Limiter le cumul des mandats, c’est aussi donner le pouvoir aux parlementaires de pleinement remplir leur mission

Cumul des mandats

Publié le 18 septembre 2013 à 18:48 Mise à jour le 8 avril 2015

Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, comme l’a souligné la commission de rénovation et de déontologie de la vie publique, dirigée par Lionel Jospin, le cumul des mandats est un sujet essentiel pour l’avenir de nos institutions. Il aurait de ce fait mérité un projet de loi plus ambitieux que celui qui nous va nous occuper. Cela étant, mon groupe soutiendra ce texte, car, bien qu’il soit incomplet, il s’inscrit dans l’exigence démocratique de la vie politique que nous avons toujours soutenue et affirmée autant que possible.

En 2008, par exemple, lors du débat parlementaire sur la réforme constitutionnelle, nous avions proposé un amendement visant à inscrire dans la Constitution le principe de la limitation du cumul des mandats électoraux. La majorité d’alors avait rejeté cet amendement, qui reprenait pourtant une proposition émise par le comité Balladur.

Mais si nous soutenons la limitation du cumul des mandats, nous considérons que des objectifs plus ambitieux sont indispensables pour répondre aux enjeux démocratiques de première importance que les lacunes de nos institutions posent aujourd’hui. J’y reviendrai.

Je voudrais, dans un premier temps, m’arrêter sur quelques aspects.

Des élus qui n’approuvent pas à ce texte avancent l’argument d’un nécessaire ancrage local des élus nationaux. Ils craignent que la prohibition du cumul ne transforme les députés et les sénateurs en « professionnels du Parlement », moins capables, en quelque sorte, de représenter leurs électeurs. Ils craignent, en résumé, que les parlementaires ne soient coupés des réalités de la vie locale. Ce serait effectivement dommageable.

S’ils ont néanmoins raison de se soucier du maintien d’un rapport régulier entre les parlementaires et les électeurs, je pense pour ma part qu’il faut aller plus loin en inventant des formes nouvelles d’immersion dans la vie locale, en associant la population aux choix qui la concernent, car la limitation du cumul des mandats ne peut se concevoir sans développement de la démocratie participative.

Mme Marie-France Beaufils. Ce sera nécessaire !

M. François Rebsamen. On l’a déjà fait !

Mme Éliane Assassi. Pourquoi, par exemple, ne pas prévoir l’obligation pour les parlementaires de venir présenter les projets de loi dans leur circonscription et d’en débattre avec les citoyens ? Pourquoi ne pas instaurer des conseils de circonscription ? Pourquoi ne pas prévoir que nos citoyens puissent intervenir auprès de leurs représentants pour obliger le Parlement à examiner une proposition de loi émanant d’un nombre significatif d’électeurs ? Et ce ne sont là que quelques idées parmi d’autres.

Ne l’oublions pas, le vote de la loi n’appartient qu’au peuple tout entier, soit par référendum, soit par ses représentants au Parlement. Les décisions doivent être prises autrement. La souveraineté populaire doit cesser d’être confisquée. Il est urgent de redonner ce pouvoir à nos concitoyens si nous ne voulons pas voir perdurer la grave crise de la représentation politique que nous connaissons actuellement.

Cette crise du politique vient essentiellement de la prise de pouvoir de l’économie sur la politique, sur le politique. Limiter le cumul des mandats, c’est aussi donner le pouvoir aux parlementaires de pleinement remplir leur mission. Soyons francs : le manque de temps, la précipitation et la surcharge renforcent considérablement, aussi, le pouvoir des lobbies, expression concrète du pouvoir économique.

Certains opposants au non-cumul des mandats agitent aussi le chiffon de la montée du Front national. Je ne cesse de le répéter : le Front national se combat d’abord et avant tout sur le terrain des idées.

M. Éric Doligé. Comme l’extrême gauche !

Mme Éliane Assassi. Pour claquer la porte au nez des idéologies à relents nauséabonds, il faut déjà avoir du courage – tout le monde n’en a pas ! –, il faut également savoir rassurer, répondre, échanger avec la population, afin d’atténuer les craintes d’une dégradation économique de notre pays.

