Laïcité (2)

Publié le 2 mars 2004 à 18:21 Mise à jour le 8 avril 2015

par Ivan Renar

Monsieur le Président,

Monsieur le Ministre,

Chers Collègues,

Le texte de loi que nous examinons a suscité et suscite encore bien des passions. Et ce, d’autant plus que le débat intervient en pleine campagne électorales. On pourra regretter les arrière-pensées qui ont guidé le calendrier. L’histoire nous a enseigné qu’il n’était pas sain de légiférer dans l’urgence et sous la pression des événements.
Nous savons aussi déjà que cette loi ne règlera pas les problèmes de fond auxquels notre société est confrontée, à savoir les inégalités sociales, les exclusions et toutes les conséquences que celles-ci provoquent en matière de comportements, de repli sur soi, de communautarisme, d’extrémisme et d’absentéisme, qui constituent en quelque sorte la toile de fond du débat d’aujourd’hui.

Dans le même temps et pour être honnête, cette loi ne peut être appréhendée comme relevant uniquement de contingences électoralistes. Il me semble en effet qu’elle répond à une urgence, même si je concède volontiers que ce texte est très imparfait. J’y reviendrai.

Tout d’abord, pétition de principe !
Les droits des hommes et des femmes, qui ont émergé en 1789, représentent une rupture politique historique et une libération pour tous : c’est la base de la laïcité française et de sa vocation égalitaire et démocratique au service de tous et de la satisfaction des besoins sociaux et culturels de chacun.

C’est le résultat de combats séculaires contre les sociétés seigneuriales, aristocratiques et cléricales fondées sur l’inégalité et la hiérarchisation sociales et justifiées par un ordre naturel ou divin. Avec pour illustration de la fin de ces hégémonies, l’article 1 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 : « les hommes naissent libres et égaux en droits ». C’est la proclamation que chaque être humain naît et demeure sujet et porteur de droits égaux, inaliénables, imprescriptibles et universels. C’est aussi l’affirmation du droit à la différence dans l’égalité. C’est enfin une égalité inscrite dans le droit public, dans les lois et dans la Constitution de 1958, qui, dans son article 1, instaure une République « une, indivisible, laïque et sociale ».

C’est dans cet esprit que la République laïque doit vivre : pas de manière défensive, mais comme un programme à réaliser. Comme une spécificité à vocation universelle à faire vivre au présent et dans le monde. Parce que, par exemple, la France laïque est seule au monde à connaître le divorce par consentement mutuel et le mariage civil obligatoire.
Ces principes ont fondé notre communauté républicaine qui est actuellement menacée. C’est de cela en fait que nous parlons et de rien d’autre.

Aussi suis-je pleinement conscient que nous n’examinons pas ici une loi d’intégration, redonnant vraiment corps au principe de laïcité que la République se doit de promouvoir avec détermination.
Cependant, cette loi définit une règle, fixe des limites qu’aujourd’hui bon nombre de nos concitoyens appellent de leurs vœux. En se déclarant attachés à la laïcité, ils expriment leur refus de voir abritées dans l’espace public des vérités révélées, absolues, ou des dogmes idéologiques. C’est pourquoi, je vous le dis tout de suite, je voterai cette loi.

Je pense d’abord aux victimes, en particulier aux jeunes filles et aux femmes qui ont besoin du renfort de la loi. LACORDAIRE avait déjà pressenti les contradictions à gérer quand il affirmait qu’« entre le fort et le faible, c’est la liberté qui opprime et c’est la loi qui libère ».
Pensons à ces jeunes filles silencieuses, réduites au mutisme, soumises en permanence à une autorité et à un contrôle social masculins, dans la famille, dans l’immeuble, dans le quartier. Car le voile est bien le symbole de l’infériorité et de la sujétion des femmes. Comment expliquer l’égalité des sexes à des enfants si, dans la classe, ils se trouvent confrontés à une situation démontrant exactement le contraire.

Pensons aussi aux femmes qui, en Afghanistan, en Iran, en Arabie Saoudite, et partout dans le monde, luttent contre les humiliations, les violences et parfois même contre la lapidation comme au Nigeria. Elles peuvent recevoir cet acte symbolique fort de notre République comme un véritable signe d’encouragement.

