Les règles de prescription sont inadaptées aux caractéristiques spécifiques des agressions sexuelles

Délai de prescription de l'action publique des agressions sexuelles autres que le viol

Publié le 19 janvier 2012 à 08:37 Mise à jour le 8 avril 2015

Rejet par le Sénat d’une proposition de loi soutenue par les associations féministes.

Nous connaissons en France une situation paradoxale : des lois en progrès mais des violences persistantes à l’égard des femmes, expression la plus extrême de la domination masculine.

C’est toujours à la suite d’une longue mobilisation des féministes que des avancées juridiques voient le jour, je pense notamment à la modification dans le code pénal du crime de viol en 1980 ou encore en 1992, quand le harcèlement sexuel devient un délit, lui aussi, défini par la loi.

Chaque fois que la loi a été renforcée et complétée, ce sont de nouveaux outils dont les victimes ont pu se saisir pour faire valoir leurs droits, défendre leur dignité.

Il est donc parfois utile que la réalité perturbe la hiérarchie juridique. Le texte dont nous discutons aujourd’hui, déposé par notre collègue Muguette Dini propose de le faire. C’est la même volonté qui a animé Marie-George Buffet et les député-es de son groupe (communistes, républicains, citoyens et du Parti de Gauche) en déposant à l’Assemblée, il y a quelques mois, une proposition de loi similaire. Cela nous donne une nouvelle occasion de réfléchir et de débattre d’un sujet d’une très grande importance, afin de lever petit à petit les tabous qui l’entoure.

En proposant de soumettre les délits d’infractions sexuelles prévus aux articles 222-27 à 222-31 du code pénal commis sur les personnes majeures, au même délai de prescription que les viols sur personnes majeures, il est en effet préconisé d’augmenter le délai de prescription sans toucher aux peines. Cela est-il possible et nécessaire ?

Nous pensons que oui. Car la détresse des victimes de ces agressions d’un caractère particulier, doit primer le désir de préserver coûte que coûte un lien entre le quantum de la peine et la durée du délai de prescription.

Mes chers collègues, parce qu’il tend à ne léser personne, le droit est nécessairement fait de quelques principes et de beaucoup d’exceptions. J’essayerai de vous convaincre d’en produire une nouvelle en créant un régime spécifique de prescription répondant à des délits spécifiques, afin d’assurer un accès des victimes à la justice.

J’aimerais tout d’abord préciser, que le souci pour nous a été de prendre position de manière éclairée, sur une proposition pouvant apparaitre de circonstance puisque déposée suite à l’affaire « Banon/DSK ».

C’est la même optique qui a prévalu dans la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, présidée par Brigitte Gonthier-Maurin, en auditionnant le 11 janvier 2012 de nombreuses associations féministes engagées sur ce sujet, afin de recueillir leur point de vue. Elles se sont toutes déclarées favorables à l’adoption de cette proposition de loi. Les arguments que je relayerai se font ainsi l’écho de victimes, de personnes engagées sur le terrain, de professionnels du droit, de médecins, qui tous ont constaté cette proximité de nature des viols et des autres agressions sexuelles qui se traduit dans les faits par des cheminements psychologiques proches.

Le constat unanime pour ces associations, est que les règles de prescription sont inadaptées aux caractéristiques spécifiques des agressions sexuelles : sentiments de honte, peur, amnésies partielles, les victimes éprouvent de réelles difficultés à dénoncer des faits liés à ces infractions. De plus, il est reconnu que l’émergence du traumatisme peut prendre des années et que les répercussions du traumatisme peuvent avoir des facettes multiples, y compris d’authentiques pathologies somatiques.

Les membres de la délégation aux droits des femmes, dans leur diversité politique, ont été sensibles à ces auditions. Et ce matin encore, lors d’une nouvelle réunion, aucune voix n’a rejeté la proposition de loi de notre collègue.

Essayons rapidement d’examiner ce qui est reproché à cette proposition, notamment « la banalisation des formes les plus graves d’infractions sexuelles et la négation de l’existence de réalités très différentes ». Or il est justement question de prendre enfin en compte des réalités très différentes coexistant au sein de cette large catégorie que représentent les agressions sexuelles autre que le viol. J’entends par là que la distinction entre agressions sexuelles, viol, tentative de viol, est souvent subtile. Les agressions sexuelles incriminées aux articles 222-27 et suivant du code pénal ne sont définies que négativement par rapport au viol : il s’agit de toute atteinte sexuelle autre qu’une pénétration sur une victime non consentante.

Mais les conséquences sont loin d’être anodines, tous les témoignages concordent pour décrire un état de détresse très poussé chez les victimes d’agressions, même quand il n’y a pas eu pénétration ce qui justifie un allongement du délai de prescription fondé sur une similitude des dégâts psychologiques provoqués.

Il est ensuite reproché à cette proposition d’être inutile, puisqu’on nous dit que « l’allongement du délai poserait un problème de preuve pour des infractions laissant par nature peu de trace médico-légales ». Cet argument est de loin le plus contestable.

Puisque comme l’a fort justement souligné un médecin auditionné, les preuves médico-légales peuvent également manquer lors d’un viol si la victime attend 48 heures, entra înant le non-aboutissement de la plainte.

On nous dit enfin que ce nouveau délai de prescription risquerait de mener à des décisions de non-lieu ou de relaxe au bénéfice du doute, susceptibles d’être douloureuses pour les victimes. En d’autres termes, il nous est expliqué que le dépassement du délai de prescription serait en quelque sorte un mal pour un bien pour les victimes, en les préservant d’une éventuelle déception en cas de non lieu. Il est au contraire probable que la victime vive cela comme un déni de justice ce qui augmentera d’autant son sentiment d’injustice.

J’ajoute que je fais partie de celles et ceux qui pensent que le viol devrait être imprescriptible.

Nous sommes conscients que la question de l’accès à la justice des personnes victimes d’agressions sexuelles dépasse la seule problématique du délai de prescription.

En effet, comme il a été dit, cette proposition ne règle pas les problèmes graves de la formation, de la prévention et de la qualification des personnels chargés de l’accueil et de l’écoute des femmes. Ni celui de l’insuffisance, voir l’absence de campagnes d’information pour sensibiliser l’opinion publique, pour modifier les mentalités, les rapports femmes/hommes encore trop souvent empreints d’un rapport de subordination/domination. Il faut également améliorer le traitement des plaintes par le ministère public, ce qui pose à son tour le problème des moyens accordés à la justice.

Mais la loi cadre contre les violences faites aux femmes proposée par le CNDF (Collectif national Droits des femmes) et qui a nourri la loi du 9 juillet 2010 comporte tous ces aspects car elle vise à agir mieux sans réprimer plus.

Il ne tient qu’à nous, sénatrices et sénateurs, de nous en saisir pour améliorer la loi existante adoptée suite à une très forte mobilisation des féministes.

Pour l’heure, parce que la prise en compte du mal être des victimes d’agression sexuelles graves est primordial, le groupe CRC votera ce texte comme un premier pas vers une législation permettant une meilleure prise en charge de toutes celles et de tous ceux qui vivent de tels drames.

Le constat unanime pour ces associations, est que les règles de prescription sont inadaptées aux caractéristiques spécifiques des agressions sexuelles : sentiments de honte, peur, amnésies partielles, les victimes éprouvent de réelles difficultés à dénoncer des faits liés à ces infractions. De plus, il est reconnu que l’émergence du traumatisme peut prendre des années et que les répercussions du traumatisme peuvent avoir des facettes multiples, y compris d’authentiques pathologies somatiques.

Laurence Cohen

Sénatrice du Val-de-Marne
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