Modes de scrutins régional et européen

Publié le 4 mars 2003 à 00:00 Mise à jour le 8 avril 2015

Intervention générale de Robert Bret

Monsieur le Président, Monsieur le Ministre, Mes Chers Collègues,

Je voudrais d’emblée dénoncer la méthode employée par votre gouvernement, Monsieur le Ministre, pour faire adopter aux forceps - car c’est bien de cela qu’il s’agit - une réforme électorale qui touche à deux territoires : la Région et l’Europe, qui vont être amenés à occuper un rang clé dans la construction d’une Europe ultra-libérale qui vous est chère.

Ainsi à l’Assemblée nationale, en prétextant le grand nombre d’amendements déposés par l’opposition parlementaire, vous avez sorti l’arme constitutionnelle du 49-3. Mais que craignez-vous donc alors que vous disposez d’une majorité très confortable dans les deux chambres ?

En réalité, vous avez craint que vos arguments ne résistent pas à un débat démocratique dans le pays avec les Françaises et les Français. La procédure du 49-3 vous a permis non seulement de faire adopter votre projet de loi à l’Assemblée nationale sans qu’il y ait eu ni débat général ni discussion sur article, mais également d’y intégrer vos propres amendements. Quel déni de la démocratie ! Quel déni du rôle du Parlement ! D’autant que c’est la première fois sous la Vème République que le 49-3 est utilisé sur un projet de loi de réforme électorale.

En outre, vous rompez la tradition républicaine qui veut qu’on ne modifie pas le mode de scrutin d’une élection dans l’année qui précède son échéance. Et vous prétendez vouloir rapprocher les élus et les électeurs ? Commencez donc par restaurer le rôle et les pouvoirs du parlement national qui se trouvent très largement remis en cause depuis votre arrivée au pouvoir. En effet, depuis le mois de juillet dernier, la procédure d’urgence a été déclarée sur tous vos textes, restreignant ainsi le nombre des navettes et le travail parlementaire.

Chaque fois que vous le pouvez - et c’est le cas présentement sur ce texte - vous préconisez un vote conforme pour mettre un terme au débat parlementaire et imposer ainsi vos réformes. Non content d’avoir muselé la représentation nationale à l’Assemblée, vous vous apprêtez au Sénat - sous couvert d’un apparent débat puisqu’a priori vous avez prévu plusieurs séances publiques - à user en réalité du vote bloqué. Mesdames et Messieurs les sénateurs de l’UMP, pour limiter le débat à sa plus simple expression, vous auriez pu déposer la question préalable, mais comme elle a été déposée par mon groupe, il vous sera difficile de la voter étant donné les motifs que nous allons invoquer tout à l’heure.

J’en viens à présent au fond du projet de loi qui nous intéresse aujourd’hui alors même que - je tiens à le préciser - il était initialement inscrit à notre ordre du jour que dans deux semaines. Mais le Gouvernement n’est-il pas maître de l’ordre du jour, au grand dam là encore des parlementaires ?

S’agissant, en premier lieu, du scrutin régional, vous nous dites vouloir rapprocher les électeurs de leurs élus, favoriser l’ancrage territorial des élus régionaux et l’émergence de majorités stables et claires pour la gestion des régions. Qui pourrait être contre ? Certainement pas nous !

Seulement vos solutions pour y parvenir vont à l’opposé des buts recherchés. Je m’en explique : Avec votre texte, vous prétendez répondre aux situations que nous avons connues suite aux élections régionales de 1998 dans trois régions de France : Languedoc-Roussillon, Picardie et Bourgogne. Vous agissez comme si, depuis ces sombres moments qui ont vu se concrétiser des alliances droite/extrême-droite dans la course à l’élection des présidents de ces trois régions, rien n’avait été fait.

Or, je vous rappelle que depuis, une nouvelle loi a été votée, celle du 19 janvier 1999, précisément pour permettre le dégagement de majorités et la gouvernabilité des régions. Cette loi a établi un mode de scrutin de liste à 2 tours combinant représentation proportionnelle à la plus forte moyenne et prime majoritaire. Je rappelle que les parlementaires communistes n’avaient approuvé ce texte qu’au stade de la seconde lecture après avoir obtenu un abaissement des seuils pour le maintien au 2ème tour pour la répartition des sièges et la fusion à 5% et 3%.

A ce propos, je souligne que la position des parlementaires communistes sur le dispositif du scrutin régional est constante. En revanche, on ne peut pas en dire autant de « Monsieur Raffarin Premier Ministre » qui soutient aujourd’hui l’inverse de ce que déclarait « Monsieur Raffarin Sénateur » lors des débats parlementaires de 1998 présidant à l’élaboration de la loi de 99. En effet, ne qualifiait-il pas le second tour « d’arme malicieuse », de « déstabilisation » ? Ne défendait-il pas le seuil de 5% ? Mais il est vrai que c’était au siècle dernier !

