Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, madame le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la réforme de nos institutions devrait être l’occasion de mener une réflexion en profondeur sur les rapports entre les citoyens et leurs institutions. Si nous ne l’avons pas encore fait, le rejet du traité de Lisbonne par le peuple irlandais devrait nous y inciter encore davantage.
La construction européenne actuelle est, en effet, tout un symbole. Elle se fait sans les peuples, pour la bonne raison qu’elle tourne le dos à leurs aspirations.
Quand les peuples sont consultés, comme ce fut le cas dans trois pays, en 2005, sur le traité constitutionnel européen, deux votent contre, alors même que leurs parlementaires avaient voté majoritairement pour.
Les chefs d’État, en France comme dans les autres pays, n’en ont cure ; ils décident de ne pas consulter leurs peuples, que les parlementaires désavouent en votant le traité de Lisbonne. Le gouvernement irlandais, obligé de consulter, vient, quant à lui, d’être désavoué par les citoyens !
Mme Annie David. Très bien !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Allez-vous persister ? Le Président de la République, bientôt Président de l’Union européenne, va-t-il escamoter le « non » irlandais comme il l’a fait avec les « non » français et néerlandais ?
Comment s’étonner que la distance entre les citoyens et ceux qui sont censés les représenter ne cesse de se creuser ? En avril, moins d’un an après l’élection présidentielle, 71 % des Français estimaient que les politiques ne se préoccupaient pas de leur opinion. D’ailleurs, ils se sont de nouveau massivement abstenus aux élections municipales et cantonales lors desquelles, qui plus est, vous avez été sanctionnés.
Cette crise de la représentation politique est lourde de dangers pour la démocratie. Aussi, les deux questions à se poser, et les seules qui vaillent au moment de débattre d’une réforme de la Constitution, sont les suivantes : la réforme répond-elle à cette crise ? Est-elle une avancée démocratique pour le peuple ?
Le seul fait que le Président de la République n’ait pas jugé bon de consulter le peuple sur sa réforme, dont M. le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement estime qu’elle est la plus importante depuis 1958, en dit long !
Mme Annie David. Eh oui !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. La Constitution est la loi fondamentale qui unit les citoyens. Elle ne saurait être la propriété de quelques experts désignés par le seul Président de la République et de la classe politique.
Vous affirmez que le candidat Nicolas Sarkozy avait annoncé ses intentions. Il n’y a donc pas besoin de consulter le peuple ! Mais ce candidat avait dit alors beaucoup de choses,...
Mme Annie David. Oui, beaucoup !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. ... par exemple sur le pouvoir d’achat : on voit ce qu’il en est !
Sur les institutions, il disait ainsi, le 14 janvier 2007, dans un discours prononcé lors du congrès de l’UMP et cité par M. de Raincourt : « Notre démocratie n’a pas besoin d’une nouvelle révolution constitutionnelle. On change trop notre Constitution. [....] Mais nous devons changer radicalement nos comportements pour aller vers davantage d’impartialité, d’équité, d’honnêteté, de responsabilité, de transparence ».
Je vous laisse juges de son comportement. Ce qui est certain, c’est que celui-ci a quelque chose à voir avec l’hyperprésidence qu’il a souhaité constitutionnaliser une fois élu, comme l’atteste son discours d’Épinal du 12 juillet 2007.
S’agissant de la transparence, je vous laisse également juges : au moment même où le Parlement débat de la réforme des institutions, dans laquelle ne figure aucune indication sur les modes de scrutin, le Gouvernement « concocte » sans aucune transparence une modification du mode de scrutin régional et législatif ainsi qu’un redécoupage des circonscriptions, paraît-il encore plus favorable à la majorité, en tout cas au bipartisme.
M. Guy Fischer. Du charcutage !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. La feuille de route du Président de la République au comité Balladur était claire et les soixante-dix-sept propositions en sont sorties « conformes », comme disent les parlementaires : un présidentialisme inspiré de la Constitution américaine, mais assorti des pouvoirs exorbitants que confère la Constitution de 1958 au Président de la République française et agrémenté d’un parlementarisme rationalisé à la britannique, sans les inconvénients pour l’exécutif.
Autrement dit, un Président de la République seul véritable chef de l’exécutif, doté d’une majorité qui lui doit son élection - le comité Balladur prévoyait d’ailleurs qu’elle soit élue le même jour ! - et dont il est aussi le chef, comme il est le chef du parti majoritaire, s’adressant directement au Parlement, disposant donc d’un pouvoir d’injonction à la représentation nationale, alors même qu’il est irresponsable et dispose du domaine réservé, du droit de dissolution, de l’article 16, et je pourrais continuer l’énumération.
M. Ivan Renar. Oui, chef ! Bien, chef !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Les qualificatifs abondent : « dérive bonapartiste » ou « monarchie présidentielle », comme le craignait déjà M. Mazeaud, en 1993, à propos du quinquennat.
