Nous partageons l’horreur du terrorisme, parce que chaque acte terroriste, qu’il se produise à New York, à Madrid, à Londres, en Palestine, à Bagdad, à Bali, en Egypte ou ailleurs, est une négation des valeurs humaines : aucune cause ne peut justifier le massacre d’innocents ! Mais nous voyons aussi le terreau du terrorisme.
Ce monde où la majeure partie de l’humanité subit souffrances et humiliations ! Rien ne peut nous faire oublier non plus que face à des actes aussi ignobles, dont les commanditaires ont souvent été abrités et même soutenus par les pays qui les condamnent, la force des démocraties réside dans le respect des valeurs fondamentales, dans le respect du droit et des libertés.
Hélas, l’exemple des États-Unis montre combien, au nom de l’indispensable lutte contre le terrorisme, le risque existe de basculer dans une justice d’exception. Le Patriot Act, d’octobre 2001, vient d’être reconduit pour quatre ans, il reste des centaines de prisonniers à Guantanamo, soustraits aux dispositions de la convention de Genève et le Conseil de l’Europe a confirmé l’enlèvement et la détention par la C.I.A. de suspects en Europe, hors de tout contrôle judiciaire - motif qui a conduit Mme Luc, MM. Bret et Hue, commissaires aux affaires étrangères, à demander l’audition de M. Douste-Blazy et la condamnation de ces pratiques intolérables.
Au lendemain des attentats du 7 juillet, la Grande-Bretagne s’est dotée de dispositifs d’exception ; en septembre, M. le ministre de l’Intérieur a annoncé que la France devait faire de même.
Pourtant, notre pays dispose, depuis les attentats de 1986, d’un arsenal antiterroriste conséquent. En 1992, le nouveau Code pénal a entériné et complété ces dispositions. La nouvelle procédure d’exception permet de centraliser les poursuites et l’instruction au tribunal de grande instance de Paris, de prolonger la garde à vue jusqu’à 96 heures, d’étendre le régime des perquisitions, visites domiciliaires et saisies de pièces à conviction et de faire juger les personnes soupçonnées d’actes de terrorisme par une Cour d’assises spéciale uniquement composée de magistrats professionnels. Puis la LOPSI, en janvier 1995, a donné son cadre législatif à la vidéosurveillance.
Hélas, ce dispositif tourné essentiellement vers les sanctions n’a pas freiné le fanatisme et la France a connu les terribles attentats de 1995.
Pourtant, l’escalade législative a continué, avec la loi du 22 juillet 1996 renforçant les dispositions d’exception relatives aux perquisitions et prévoyant la déchéance de la nationalité pour les personnes coupables d’actes terroristes.
Six ans après, l’horreur frappait de nouveau le 11 septembre 2001. Cela aurait dû obliger le monde à s’interroger sur son état, sur la profondeur de ses dysfonctionnements et sur les causes. Hélas, nous en sommes loin !
En France, avec la loi sur la sécurité quotidienne, la plupart des dispositions exceptionnelles ont été prorogées. Alors que celles prévues par la loi du 15 novembre 2001 devaient durer jusqu’à fin 2003, la loi Sarkozy, du 18 mars 2003, les prorogeait jusqu’à fin 2005.
L’adoption de cette loi a privé le Parlement du rapport d’évaluation des mesures de lutte contre le terrorisme pourtant prévu par la loi de sécurité quotidienne et qui devait être présenté à l’échéance du 31 décembre 2003.
Le gouvernement a choisi de pérenniser des dispositions attentatoires aux libertés individuelles, sans aucune évaluation !
Dès 2001, la loi a prévu l’extension des pouvoirs de police en matière de fouilles des véhicules et des personnes, de perquisitions, mais également l’extension des pouvoirs des personnes privées, comme les gardiens et autres agents de sécurité, ou encore l’allongement du délai d’effacement des données relatives aux communications téléphoniques.
En 2003, ces dispositions sont étendues, mais on serait bien en peine d’attendre leur évaluation, prévue pour la fin de l’année !
Les dispositions antiterroristes ne présentent plus de caractère exceptionnel depuis la loi dite « Perben II », puisque les actes terroristes relèvent de la criminalité organisée. En la matière, toutes les dispositions exorbitantes de droit commun s’appliquent de façon permanente.
Ce qui, en 1986, était exceptionnel, est pérenne en 2005, sans aucune évaluation. Toutes ces dispositions se chevauchent, sans parfois que les décrets d’application soient parus. Le gouvernement se préoccupe seulement d’aggraver les sanctions, pour faire croire à l’opinion qu’il agit.