Concernant l’argument avancé d’atténuer le poids du FN lors des scrutins régionaux, je tiens à préciser que l’extrême droite ne se combat pas à coup de réforme électorale mais par l’action et sur le terrain du débat d’idées. L’exemple du charcutage électoral et le retour au scrutin majoritaire de M. Pasqua en 1986 pour marginaliser le Front national illustre mon propos. En effet, si le FN a disparu de l’hémicycle de l’Assemblée nationale, cela ne l’a pas pour autant empêché d’augmenter le score de son parti depuis. Le cataclysme qui s’est produit le « 21 avril dernier » est malheureusement là pour nous le rappeler.

J’y insiste : la question de la gouvernabilité des régions ne saurait servir de prétexte à une quelconque réduction de l’expression du pluralisme qui s’attache à la démocratie, encore moins permettre à une quelconque formation d’avoir une position hégémonique. Alors que la loi de 99 permet d’assurer la présence dans toutes les régions d’une majorité quelles que soient les formations majoritaires, ainsi que la présence de listes minoritaires, et répond donc à votre souci ; Alors que cette loi n’a jamais été appliquée et pour cause : il n’y a pas eu, entre temps, d’élections régionales ;

Vous décidez - à un an des futures élections régionales - de réformer cette loi sans même avoir testé l’efficacité de son mécanisme. Vous instaurez des seuils couperet qui sonnent le glas du pluralisme dans notre pays. Le seuil pour fusionner est porté de 3 à 5% des suffrages exprimés et celui pour se maintenir au 2ème tour à 10% des inscrits, au lieu de 5% des suffrages exprimés, ce qui équivaut en réalité à 20% des exprimés !

Ce seuil de 10% a connu un parcours particulier : annoncé par le Président de l’UMP en lieu et place du gouvernement et de son chef, je crois utile de rappeler que ce n’est pas ce seuil qui a été soumis à l’avis du Conseil d’Etat ! Si le véritable objectif que vous recherchiez était véritablement l’émergence d’une majorité claire et stable, si vous estimiez que la loi de 99 précitée était insuffisante à y parvenir, pourquoi n’avoir pas simplement relever le pourcentage de la prime ? Car c’est la prime qui donne la stabilité et non les seuils.

Mais vous ne l’avez pas fait parce que tel n’est pas votre véritable souci. La rumeur veut en effet qu’il est question de réduire l’influence de l’extrême droite et sa présence dans la région PACA prisée par Monsieur Gaudin (ou son dauphin M. Muselier ?) qui a, par ailleurs, obtenu le redécoupage cantonal à Marseille avant la refonte globale des cantons ! Par ailleurs, votre réforme rendra plus difficile encore la mise en œuvre de la parité, notamment en cas de fusion de liste en vue du second tour. Nous aurons l’occasion d’y revenir dans le détail lors de l’examen de nos amendements. Pour résumer, les seuils que vous instaurez vont aboutir à l’émergence de deux grands partis, l’UMP et le PS, d’une part et d’autre part, à l’exclusion des petites formations politiques.

Il est intéressant de rappeler ici les propos de M. Raffarin en 1998 qui dénonçait « l’excès de politisation dans les régions. Que cette assemblée régionale veuille jouer à la petite Assemblée nationale, voire au Sénat, comporte des dangers. Il est très préoccupant de voir s’y installer l’esprit partisan. On ne peut ramener la vie d’une région au seul clivage entre appareils politiques extérieurs à la région. »

S’agissant, en second lieu, des élections européennes, le mode de scrutin établi en 1977 et appliqué depuis 1979 est celui de la proportionnelle intégrale dans une circonscription nationale unique. La répartition des sièges s’opère à la plus forte moyenne entre les listes ayant obtenu plus de 5% des suffrages exprimés. Je tiens à souligner que ce système, simple au demeurant, donne entière satisfaction. L’avantage de la proportionnelle est double : d’abord la voix de chaque citoyen compte pour un, ensuite toutes les sensibilités politiques nationales sont représentées au parlement européen. La vocation première de cette assemblée n’est-elle pas de représenter chaque peuple dans toute sa diversité ? La critique, si souvent employée contre la proportionnelle, à savoir qu’elle ne permet pas de faire ressortir des majorités claires et stables ne peut s’appliquer au parlement européen.

Car, ainsi que vous le savez, les groupes se forment non pas en fonction d’une base nationale mais sur des bases politiques. Aussi ne comprend-on pas la présente réforme qui aboutira à sacrifier cette diversité. En décidant de découper le territoire national en 8 « super-régions » - véritable tremplin vers une Europe fédérale - vous allez privilégier les formations dominantes et réduire, voire éliminer, la représentation des autres formations politiques !