Mais en aucun cas le Front national ne doit servir de prétexte – ce qui serait d’ailleurs lui donner de l’importance – pour fermer la porte aux débats institutionnels et à la nécessaire évolution de nos institutions.

Aucun des arguments avancés en la matière n’est donc convaincant. Au contraire, comme nous le constatons aujourd’hui.

Je vous parlais il y a quelques instants de la nécessité de réfléchir aux enjeux démocratiques de première importance mis à mal par la crise de la représentation. Je vous disais que les solutions que nous devons lui apporter dépassent largement la question de la limitation du cumul des mandats. En effet, en arrière-plan se posent surtout les questions de la professionnalisation de la politique, de la concentration des pouvoirs, tant politiques qu’économiques d’ailleurs, entre les mains d’un petit nombre, du dessaisissement de la souveraineté populaire. Là sont les réels enjeux démocratiques !

Si l’on veut que le lien soit rétabli entre le peuple et ses institutions nationales, il faudra alors bien plus qu’une simple interdiction du cumul des mandats. Tout ce qui entrave l’expression démocratique de la souveraineté populaire doit être aujourd’hui déconstruit. Les modes d’élection, les pouvoirs doivent être réévalués à la mesure de la crise de la représentation actuelle.

Ainsi, et c’est un point crucial pour nous, le scrutin proportionnel doit, selon nous, devenir la règle. Je sais que tout le monde ne partage pas ce point de vue…

M. Philippe Dallier. Eh oui !

M. Éric Doligé. Il fait le jeu du Front national ! Mélenchon, Le Pen, même combat !

Mme Éliane Assassi. Cela ne sert à rien quand cela ne vous arrange pas ! Vous n’avez pas entendu ce que je viens de dire : le Front national se combat sur le terrain des idées, et en ce moment, vous ne contribuez pas à ce combat !

M. François Rebsamen. Bien dit !

Mme Éliane Assassi. Je disais donc que le mode de scrutin uninominal à deux tours tel qu’il existe aujourd’hui pour l’élection des députés, des conseillers généraux et de la moitié des sénateurs, favorise consensus politique, personnalisation, durée et cumul des mandats, et donc la professionnalisation de la politique.

Nous ne cessons de le dire, et nous l’avons encore redit hier, lors de l’examen du projet de loi pour l’égalité entre les femmes et les hommes – peu de nos collègues masculins étaient présents ; je suppose qu’ils étaient pris par ailleurs – : le scrutin proportionnel est le seul qui permet l’égal accès aux femmes et aux hommes aux mandats électifs.

On constate que, parmi les élus, ce sont les hommes qui cumulent le plus et qui effectuent le plus grand nombre de mandats successifs. Cette situation fait barrage aux femmes, mais également aux jeunes et à la diversité sociale et d’origine.

Comment nos concitoyens ne se sentiraient-ils pas mal représentés, pour le moins, quand, dans sa composition, le Parlement n’est réellement plus représentatif de la société telle qu’elle est ? Au Parlement, les ouvriers, par exemple, se comptent sur les doigts d’une main. Les parlementaires sont de plus en plus âgés. La moyenne d’âge, en tout cas à l’Assemblée nationale, n’a cessé de croître depuis la Libération. Et nous sommes en 2013 !

M. Gérard Larcher. On vit plus longtemps !

Mme Éliane Assassi. Limiter ou interdire le cumul des mandats sans instaurer la proportionnelle laissera toute réforme progressiste de nos institutions au milieu du gué.

Autre point : celui de la reproduction des élites. C’est un des problèmes majeurs de notre démocratie. Pour ma part, je pense qu’ils sont trop nombreux – parfois, mais plus rarement, qu’elles sont trop nombreuses – celles et ceux qui sortent des mêmes écoles, qui ont suivi les mêmes cursus.

