Loi d’orientation et de programmation pour la justice

Publié le 25 juillet 2002 à 00:00 Mise à jour le 8 avril 2015

par Nicole Borvo

Monsieur le Président,
Monsieur le Ministre,
Mes chers collègues,

Monsieur le Ministre, vous légitimez votre projet et l’urgence par le vote des Français et leurs attentes en matière de sécurité.

A l’évidence, les aspirations de nos concitoyens à mieux vivre sont très grandes : emploi, salaires, éducation, tranquillité publique.

De ce point de vue, il est tout aussi évident que gouvernement et majorité précédents ne les ont pas convaincus.

Au demeurant, je me permets de vous rappeler qui, si le discours sur l’insécurité et la délinquance a envahi le champ politique et médiatique, le débat, au cours de la longue période électorale que nous avons connue, n’a pas porté sur les réponses à apporter, sur les choix à faire pour répondre efficacement aux problèmes.

La procédure d’urgence entre le 25 juillet et le 3 août n’est guère appropriée à un débat de fond lisible pour la population. Par contre, les professionnels, les acteurs de la justice, de la prévention, les associations ont fait de nombreuses propositions sur la base de leur pratique.

Les parlementaires eux-mêmes ont commis ces dernières années de nombreux rapports sur la base de travaux sérieux au nombre desquels, récemment, les rapports sur les prisons, sur la délinquance des mineurs, sur les métiers de la justice, que nous connaissons bien.

Or, en dépit des affirmations répétées de dialogue social du gouvernement, tous les représentants des spécialistes concernés par votre projet que j’ai pu rencontrer déplorent de n’avoir pu faire valoir leurs arguments auprès de vous et la précipitation du projet.

Quant aux rapports parlementaires, quoi qu’en dise aujourd’hui la majorité sénatoriale, on en est loin !

Je m’empresse de préciser que, s’il s’agissait seulement úce qui est un des volets du texte- de décider la programmation de moyens importants pour la justice, nous voterions des deux mains. De ce point d vue, nous n’avons cessé de revendiquer. J’ai en mémoire mes propres propos quand Monsieur Toubon était Garde des Sceaux. Les budgets du précédent gouvernement ont été meilleurs. Par exemple, 1500 postes ont été créés à la Protection judiciaire de la jeunesse, alors sinistrée. Vous nous proposez d’en créer autant dans les cinq ans à venir et d’accroître l’effort pour l’ensemble des postes úmais, il faut le souligner, tout particulièrement pour la construction d’établissements pénitentiaires.

En tout état de cause, il faudra juger de la concrétisation de cet effort au moment de la loi de Finances ú je souhaite qu’il soit confirmé.

Mais aujourd’hui nous ne pouvons pas dissocier votre programmation des moyens, des orientations de votre projet.

Or, si je devais résumer celui-ci, je dirais : affichage de circonstance - incohérence - répression, donc danger.

La question du juge de proximité en est l’illustration parfaite, qui prend le problème à l’envers. Nous ne contestons nullement -pour l’avoir maintes fois dénoncée dans cette enceinte- les difficultés pour notre système judiciaire à faire face à une judiciarisation massive de notre société. Mais nous pensons pour notre part que cette tendance profonde doit nous interroger sur la mise en échec des autres modes de régulation.

Pourtant des réflexions existent. Je pense en particulier aux propositions en faveur d’une dépénalisation sociale. Le groupe de travail mené par M. Massot avait d’ailleurs suggéré un « moratoire » quant à la création de nouvelles infractions.

Désengorger les tribunaux, rapprocher la justice des citoyens, qui peut être contre ?

Dans ce but, nous avons soutenu la création des maisons de justice et du droit. De même, le recours à la médiation, à la conciliation sont des voies à développer, qui contribuent à éviter le recours à la justice. Par contre, on peut s’étonner que soit remise en cause la compétence du juge d’instance ; c’est certainement l’institution judiciaire qui fonctionne le mieux (gratuité de la procédure, délais rapides…). Alors qu’il aurait fallu, au contraire, conforter, en élargissant leurs moyens, par l’apport de non professionnels, votre projet est tout différent ú il crée une justice à part, qui suscite à juste titre quelque inquiétude ú n’oublions pas que les juges de paix ont été supprimés parce que qualifiés de « justice de notables » !

En tout état de cause, vous nous demandez de nous prononcer sur la création d’une justice de proximité údont les garanties ne seront examinées qu’à l’automne. Ce n’est pas acceptable. Mon collègue Robert Bret y reviendra.

La réforme de la justice des mineurs correspond encore davantage, hélas, à ce que je disais il y a un instant : affichage de circonstance, leurre quant à l’efficacité. Monsieur le Président Schosteck, contrairement à ce que vous prétendez aujourd’hui, les pistes de la Commission d’enquête sénatoriale étaient singulièrement plus ambitieuses que le présent projet. Par contre, nos craintes sur la possible instrumentalisation de cette commission semblent se confirmer.

Je récuse pour ma part, et mon groupe, par avance les qualificatifs que vous adressez à la gauche en général : laxiste, aveugle, idéologue, se cantonnant dans une opposition stérile .