Et pour amplifier cet effet majoritaire, vous allez jusqu’à prévoir qu’au cas où plusieurs listes auraient la même moyenne pour l’attribution du dernier siège, celui-ci reviendrait à la liste qui a obtenu le plus grand nombre de suffrages. Quant à l’argument d’une plus grande proximité entre les élus et les électeurs, permettez qu’on en doute. S’il est vrai que l’électeur ne s’intéresse pas aux élections européennes - le fort taux d’abstention lors de ce scrutin en atteste - je crains fort qu’il n’atteigne des sommets avec votre système de super-région qui entraîne la bipolarisation de la vie politique française où les voix des communistes, des verts, de l’extrême gauche, des radicaux de gauche ne compteraient plus pour rien. On peut alors légitimement s’interroger : pourquoi l’électeur irait désormais voter s’il a le sentiment que son acte est inutile, qu’il ne compte pour rien ?

Une telle réorganisation du scrutin risque d’entraîner la dénationalisation et la dépolitisation du débat européen et des enjeux de la construction européenne. Le citoyen est déjà mal informé de ces enjeux, qu’en sera-t-il avec votre réforme ? Une grande partie des décisions européennes qui touchent au quotidien de la population est prise par les technocrates de la Commission européenne. Ces décisions vont trop souvent à l’encontre des intérêts des peuples, par exemple sur le plan économique avec les privatisations, la mise en cause des services publics, la réduction des budgets sociaux au nom du sacro-saint respect du déficit public. Dans un contexte marqué à la fois par les incertitudes qui entourent l’élargissement de l’union européenne, une conjoncture économique difficile aggravée par les orientations de la Banque Centrale Européenne et les craintes du pacte de stabilité, l’implication des citoyens et des acteurs sociaux dans la construction européenne est plus que jamais indispensable.

Au moment où les questions essentielles se posent avec force avec la Convention européenne présidée par Valéry Giscard d’Estaing, il est fort regrettable de constater qu’elle reste l’affaire d’un petit nombre. Dès lors, à qui ferez-vous croire que la création de 8 super-régions, avec un ou deux députés par région permettra le rapprochement entre électeurs et élus ? Cet argument - peu convaincant au demeurant - prête à sourire et est de surcroît anticonstitutionnel : les députés européens français représentent la France et non pas leurs régions au parlement européen.

En réalité, vous savez que pour obtenir la majorité nécessaire pour la mise en œuvre de votre projet de société ultra-libérale - caractérisée depuis votre arrivée aux affaires du pays par le démantèlement des 35 heures, la suppression des mesures anti-licenciements, l’abrogation de la loi Hue &#133- vous avez besoin d’éloigner le citoyen des lieux de décision, d’accroître sa désaffection à l’égard de la politique tant au niveau européen et régional. Et c’est précisément ce que fait votre projet de loi.

Votre texte vise expressément la domination sans partage sur la représentation politique de deux catégories de territoire : les régions et l’Europe. D’ailleurs, la loi de décentralisation - que vous refusez de soumettre au référendum - ne fait pas autre chose : mise en cause du caractère unitaire et solidaire de la République ; affaiblissement de l’État dans ses fonctions de solidarité, de régulation ; transfert de compétences aux collectivités territoriales ; casse de la cohérence nationale&#133 Ce que vous souhaitez, c’est casser le cadre national de notre pays afin de l’intégrer à marche forcée dans une construction européenne ultra-libérale supranationale, par le biais de ces 8 régions.

Ce n’est pas un secret : on sait bien que cette Europe des régions est voulue par les partisans d’une Europe fédérale parce qu’elle permet de contourner l’État pour mettre en place cette politique ultra libérale. J’ajoute que les arrière-pensées politiques de votre projet de loi sont à peine voilées s’agissant de mettre en place un Etat UMP et placer vos copains à des postes clés. Il en est ainsi par exemple des dispositions tendant à appliquer le régime du cumul des mandats des députés nationaux sur celui des députés européens permettant à Monsieur PASQUA de retrouver la Présidence du département des Hauts-de-Seine ! Ceci avant même le vote final et l’entrée en vigueur de la présente loi !

Ainsi et alors que d’autres réformes sont indispensables et permettraient plus de démocratie, plus de pluralisme, plus de proximité avec les électeurs, plus de parité, vous nous imposez tout le contraire avec la bipolarisation de la vie française induite par votre texte qui fait fi de la spécificité démocratique et pluraliste française. Votre texte ne manquera pas d’approfondir la crise aiguë de notre vie politique et de nos institutions.

Plus on ferme l’offre du champ politique, plus l’abstention, la contestation, voire le refuge dans des votes populistes, seront forts. Et j’ai bien peur de connaître encore d’autres « 21 avril » ! Je pense que c’est en démocratisant en profondeur le système de représentation de notre pays, en lien avec un véritable statut de l’élu, et en rééquilibrant les pouvoirs institutionnels en faveur du parlement que nous réussirons à sortir de cette crise de la politique.

Telles sont les propositions - essentielles à nos yeux - que nous reprenons sous forme d’amendements. Il ne s’agit pas d’obstruction parlementaire mais bien de poser ici et maintenant les questions de fond.

Robert Bret

Ancien sénateur des Bouches-du-Rhône
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