Le sarkozysme, un pouvoir personnel de type néo-bonapartiste

Application de l'article 68 de la Constitution

Publié le 14 janvier 2010 à 09:46 Mise à jour le 8 avril 2015

Nous reprenons -nous devrions reprendre si la motion de renvoi ne nous en empêchait pas- la discussion engagée ici en février 2007 sur une question particulièrement sensible, la responsabilité pénale du chef de l’État.

Curieusement, une disposition clé de la réforme constitutionnelle, la procédure de destitution prévue par l’article 68 « en cas de manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat », est inopérante puisqu’aucun projet de loi organique permettant sa mise en oeuvre par le Parlement n’a été présenté par le Gouvernement. Cette absence de volonté de donner au Parlement un droit de contrôle sur le comportement pénal du chef de l’État est tout un symbole...

Le renforcement du régime présidentiel organisé par Nicolas Sarkozy, concrétisé par la révision constitutionnelle de juillet 2008 et par sa pratique quotidienne, ne s’accorde guère avec l’instauration d’une forme d’impeachment à la française. Je pense que l’idée même d’une convocation par un Parlement constitué en Haute Cour ne plaît guère à celui qui a obligé le Parlement, réuni en Congrès selon son bon vouloir, à l’écouter sans aucune réplique possible. Ce Président de la République, on ne le rappellera jamais assez, est en même temps chef du Gouvernement, chef de la majorité parlementaire, chef du premier parti de la majorité et il nomme les hauts responsables des médias et de la justice... Il a modifié et modifie chaque jour encore l’équilibre institutionnel pour favoriser plus encore qu’un régime présidentiel -qui exige des contre-pouvoirs- un pouvoir personnel de type néo-bonapartiste.

Le débat de 2007 apparaît donc à la fois bien proche et bien lointain. Car nous sommes en train de changer de régime. Nous ne nous opposerions pas à cette proposition de loi si la majorité, protectrice du pouvoir exécutif, n’occultait pas le débat en proposant une motion de renvoi en commission sine die. (M. le rapporteur le conteste) Mais l’heure va venir où le Parlement devra se saisir de son propre devenir, s’interroger sur son rôle et sa place dans nos institutions et proposer puis voter un vrai rééquilibrage entre les pouvoirs exécutif et législatif...

Nous avions exposé en 2007 que, en dehors des actes commis par le Président dans le cadre de ses fonctions, un seul principe devait prévaloir : le Président est un citoyen et à ce titre, il est redevable de ses actes devant les tribunaux de droit commun, y compris au cours de son mandat. Ce n’était pas une position provocatrice puisque nous rejoignions là une tradition de la doctrine constitutionnelle française, symbolisée par l’éminent professeur Léon Duguit qui, évoquant, en 1924, l’article 6 de la Constitution de 1875, indiquait : « Le Président n’est responsable que dans le cas de haute trahison (...) On s’est demandé quelquefois si cette formule excluait la responsabilité du Président pour les infractions de droit commun. Évidemment, non. Dans un pays démocratique et d’égalité comme le nôtre, il n’y a pas un citoyen, quel qu’il soit, qui puisse être soustrait à l’application de la loi ni échapper à la responsabilité pénale ». M. Foyer, ancien garde des sceaux, l’un des pères de cet article 68 dont nous discutons, rappelait, en s’opposant au Conseil constitutionnel, que le Président de la République devrait être considéré sur le plan pénal comme un simple citoyen.

Aujourd’hui, le Président est irresponsable ad vitam aeternam pour les actes commis dans le cadre de ses fonctions et pour le reste, il faudra attendre la fin de son mandat. Or, nous le savons tous, une instruction engagée cinq ans ou dix ans après les faits perd beaucoup de ses moyens. Nous avions défendu en 2007 une position claire qui reprenait une idée portée par l’Assemblée nationale en 2001 : les tribunaux communs sont compétents pour les actes commis par le Président de la République comme citoyen ordinaire et pendant l’exercice de son mandat, qu’il s’agisse d’un divorce, d’un accident de la circulation ou pire... Cela préservait le principe de la suprématie des pouvoirs et le principe -qui ne souffre aucune exception- de l’égalité des citoyens devant la loi. Une telle modification de la Constitution serait d’autant plus opportune que l’actuel Président multiplie, lui, les procédures judiciaires, y compris contre des insultes proférées à son égard, alors que l’inverse n’est pas possible et que chacun a en tête des occasions qui auraient permis à un simple citoyen de saisir la justice. La Cour de Versailles venant de déclarer que le Président « est une victime comme une autre », il devrait, en matière de droit commun, être un justiciable comme un autre...

Comment ne pas être frustré devant les limites posées au débat d’aujourd’hui alors que c’est l’ensemble de la fonction présidentielle qui est à revoir ? Nous voterons contre le renvoi en commission, car le débat doit avoir lieu, et nous nous serions abstenus sur la proposition de loi.

Nicole Borvo Cohen-Seat

Ancienne sénatrice de Paris et présidente du groupe CRC

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