Monsieur le Président
Monsieur le Ministre
Mes chers collègues
Dans le court temps qu’il m’est imparti ici, je me contenterait de rappeler brièvement les fondements de l’opposition des sénateurs communistes à la présente révision constitutionnelle. Instituant dans notre droit le mandat européen, elle doit permettre la mise en œuvre au 1er janvier 2004 d’une décision-cadre de l’Union européenne adoptée à la suite des attentats du 11 septembre 2001.
Cet événement tragique constitue en effet l’élément déclencheur de l’accélération des procédures répressives de l’Union européenne : alors que les textes relatifs à la simplification des procédures d’extradition sont en attente de ratification depuis plusieurs années, il n’a fallu que quelques mois pour adopter un arsenal juridique anti-terroriste conséquent avec l’institution du mandat d’arrêt européen et la tentative de définition en matière de terrorisme.
C’est à la lumière de ce contexte qu’il convient d’analyser l’entrée en vigueur dans notre droit du mandat d’arrêt européen ; ce qui n’est pas sans poser problème : parce que conçus pour répondre à la menace terroriste tout en ayant vocation à s’appliquer très largement, les nouveaux instruments répressifs européens contiennent en germe des risques de dérive.
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Face à une criminalité qui s’internationalise et un risque terroriste très présent, il est sans nul doute indispensable de renforcer l’efficacité des procédures transnationales. On ne saurait non plus ignorer le cas des criminels chevronnés qui utilisent les subtilités des procédures d’extradition pour échapper à la justice : tous, nous avons en tête les cas de Patrick Henry et de Rachid Ramda.
Mais l’inquiétude ne peut constituer le moteur de notre action ; n’est-ce pas ce que nous tentons de faire comprendre outre-atlantique ? Comment en effet ne pas voir dans l’attitude américaine et le concept de « guerre préventive », le réflexe viscéral d’un pays touché dans son corps et dans son âme après des attentats qui ont fait plusieurs milliers de victimes ? Comment ne pas s’interroger sur le refus, confirmé la semaine dernière par une Cour d’appel de Washington, de faire bénéficier les détenus de Guantanamo des droits constitutionnels américains ?
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Les craintes de dérive ne sont pas une pure vue de l’esprit et nous déplorons ne pouvoir les expliciter sans être accusés de faciliter la vie des criminels.
Au moment de la rédaction des décisions-cadre, nous avions eu l’occasion de dire combien l’option choisie était lourde de sens : plutôt qu’une harmonisation des droits pénaux et un renforcement des organes judiciaires au niveau européen, on a privilégié le développement de procédures plus répressives et plus expéditives : le mandat d’arrêt européen aboutit à remettre de façon quasi-automatique la personne à l’Etat requérant avec un minimum de contrôles et de garanties.
La suppression de la nécessité de la double incrimination contribue par ailleurs à avaliser les lois les plus répressives de chacun des Etats tout en laissant subsister de grandes disparités entre le droit pénal des Etats :
Nombre de pays européens, à l’heure actuelle, manifestent une tendance à la criminalisation de certains délits et appréhendent largement la définition de « terrorisme » ; des actes politiques peuvent ainsi être incriminés, sans même que les Etats puissent invoquer cette circonstance pour s’opposer à l’extradition. C’est, vous le savez, ce qui a motivé les réserves du Conseil d’Etat.
Plus grave encore, mon collègue M. Vaxès l’a rappelé, les luttes sociales sont directement menacées (on se rappellera d’ailleurs que Mme Thatcher a eu, en son temps, tentation d’appliquer la loi antiterroriste à la grève des mineurs).
De la même façon, au niveau européen, le sommet de Séville a marqué une crispation en matière d’asile et d’immigration, qui va de pair avec un amoindrissement des libertés individuelles - je pense à la protection vacillante des données personnelles via le système Informatique Schengen.
Chers collègues, la sécurité doit aller de pair avec le respect des droits : Vous l’admettez vous-même aujourd’hui, monsieur le Ministre de l’intérieur, quand vous vous alarmez sur les conditions de la garde à vue déjà dénoncées fortement à l’occasion du vote de la loi renforçant la présomption d’innocence. Je regrette que cet impératif n’ait pas été plus présent lors de la présente révision constitutionnelle.
C’est pour ces raisons que les sénateurs communistes ne voteront pas ce projet de loi constitutionnel.