En 2001, notre arsenal juridique passait pour l’un des plus développés du monde, on nous propose de le renforcer encore, alors même qu’un livre blanc doit paraître très prochainement : devrons-nous prendre une nouvelle loi quand il sera publié ?
Les lois sont toujours plus nombreuses, mais la lutte contre le terrorisme souffrirait de lacunes juridiques. Nos services de renseignements, de surveillance du territoire, ne demandent pourtant pas de nouvelles règles. Le gouvernement, pour se justifier, argue du fait que les menaces ont changé de nature. Ce texte n’apporte pourtant aucune innovation, en particulier face à une menace chimique ou biologique. La vidéosurveillance, la consultation de fichiers, la prolongation de la durée de la garde à vue : ces dispositions existent déjà, elles ne permettent pas d’empêcher une action terroriste, nous l’avons bien vu à Londres !
La réalité, c’est que chaque texte supplémentaire contre le terrorisme érode un peu nos droits fondamentaux : allongement de la garde à vue, avec des conséquences sur l’assistance de l’avocat, perquisitions facilitées, extension des écoutes téléphoniques et interceptions des communications de tout ordre, fichage généralisé ou encore vidéosurveillance développée : les droits fondamentaux de nos concitoyens résistent de moins en moins face à cette vague sécuritaire ! Mais que valent, pour le gouvernement, la présomption d’innocence et les droits de la défense, dans la lutte contre le terrorisme ?
Le ministre de l’Intérieur dit que la menace terroriste est élevée et qu’elle justifie de renforcer notre arsenal. Mais comment mesure-t-on la menace terroriste ?
Pour justifier l’état d’urgence et sa prorogation, vous avez affirmé que les violences qu’a connues la France au mois de novembre, seraient le fait de bandes organisées sur fond d’islamisation rampante des banlieues. La Direction centrale des renseignements généraux a démenti, préférant parler de « la condition sociale d’exclus de la société française » des jeunes des banlieues, et sur leur « absence de perspectives et d’investissement par le travail dans la société française ».
Nous savons tous que la France n’est pas à l’abri du terrorisme aveugle.
La lutte contre le terrorisme, c’est surtout une question de coopération internationale ; c’est la recherche, le renseignement, l’information et la coopération entre les pays ; et la sanction du financement des activités terroristes.
Comme l’a dit Mme Assassi, l’argent sale est une des composantes des actes terroristes. Or à l’échelle internationale, les décisions contre le blanchiment sont timides et sans effet réel. L’argent de tous les trafics continue de circuler impunément d’une place financière à l’autre. Notre pays doit agir au sein de l’Union européenne et des institutions internationales !
Il est temps de s’attaquer enfin aux paradis fiscaux et judiciaires. Il y en avait 24 dans le monde en 1960, et 60 en 2004 ! L’Europe en accepte 12 sur son territoire, la France protège Monaco et Andorre !
Aux propositions de Mme Assassi, j’ajouterai l’obligation de transparence, de déclaration des opérations traitées avec les paradis fiscaux et judiciaires ; la levée du secret bancaire ; la traçabilité des revenus et des mouvements de fonds, en appliquant le principe « publiez ce que vous payez » ; l’interdiction de la prise en compte par les places boursières, des comptes consolidés de sociétés non contrôlées...
Coopération, recherche, renseignement, information, sanction du financement des activités terroristes : ce texte est loin de répondre à ces priorités !
Toutes les lois contre le terrorisme ont un point commun : leur caractère fourre-tout. Bien souvent, elles contiennent des mesures diverses relatives à la sécurité et à l’immigration, et elles visent un très grand nombre d’infractions ayant peu de lien entre elles. Quel est le but d’une telle législation si ce n’est de corseter petit à petit la société ? Une législation d’exception fait toujours peser une menace sur les libertés individuelles. Aujourd’hui, cette menace est d’autant plus grande que ce texte sera adopté sur fond d’état d’urgence. Les régimes d’exception s’empilent !
D’amalgame en amalgame, votre gouvernement ne cesse d’attiser les peurs, de désigner des boucs émissaires, de stigmatiser des populations. M. Goujon parle clair en faisant un « paquet cadeau » : délinquance, violence urbaine, terrorisme, tout y est. D’empilement en empilement répressif, vous mettez en péril les fondements de la démocratie, comme vous mettez à mal le socle de notre communauté nationale. Vous jouez avec le feu !
Ayons le courage de refuser ce consensus mortifère. En l’absence de toute évaluation des moyens disponibles, de toute définition des circonstances exceptionnelles, ce projet de loi n’est pas acceptable.