Certes, vous avez dû composer avec votre majorité et gommer quelques aspects dès l’avant-projet, notamment ceux qui tendaient de fait à supprimer la fonction de Premier ministre. Mais, soyons clairs, l’économie générale reste la même, si l’on excepte la disparition, au passage, des quelques propositions du comité Balladur visant à introduire une dose de proportionnelle dans les scrutins, à démocratiser un tant soit peu l’élection sénatoriale ou à limiter le cumul des mandats.
Le résultat, après le passage à l’Assemblée nationale, c’est que la confusion des pouvoirs demeure, mais que le parti majoritaire est conforté dans sa surreprésentation.
Alors, vous agitez un leurre : cette réforme constituerait, selon vous, un renforcement des pouvoirs du Parlement que les parlementaires, toutes opinions confondues, seraient coupables de refuser, et vous vous êtes même fait menaçant, monsieur le Premier ministre. Le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement a même qualifié les dispositions concernées de « révolutionnaires ».
Il y a des limites à la méthode Coué, et je constate que vous avez du mal à convaincre.
M. Joël Bourdin. Oh !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Mon collègue Guy Fischer interviendra plus particulièrement sur ce point. Je dirai seulement quelques mots.
Qu’en est-il, ainsi, de l’ordre du jour des travaux parlementaires, dont vous avez inondé la presse ? En guise de partage, vous proposez deux semaines par mois pour le Gouvernement et une pour le Parlement, dont un jour pour l’opposition. Est-ce cela, le statut de l’opposition ?
Le travail en commission ? L’objectif est clair : réduire le débat en séance publique et remettre en cause un droit élémentaire des parlementaires, celui d’amender.
Le projet instaure un véritable « 49-3 » de la majorité présidentielle. Je m’étonne donc que notre rapporteur propose de rejeter la limitation du recours à l’article 49, alinéa 3 : le Gouvernement n’en aura plus besoin !
Le droit de résolution ? Il n’ajoute aucun pouvoir au Parlement. On voit ce qu’il en est en matière européenne !
Les débats thématiques n’apportent rien non plus. On peut d’ailleurs se demander s’ils ne sont pas un moyen de contourner la responsabilité du Gouvernement.
L’intervention du Parlement dans les nominations présidentielles ? La majorité des trois cinquièmes exigée pour les refuser la rend inopérante.
En réalité, le projet de loi constitutionnelle ne touche en rien au déséquilibre structurel des pouvoirs inscrits dans la Constitution de 1958, que nos prédécesseurs communistes n’avaient pas votée, déséquilibre accentué par l’élection du Président de la République au suffrage universel et aggravé par le quinquennat et l’inversion du calendrier, réformes que nous n’avons pas votées non plus.
Votre projet organise une rationalisation non démocratique de la décision politique, accentuant le bipartisme et le fait majoritaire issu de l’élection présidentielle, et rendant illusoire la séparation de pouvoirs.
En revanche, ce texte tourne le dos aux exigences démocratiques en ignorant les évolutions désormais largement soutenues par la population : le mode de scrutin proportionnel, la limitation du cumul des mandats, le vote des immigrés aux élections locales, l’initiative citoyenne....
Pourtant, le respect du pluralisme, et donc la représentativité du Parlement, sont constitutifs de cette « démocratie irréprochable » annoncée par le Président de la République, ce que Mme le garde des sceaux se plaît à relayer à chacun de ses propos.
Or le Parlement n’est absolument pas représentatif de la société, avec une moyenne d’âge de soixante ans, 18 % de femmes, 1 % d’ouvriers, une surreprésentation des professions libérales et des hauts fonctionnaires, et l’absence de toute diversité d’origines. Le cumul des mandats et les modes de scrutin en sont largement responsables.
M. Éric Doligé. Qu’est-ce que vous faites là, alors ?
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. La majorité sénatoriale atteint des sommets en refusant toute évolution du mode de scrutin sénatorial.
Vous avez renoncé à constitutionnaliser l’impossibilité d’élargir le corps électoral mais, également, à tenir compte de la population. C’est donc le retour à la case départ ! Il s’agit d’un cas unique en démocratie : une assemblée législative dotée de pouvoirs de veto et toujours à droite, quel que soit le choix des électeurs.
Mais que représente le Sénat, sinon les populations des collectivités locales ? Les édifices ? Les terres ? Les propriétés ? On se le demande ! (Exclamations ironiques sur les travées du groupe socialiste.)
M. Jean-Pierre Sueur. Très bien !
M. Éric Doligé. Il ne faut pas se fâcher, c’est mauvais pour la santé !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ce projet ignore l’aspiration à une démocratie plus citoyenne, qui se manifeste pourtant au niveau des collectivités territoriales.