Je suis convaincue de l’insupportabilité de la monte de l’incivilité, de la violence, de la délinquance. Elle n’est pas propre à la jeunesse, elle concerne et les adultes et les jeunes. Les élus communistes sont très souvent bien au fait des problèmes graves et réels en matière d’insécurité, de la souffrance des populations dans les quartiers pauvres. Mais, pour m’en tenir aux jeunes, je suis tout aussi convaincue úet c’est d’ailleurs ce que le travail de la commission sénatoriale a mis en grande partie en évidence- qu’il ne peut y avoir que des réponses multiples, cordonnées, mettant en œuvre l’ensemble des acteurs de la société :

  • Répression de tout ce qui organise la délinquance : trafics, réseaux, que la police connaît bien- ;
  • politiques publiques, économiques, sociales et culturelles ú c’est d’ailleurs ce que dit l’exposé des motifs- ;
  • responsabilisation des adultes qui sont en charge des enfants et des jeunes, les familles, en les aidant, l’institution scolaire en restaurant son autorité et en lui donnant les moyens de ne pas exclure ;
  • le système éducatif de proximité, la médecine scolaire/pédopsychiatres
  • la prévention spécialisée…

Or, où est le « plan d’ensemble d’envergure » ? J’aurais aimé l’urgence de cette mobilisation tous azimuts.

Certes, votre projet concerne la justice, mais justement, se hâter de mettre en cause úquoi qu’on en dise- l’architecture de la justice des mineurs, fondée sur : la durée, la spécialisation, l’éducatif, et ne retenir que la répression et l’enfermement, annonce la couleur et contredit la mission d’enquête sénatoriale. Outre les professionnels de la justice des mineurs, les responsables, par exemple, d’associations familiales que nous avons entendus ont ouvert bien des pistes úje pense à l’UNAF qui a engagé une réflexion sur la responsabilité des parents à partir notamment des exemples de réussite. Si j’en crois Monsieur Sarkozy et certains ici : pénalisation des parents en cas d’absentéisme scolaire, légalisation des arrêtés municipaux bien connus, couvre-feux, jeunes dans les cages d’escaliers, tout est dit !

Nous ne récusons absolument pas la nécessité de sanction, de réparation, d’éloignement des mineurs quand cela est nécessaire.

Ecoutez ceci « le développement continu de la délinquance juvénile est un des phénomènes les plus inquiétants de l’heure présente ú S’il importe de mettre en œuvre dans la plus large mesure possible les moyens destinés à prévenir la délinquance juvénile, il n’en est pas moins nécessaire de se préoccuper du sort des enfants traduits en justice, lesquels, bien souvent, grâce à un traitement et à des méthodes appropriées, peuvent être amendés et redressés ». Ce n’est pas votre exposé des motifs, c’est ce qu’écrivait Hélène Campinchi, le 9 février 1945. La réponse était la justice des mineurs.

Aujourd’hui, la philosophie qui anime votre texte sur les mineurs est largement fondée sur l’enfermement, en contradiction avec la Convention internationale des droits de l’Enfant, et l’expérience.

Nous aurons l’occasion de revenir dans le débat sur la fixation úde fait- de la majorité pénale à 10 ans úce que la commission d’enquête avait rejeté. Sur la détention provisoire à 13 ans, sur l’ambiguïté des sanctions éducatives, et sur les centres fermés, dont je précise, Monsieur Schosteck, que la commission d’enquête avait suggéré qu’ils se substituent aux quartiers de mineurs des prisons úce qui est très différent du projet actuel !-, ainsi que sur la comparution à délai rapproché, révélatrice de la volonté de déspécialisation de la justice des mineurs.

Quelques mots sur les autres titres : le titre IV sur la procédure pénale, pour dire qu’il remet en cause la loi du 15 juin 2000, adoptée à la quasi-unanimité. Je regrette que le gouvernement précédent ait ouvert la voie, en février dernier, sous la pression, à une première révision, alors même que la loi prévoyait une évaluation en 2003. Nous ne l’avons pas votée. Aujourd’hui, on retourne en arrière avec l’inversion du principe de liberté, le renforcement du rôle du parquet et une limitation sérieuse des garanties individuelles, par l’extension de la procédure de comparution immédiate. La France vient d’être condamnée par la Cour européenne des Droits de l’Homme !

Concernant le titre V sur les établissements pénitentiaires, un mot seulement ici.

Des travaux scientifiques, mais aussi parlementaires existent, qui allaient au-delà des apparences et des solutions de facilité. Je pense, en particulier, aux réflexions sur le sens de la peine qui auraient dû aboutir à une réforme en profondeur du droit pénitentiaire : travaux des commissions d’enquête parlementaire sur les prisons, colloques scientifiques, rapport récent de notre collègue Paul Loridant sur le travail en prison. Nous avions dit à l’époque combien l’élaboration d’une loi pénitentiaire était indispensable et nous avions interpellé à plusieurs reprises le gouvernement Jospin à ce sujet. Hélàs ! Votre projet, quant à lui, en est bien loin, qui retient surtout la nécessité d’augmenter les places de prison et la répartition des détenus en fonction de leur profil !

Enfin, si la volonté de défendre les droits des victimes ne peut avoir que notre adhésion.

Je ferai observer que, les procédures expéditives ne peuvent que défavoriser lesdites victimes, qui n’ont souvent pas la possibilité de se constituer parties civiles.

Pour conclure, permettez-moi de dire que ce qui nous est proposé ici constitue effectivement un choix, un type de réponse aux problèmes de la délinquance, de l’insécurité, mais marque un regard bien pessimiste sur l’avenir.

Le tout répressif, Monsieur le Ministre est sans fin. Il y a en France 900 jeunes en prison, en Grande-Bretagne, 3500. Nous pouvons en avoir autant bientôt avec votre projet. Les Etats-Unis, en matière d’incarcération battent tous les records, tous les records aussi en matière de violence.

Monsieur le Ministre, votre projet est un choix de société : ultralibéralisme sur le plan économique et social d’un côté, répression de l’autre ! Le pire est à craindre !

Nicole Borvo Cohen-Seat

Ancienne sénatrice de Paris et présidente du groupe CRC

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