Je pense également au corps enseignant, professeurs, équipes pédagogiques et chefs d’établissement qui se sont très majoritairement prononcés en faveur de ce texte qui permettra enfin de mettre un terme aux tergiversations multiples qu’engendrait l’application de telle circulaire ou de tel arrêt du Conseil d’Etat, imprécis, peu lisibles ou laissant libre cours aux interprétations les plus diverses.

Mais, plus important encore, cette loi constituera un recours pour toutes celles et ceux qui subissent des pressions quotidiennes de la part des intégristes, extrémistes et néo-prophètes de toute sorte. Car il est bon de rappeler que l’Etat est garant du libre exercice par chacun de sa liberté de conscience, de son expression ou de sa non-expression. Il se doit d’intervenir quand celle-ci est menacée.

Ceci dit je pense à la majorité silencieuse de nos compatriotes d’origine maghrébine ou musulmane qui souhaitent que les lois de la République les protègent contre l’intégrisme religieux. Je reprendrai ici les propos de l’écrivaine Chahdortt DJAVANN selon laquelle cette loi, qui clarifie la situation, « est une réelle chance pour tous les musulmans laïcs de France. Ils pourront vivre tranquillement leur religion sans qu’on les stigmatise par ce symbole d’humiliation des femmes, sans qu’on fasse l’amalgame entre d’un côté l’immense majorité des musulmans, qui ne créent et ne souhaitent pas de problèmes, et, de l’autre, les islamistes ; sans que le voile soit la carte d’identité des bonnes musulmanes et son absence, la marque d’infamie des autres ».
En ce sens, cette loi est utile. L’erreur consisterait néanmoins à ne pas s’interroger sur les racines du mal que ce texte tente en partie de combattre.

Sur ce point, les élus de la nation auraient tout intérêt à écouter avec la plus grande attention les propos des femmes et des hommes de culture musulmane, croyants, agnostiques ou athées qui rejettent avec force l’islamisme politique. Comme l’ont indiqué nombre de ceux-ci, je les cite : « la floraison actuelle de voiles en France a trouvé un terreau dans les discriminations dont sont victimes les enfants issus de l’immigration. En aucun cas, elle n’y a trouvé une cause, et certainement pas un rappel de la mémoire maghrébine : il y a bien derrière ce prétendu « choix » dont se réclament un certain nombre de filles voilées, une volonté de promouvoir une société politique islamiste, s’appuyant sur une idéologie militante active sur le terrain et affichant des valeurs dont nous ne voulons pas ». Je les cite encore : « Nous sommes conscients que l’Islam a été mal reconnu en France, et qu’il manque de lieux de prière ».

Ils nous rappellent avec raison que l’idée de laïcité à « la française » a beaucoup perdu de sa valeur pour eux et, effectivement, face à cette perte de valeur, deux voies se présentent à eux : ou bien retrouver la force d’une laïcité vivante, c’est à dire de l’action politique au quotidien pour faire avancer leurs droits et se revendiquer d’acquis pour lesquels se sont souvent battus leurs pères et leurs mères qui appartenaient à des classes sociales, des cultures, des peuples et des nations avant d’appartenir à l’islam ; ou bien opter pour le repli communautariste, attitude qui est largement encouragée par les fondamentalistes qui rêvent d’instaurer une société inégalitaire, répressive et intolérante.

Monsieur le Président, Monsieur le Ministre, Chers Collègues, sachons entendre ce signal d’alarme. La République doit relancer le processus d’intégration, compris comme adhésion aux valeurs qu’elle défend, et restaurer l’égalité des chances. Il lui faut, sans plus attendre, s’engager dans une vaste entreprise de réhabilitation des valeurs de liberté, d’égalité, de fraternité et de justice, faute de quoi cette loi sera contre-productive.

A cette fin, les pouvoirs publics ont pour mission de lutter avec force contre toutes les formes de ségrégation sociale et ethnique. De même, doivent être combattues avec la plus grande fermeté les discriminations à l’embauche, au logement. Autrement dit, il faut que l’Etat et les collectivités locales, à hauteur de leurs possibilités respectives, consacrent tous les moyens nécessaires à la mise en œuvre d’une réelle politique de la ville, de l’emploi et de l’éducation, pour ne pas laisser en déshérence certaines zones du territoire national et en souffrance la part la plus jeune et la plus demandeuse de notre population.