Cette professionnalisation de la politique est flagrante à l’échelle nationale, mais aussi dans les territoires. La décentralisation a donné des pouvoirs importants aux exécutifs locaux dans une très grande proximité avec les décideurs économiques qui font l’emploi. Certains maires de ville centre, de grosse agglomération, sont présidents d’une importante intercommunalité ; d’autres sont présidents du conseil général ou régional. Les mandats électifs sont en outre souvent assortis de responsabilité locales diverses – présidence de conseils d’administration, de sociétés d’économie mixte, etc. Ils peuvent rester longtemps en place, puisque le renouvellement des mandats n’est pas limité et que le mode de scrutin favorise le localisme.

Il est clair, dans ces conditions, que leur assise locale, souvent assortie du cumul avec un mandat national, crée de véritables « féodalités » par rapport au pouvoir central censé assurer l’égalité des citoyens et des territoires.

Mais allons plus loin encore… À côté d’une Assemblée nationale qui serait élue au scrutin proportionnel, le Sénat n’aurait-il pas un rôle fondamental à jouer dans la mise en place d’une meilleure représentation et d’une plus grande participation des citoyens dans la diversité de leur implication aux décisions ? La Haute Assemblée pourrait ainsi assurer à la fois la représentation territoriale et la représentation sociale, dont on parle peu. Elle pourrait par exemple être composée, pour une moitié, de représentants des collectivités locales élus au suffrage universel direct sur des listes départementales de candidats ayant une expérience élective dans une collectivité et, pour l’autre moitié, de représentants de « groupes sociaux » élus selon les mêmes modalités.

Que les choses soient claires ! Nous sommes favorables au bicamérisme, mais ce doit être un bicamérisme utile, qui permet d’améliorer la qualité de la loi et, comme je l’ai indiqué, d’aboutir à une plus grande participation des citoyens dans la diversité de leur implication aux décisions !

Encore un point crucial manquant à cette réforme, pour que la politique cesse d’être une profession et devienne une activité sociale courante pour un nombre plus important de citoyens, qui pourraient, pendant une période de leur vie, exercer des mandats électifs, il est primordial d’instaurer un statut protecteur leur permettant de retrouver leur emploi après leur mandat ou d’accéder à une formation débouchant sur un nouvel emploi.

Oui, notre démocratie a besoin d’un véritable statut de l’élu, qui ne se limite pas aux seuls aspects financiers !

Il est aussi urgent de revenir sur la réforme du quinquennat et l’inversion du calendrier électoral. Entre autres conséquences, ce dispositif permet au président de la République, c’est-à-dire à une personne, de concentrer dans ses mains de très grands pouvoirs, ce qui peut favoriser des dérives susceptibles d’être très préjudiciables à notre démocratie.

Je conclurai en rappelant que le cumul des mandats concerne tous les partis politiques sans exception, ce qui signifie, pour être clair, que le mien n’y échappe pas. Ces pratiques sont la résultante d’un système institutionnel qui dessert le pluralisme. Il est difficile d’y échapper, même quand on les combat.

On entend ici et là que nous, élus communistes, aurions beaucoup à perdre d’un changement de pratique en la matière.

M. Bruno Sido. Et comment !

Mme Éliane Assassi. Excusez-moi, mais vos petites remarques ne valent pas un sou ! (Exclamations sur les travées de l’UMP.)

Je vois bien que cela vous dérange un peu que l’on vous parle de démocratie et de valeurs ! (M. Bruno Sido s’exclame.)

Pour notre part, nous sommes très attachés à un certain nombre de valeurs. Peu importe si l’adoption du scrutin proportionnel n’est pas à notre avantage ! Peu importe si la question du cumul des mandats ne nous « rapporte » pas, comme le disent certains ! Le problème n’est pas là ! Je me bats pour des principes et des valeurs auxquels je tiens, comme d’autres le font ici aussi. Et c’est tant mieux !

Vous le voyez, mes chers collègues, notre soutien à ce projet de loi n’est pas un simple soutien à une promesse de campagne trouvant sa concrétisation. Il se fonde, j’insiste sur ce point, sur une conviction profonde : l’urgence d’une démocratisation de la vie politique sous tous ses aspects !

Éliane Assassi

Sénatrice de Seine-Saint-Denis - Présidente du groupe CRCE
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