire aux activités socioéducatives, culturelles et sportives pour tous. Ils apportent un soutien aux familles et à nos retraités, par l’aide au maintien à domicile ou par la gestion des maisons de retraite, ils développent l’aménagement de l’espace public et les transports collectifs, ils soutiennent les travaux d’amélioration de l’efficacité énergétique et de réhabilitation, ils participent à la réalisation de logements, notamment sociaux, accessibles au plus grand nombre.
C’est tout cela que le Gouvernement veut réduire.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. C’est terminé !
M. le président. Je vous demande de conclure, mon cher collègue !
M. Christian Favier. Nous proposons, tout au contraire, d’inverser cette logique de régression démocratique et sociale.
Souhaitant développer la démocratie de proximité pour toujours mieux répondre aux attentes et aux besoins de nos concitoyens, nous voterons donc, naturellement, cette proposition de loi tendant à l’abrogation du conseiller territorial. Ce faisant, loin de nous contenter de quelques aménagements partiels de la loi de décembre 2010, nous nous attaquons à l’une de ses pièces maîtresses. (Exclamations sur les travées de l’UMP.)
M. le président. Il faut conclure !
M. Christian Favier. Nous nous félicitons, par avance, de ce qu’une majorité de sénateurs s’accordent à soutenir une telle proposition de loi.