L’adhésion aux valeurs républicaines exige un égal traitement de tous les citoyens, désireux de vivre ensemble, quelles que soient leurs origines, leur culture, leurs options philosophiques et religieuses. Cela implique aussi d’assurer dans le cadre de la loi, par divers accommodements raisonnables, un meilleur respect des coutumes alimentaires, des traditions funéraires ou des grandes fêtes religieuses.
Je me sens totalement athée, mais je sais que les religions appartiennent à l’histoire de l’Humanité. Je me prononce ainsi pour l’adoption d’un code de la laïcité qui serait enseigné dans les écoles et pour des cours de civilisation, intégrant les cours sur les religions, destinés à lutter contre l’analphabétisme religieux, combattre cette inculture propice à tous les fanatismes et provoquer l’intérêt pour les croyances des autres.

Mon ami Jean-Pierre BRARD, député-maire de Montreuil, a pris des initiatives exemplaires dans ce domaine, en créant un Centre civique d’étude du fait religieux qui rassemble de façon régulière les représentants des trois grandes religions majoritaires ainsi que des cycles de conférences publiques.
L’une d’elle, récemment, portait sur le voile. Jean-Pierre BRARD me racontait en souriant comment le président - malien - de la fédération des institutions musulmanes de sa ville a mis tout le monde d’accord avec cette formule : « quand l’Islam est arrivé chez nous, il a trouvé des femmes en pagne ; elles y sont toujours car Dieu n’est pas dans le voile mais dans le cœur ! ». Bel exemple de sagesse et de justice.

Je voudrais rappeler même si, depuis quelque temps on a perdu le fil d’un Islam ouvert et tolérant, que c’est cette religion qui a produit des philosophes comme AVERROES ou une architecture comme celle d’Andalousie, que c’est l’Islam qui a inventé le système universitaire (de Bagdad et de Cordoue), ainsi que l’hôpital (en arabe, baramestan)
Car il existe un Islam des Lumières. Il ne faut pas l’oublier.

En conclusion, à la lumière de l’enjeu fondamental que constitue la restauration du principe de laïcité, comme affirmation du droit à la différence dans l’égalité, garant de la cohésion nationale, socle de la volonté des individus de vivre en commun, je voterai ce projet de loi. Je considère que cette loi ne constitue qu’une première étape d’un immense chantier qui vise à faire ré-adhérer l’ensemble des français, quelle que soient leurs origines, aux valeurs de la République, chantier auquel nous nous devons tous de participer.
Il faudra aussi que les circulaires d’application de la loi soient rédigées avec discernement et intelligence politique et que le Parlement soit régulièrement informé.

Et, en conclusion de la conclusion qui peut tous nous rassembler au-delà du vote, je veux rappeler encore une fois que la laïcité constitue l’un des principes fondateurs de notre République. Elle doit être affirmée et défendue, car elle nous permet de vivre ensemble avec la diversité de nos convictions et de nos croyances. Elle constitue également un équilibre entre la sphère publique et la sphère privée. En ce sens, elle garantit à chacune et à chacun la liberté de croire ou de ne pas croire, de pratiquer une religion, ou de ne pas le faire tout en affirmant le fait public et la neutralité des services qui en découlent. Aucune atteinte à ces principes ne peut être tolérée.

Les acteurs du service public, qu’ils soient enseignants, médecins, magistrats, employés de collectivité territoriale, doivent avoir davantage les moyens de faire respecter les textes législatifs existant et ceux à venir. Car nous n’en serons pas quitte avec cette loi.

Dans un an, ce sera le centenaire de la loi de séparation de l’église et de l’Etat de 1905. Je vous propose, mes chers collègues, que ce soit l’occasion d’ouvrir un vaste débat sans passion et le plus large possible afin de réactualiser toutes les lois, y compris celle-ci et celle-là, afin de faire vivre leurs valeurs : droits de l’homme, démocratie et tolérance, et si le destin de l’home, c’est l’homme, de ne jamais oublier que nous appartenons avant tout à une communauté qui s’appelle l’humanité.

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