Les députés ont réintroduit le référendum d’initiative populaire proposé par le comité Balladur et censuré par le Gouvernement. Mais sa mise en œuvre est si restrictive qu’elle est quasi impossible. Il s’agit d’ailleurs plutôt d’un référendum d’initiative parlementaire. Or, je le rappelle, des parlementaires, avec un moindre nombre, peuvent d’ores et déjà être à l’initiative d’un référendum. Il n’y a donc là rien de nouveau, hormis une annonce démagogique.
Vous répondez en évoquant la nouveauté que représente pour les citoyens l’exception d’inconstitutionnalité. Soit ! Mais à Conseil Constitutionnel inchangé, il ne s’agit pas d’une avancée démocratique. En tout état de cause, le contrôle de constitutionnalité doit renvoyer les dispositions litigieuses au vote du Parlement.
Le projet de loi constitutionnelle ignore le nécessaire respect des droits des citoyens, sans lequel il n’y a pas de droit. L’expérience du droit au logement opposable, que vous avez concédé et que l’État ne peut assurer, aurait dû vous alerter.
Vous répondez, cette fois, en invoquant la création du défenseur des droits des citoyens, tout en renvoyant à plus tard la détermination de ses compétences et de son champ d’intervention. Est-il bien raisonnable de demander aux parlementaires de s’engager à l’aveugle ? D’ailleurs, sur trente-cinq articles, vous renvoyez au moins quinze fois à la loi organique. En revanche, vous fixez très précisément le nombre de députés et de sénateurs. C’est un comble !
Ce projet de loi constitutionnelle ignore aussi une question essentielle : le respect du pluralisme dans les médias, pourtant gage d’une démocratie « irréprochable », pour employer vos propres termes !
M. Jean-Pierre Sueur. Sujet d’actualité !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Il ignore la nécessaire implication des citoyens et de leurs représentants dans les choix européens. Vous ne proposez aucun pouvoir réel du Parlement sur les mandats des représentants du Gouvernement dans les négociations européennes. Pire encore, la majorité veut revenir sur l’obligation de référendum en matière d’évolution de la construction européenne.
Fort heureusement, la commission des lois n’a pas été convaincue par Mme Dati...
M. Robert Bret. Il faut dire qu’elle n’est pas très convaincante !
M. Jean-Pierre Sueur. Et elle n’est plus là !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.... et a rejeté le dispositif de l’article 11, qui permettait la rétroactivité de la loi, y compris la loi pénale.
Nous prenons acte du fait que la commission a supprimé la présence du ministre de la justice lors des séances des formations du Conseil supérieur de la magistrature en matière de nomination et de discipline, ainsi que l’insertion dans le domaine de la loi de la répartition des litiges entre juges judiciaires et administratifs.
Mais, franchement, rien de tout cela ne change la nature du projet de loi constitutionnelle.
Vous l’avez compris, notre opposition à cette réforme est globale ; on pourrait même dire « frontale », pour répondre à M. le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement.
M. Roger Karoutchi, secrétaire d’État. Tant mieux !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. M. Karoutchi nous a dit, en effet, qu’il n’existait pas d’opposition frontale à ce projet de loi constitutionnelle : je tiens à le démentir.
Mes chers collègues, la seule réponse à la défiance envers les politiques dont nous sommes tous victimes, c’est de donner plus de pouvoirs aux citoyens et des pouvoirs réels au Parlement. Nous sommes, nous, résolument pour un régime parlementaire, régime reconnu, je le rappelle, comme étant le plus démocratique, avec des élections à la proportionnelle et avec un Parlement qui retrouve ses prérogatives non seulement en matière budgétaire, mais aussi en cas d’utilisation des forces armées - et pas quatre mois plus tard ! - et pour ce qui a trait à la politique européenne.
Nous sommes pour le respect du pluralisme tel qu’il existe dans la société, et donc pour la reconnaissance des droits et moyens des groupes politiques.
Nous sommes pour le droit de vote des résidents étrangers, pour la reconnaissance de la démocratie participative, pour un droit d’initiative législative des citoyens et des collectivités locales.
Nous sommes pour des droits réels en faveur des salariés et de leurs représentants, tant sur les conditions de travail que sur les choix des entreprises, une question jamais abordée et pourtant au cœur d’une démocratie moderne.
Chacun ici l’aura compris : les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen, comme leurs homologues de l’Assemblée nationale, voteront contre ce projet de loi.
En effet, la réforme ici proposée va à l’encontre des exigences démocratiques de notre temps. La gauche a voté contre à l’Assemblée nationale. Je ne vois pas comment il pourrait en être autrement d’ici au Congrès du Parlement.
Monsieur le Premier ministre, vous aviez dit, en décembre, que la réforme nécessiterait l’obtention d’un consensus pour être adoptée. De consensus, il n’y en a pas. Alors qu’il s’agit de réformer la loi fondamentale du pays, assistera-t-on au marchandage de quelques voix pour arriver aux trois cinquièmes requis ? Je n’ose pas le penser.