Je veux bien croire que nous aurons encore l’occasion de discuter de cette réforme de façon démocratique. Mais nous sommes échaudés par une première tentative où la majorité sénatoriale n’a même pas voulu reconnaître à la minorité son droit d’initiative parlementaire. Cela laisse mal augurer d’une réforme consensuelle, mais nous voulons bien vous croire, monsieur le Rapporteur, et nous espérons beaucoup de vos consultations.
Le groupe C.R.C. avait été le seul, lors de la discussion de la proposition de loi ayant conduit à la promulgation de la loi organique, à s’opposer à l’adoption du texte rédigé de manière consensuelle par les deux Assemblées. Contrairement à ce qui est fréquemment affirmé, rien n’est neutre dès lors que l’on parle de la discussion des lois de finances. La loi organique illustre votre conception du rôle du Parlement dans ce qu’il a de plus essentiel : le contrôle de l’utilisation des deniers publics.
La récente histoire parlementaire a montré qu’il y avait souvent un décalage sensible entre la situation constatée au terme des collectifs de fin d’année et celle prévue par les lois de finances initiales. C’est ainsi que la discussion des collectifs de fin d’année, en 1998, 1999 ou 2000 a permis de constater l’existence de plus-values de recettes ou de moins-values de dépenses qui ont modifié les données budgétaires initiales. Les exercices budgétaires 1994, 1995 ou 1996 furent marqués par de douloureux collectifs dans lesquels tous les artifices possibles furent utilisés pour compenser l’irréalisme des prévisions initiales. Le phénomène s’est reproduit en 2002 et en 2003 avec des déficits nettement différents de ceux envisagés à l’origine.
La discussion budgétaire est devenue une clause de style, un passage obligé pour le gouvernement, sans débat d’orientation ni alternative budgétaire. Des clivages politiques apparaissent certes dès que nous parlons de l’impôt sur la fortune, de l’impôt sur le revenu ou de la fiscalité indirecte, mais nous ne pesons jamais sur l’emploi des ressources publiques, pour qu’elles servent à répondre aux besoins de la population et au fonctionnement de l’État. Si le Parlement doit privilégier le contrôle budgétaire, à quel moment la représentation nationale débattra-t-elle avec le gouvernement des orientations et du contenu des missions ? Le Parlement n’est-il pas en mesure d’analyser la dépense publique, pour en proposer un usage différent, plus efficace ? Les dépenses d’aujourd’hui sont souvent les économies de demain, et des économies d’aujourd’hui préparent des gâchis pour demain ! L’initiative budgétaire ne peut être réservée au seul pouvoir exécutif.
Dans la L.O.L.F., aucun pouvoir supplémentaire aux élus que nous sommes ! La possibilité de créer de nouveaux programmes se fera à enveloppe constante. Le Parlement gagne seulement sur le contrôle : il sera mieux informé des mouvements de gestion et pourra déterminer l’amplitude des économies pour parvenir à l’équilibre budgétaire.
Le débat sur la dépense publique mérite mieux qu’une sophistication des outils de son contrôle. Nous examinerons 47 missions et 132 programmes.
Mais quelle est la priorité : satisfaire les besoins collectifs, ou les comptables nationaux et européens ? La L.O.L.F. répond à une logique seulement comptable, les lois de finances à venir feront de même !
Comment séparer notre discussion apparemment technique, et le traité constitutionnel soumis à référendum le 29 mai ?
Voyez l’article III-177 : « L’action des États membres et de l’Union comporte, dans les conditions prévues par la constitution, l’instauration d’une politique économique fondée sur l’étroite coordination des politiques économiques des États membres, le marché intérieur et la définition d’objectifs communs, et conduite conformément au respect du principe d’une économie de marché ouverte où la concurrence est libre.
Parallèlement, dans les conditions et selon les procédures prévues par la constitution, cette action comporte une monnaie unique, l’euro, ainsi que la définition et la conduite d’une politique monétaire et d’une politique de change uniques dont l’objectif principal est de maintenir la stabilité des prix et, sans préjudice de cet objectif, de soutenir les politiques économiques générales dans l’Union, conformément au principe d’une économie de marché ouverte où la concurrence est libre.
Cette action des États membres et de l’Union implique le respect des principes directeurs suivants : prix stables, finances publiques et conditions monétaires saines et balance des paiements stable ».
Voyez également l’article III-184 :
« 1. Les États membres évitent les déficits publics excessifs.
2. La Commission surveille l’évolution de la situation budgétaire et du montant de la dette publique dans les États membres pour déceler les erreurs manifestes. Elle examine notamment si la discipline budgétaire a été respectée, et ce sur la base des deux critères suivants :
a) si le rapport entre le déficit public prévu ou effectif et le produit intérieur brut dépasse une valeur de référence, à moins :
i) que le rapport n’ait diminué de manière substantielle et constante et atteint un niveau proche de la valeur de référence, ou
ii) que le dépassement de la valeur de référence ne soit qu’exceptionnel et temporaire, et que ledit rapport ne reste proche de la valeur de référence ;
b) si le rapport entre la dette publique et le produit intérieur brut dépasse une valeur de référence, à moins que ce rapport ne diminue suffisamment et ne s’approche de la valeur de référence à un rythme satisfaisant ».
C’est limpide, lisez le traité en entier !
M. MARINI. - Nous parlons du Règlement du Sénat !
Mme BORVO COHEN-SEAT. - Nos engagements européens vont peser sur la définition de notre politique budgétaire. Et la rigueur budgétaire érigée en dogme...
M. ARTHUIS. - C’est la sincérité !
Mme BORVO COHEN-SEAT. -... va de pair avec la concurrence fiscale, avec le moins-disant social et le démantèlement des services publics. La L.O.L.F. vassalise le Parlement, les choix budgétaires relèveront désormais des institutions européennes ! (Exclamations à droite.) Ceux qui en douteront, constateront le poids du « corset » budgétaire européen dans nos débats sur la loi de finances, ou, comme cet après-midi, sur les crédits du ministère des Affaires étrangères.
À faire du Parlement le gardien sourcilleux des économies budgétaires, on cantonne la représentation nationale à la seule mise en œuvre des orientations fixées par la Commission européenne, institution peu démocratique s’il en est !
M. ARTHUIS. - Au contraire, on cesse de se raconter des histoires !
M. MARINI. - Quelle imagination !
M. LAMBERT. - Fantasme !
Mme BORVO COHEN-SEAT. - Le débat budgétaire ne peut consister seulement à rechercher les moyens de réduire la dépense publique, en privant l’État de sa capacité à répondre aux besoins de la population !
M. MARINI. - Comment rembourse-t-on la dette ?
Mme BORVO COHEN-SEAT. - Vous réduisez les impôts des plus riches ! M. le rapporteur nous présente ce texte comme un progrès pour le Parlement, mais nous ne pourrons toucher aux enveloppes budgétaires des missions. On souhaite de la « souplesse » dans l’organisation du débat parlementaire, mais il y a fort à parier que le temps de parole de l’opposition sera encore réduit l’an prochain ; il l’a déjà été, l’an dernier, avec la procédure de « questions-réponses ».
Autant de raisons pour adopter cette question préalable.