Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le juriste et homme politique britannique James Bryce affirmait que si les institutions sont au corps politique ce que le squelette est à l’organisme humain, les partis politiques en constituent les muscles et les nerfs.
Ce sont bien les partis politiques, dans leur diversité, qui contribuent au bon fonctionnement de la démocratie et qui la font vivre, conformément d’ailleurs aux termes de l’article 4 de notre Constitution.
Il me paraît donc primordial de réaffirmer ici, en préambule, toute l’importance qu’ont ces partis politiques au regard de la reconnaissance de candidats « sans étiquette ». J’y tiens, car la tendance à la méfiance et au dénigrement des partis politiques, accompagnée d’une revendication de prétendue « dépolitisation » et de neutralité recèle, en réalité, un danger important pour la démocratie. Pour reprendre l’image utilisée par James Bryce, la disparition des partis reviendrait à « décharner » notre squelette institutionnel.
En outre, cette prétendue « dépolitisation », traduite par l’absence d’étiquette, relève souvent davantage d’une posture et d’une volonté de récupération politicienne que d’une véritable neutralité politique, dont on ne sait d’ailleurs trop ce qu’elle signifie.
Faire de la politique signifie faire des choix et prendre position ; il n’existe pas de décisions et de choix « neutres ».
Par ailleurs, force est de constater que la plupart de ceux qui affirment n’être affiliés à aucun parti sont tout de même bel et bien rattachés à la droite… (Mme Esther Sittler le conteste.)
Pour en venir au cœur du débat, cette proposition de loi vise à permettre aux candidats de se présenter aux élections municipales avec la nuance « sans étiquette » dans les communes de moins de 3 500 habitants. Son dépôt fait suite aux dernières élections municipales, à l’occasion desquelles des listes se revendiquant « sans étiquette » se sont vu attribuer des « nuances politiques », qu’elles ont découvertes lors de la parution du fichier officiel des candidatures diffusé par le ministère de l’intérieur et qui ne les satisfaisaient pas toujours.
Depuis cette année, le mode de scrutin applicable aux communes de 1 000 à 3 499 habitants est aligné sur celui déjà en vigueur pour les plus grandes communes.
Outre l’obligation de déposer des listes complètes et paritaires, les candidats ont dû déclarer une « nuance politique » figurant dans la nomenclature officielle établie par le ministère de l’intérieur pour « permettre une meilleure connaissance et compréhension des équilibres politiques nationaux » et « apporter un éclairage aux citoyens sur l’offre politique qui a lieu à un moment donné de notre histoire ».
La « nuance », attribuée par l’administration, se veut distincte de l’« étiquette », choisie par le candidat, et du parti politique. La nuance, notion plus large que celle d’étiquette, correspond à un parti, à un mouvement ou à une tendance politique.
À gauche, la nomenclature distingue, par exemple, les listes « socialistes » des listes d’« union de la gauche », investies par le parti socialiste et un autre parti de gauche, et des listes « divers gauche », où sont représentées le parti radical de gauche ou le Mouvement républicain et citoyen.
Les candidats s’étant déclarés « sans étiquette » se sont donc vu attribuer par les préfectures une nuance qui n’est pas toujours en cohérence avec les sensibilités représentées dans les listes concernées.
Rappelons qu’il existe une catégorie « divers », qui devrait permettre d’éviter toute référence partisane et semble suffisante pour classer les listes d’union, « neutres » ou transpartisanes. C’est d’ailleurs dans cette catégorie que de nombreuses préfectures ont classé les listes refusant les nuances « gauche » ou « droite ».
Rappelons également que, le cas échéant, les candidats ont pu déposer un recours pour contester la nuance leur ayant été attribuée. L’ajustement doit se faire non pas par la loi, mais plutôt à l’échelon des préfectures, qui certes pourraient affiner leur travail sur les nuances politiques.
M. Bernard Cazeneuve, ministre. C’est vrai !
Mme Éliane Assassi. Dès lors, faut-il légiférer pour corriger les erreurs ? Nous ne le pensons pas.
Il nous appartient, me semble-t-il, de redonner tout son sens à l’engagement politique, parfois masqué à des fins politiciennes. À quelques jours de l’ouverture de la campagne des élections sénatoriales, nous nous interrogeons sur la pertinence de cette proposition de loi, qui amplifie l’inflation législative plus qu’elle ne clarifie la situation pour les communes de moins de 3 500 habitants.
J’indique dès à présent que notre groupe s’abstiendra, pour les raisons que je viens d’évoquer.