La majorité sénatoriale refuse le débat

Garde à vue

Publié le 29 avril 2010 à 09:53 Mise à jour le 8 avril 2015

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, c’est la troisième fois en peu de temps que nous sommes amenés à débattre de la garde à vue. Et comme il l’a fait pour la précédente proposition de loi sur ce sujet dont il était déjà le rapporteur, M. Zocchetto, avec une certaine constance, nous demande de renvoyer l’examen de celle-ci à plus tard.

Encore une fois, nous ne pouvons nous satisfaire de cette réponse.

Voilà un mois, j’avais demandé que la commission des lois travaille à un texte commun à partir des différentes propositions de loi existantes et, bien évidemment aussi, des dispositions figurant dans l’avant-projet de loi du Gouvernement.

Non seulement ce n’est pas le cas, mais la commission refuse également de se saisir du texte qui nous est présenté aujourd’hui, préférant laisser au Gouvernement l’entière initiative dans ce domaine.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. La commission a mis en place un groupe de travail spécifique confié à nos collègues Jean-René Lecerf et Jean-Pierre Michel !

M. François Zocchetto, rapporteur. Il poursuivra d’ailleurs ses auditions cet après-midi !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. La révision constitutionnelle, suivie par la réforme du règlement du Sénat, était destinée – c’est du moins ce qui nous a été affirmé – à conférer aux législateurs que nous sommes des pouvoirs accrus.

En nous cantonnant, de fait, à des interventions générales, les deux demandes successives de renvoi à la commission émanant de la majorité nous privent de tout débat réel. Quelle belle illustration des limites posées à l’initiative des groupes et du sort réservé à leurs propositions quand elles ne correspondent pas aux souhaits du Gouvernement ou du Président de la République !

Il est significatif que nous soyons saisis par le Gouvernement de la vingt-troisième loi sécuritaire depuis 2002, mais que le Parlement ne puisse être à l’origine d’un seul texte relatif aux libertés individuelles.

Aussi, je vous demande, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, d’accepter que s’engage la discussion sur le présent texte. C’est avec cet objectif que j’ai déposé un certain nombre d’amendements. Les dispositions qui y figurent sont d’ailleurs issues de la proposition de loi que j’ai moi-même déposée avec mes collègues du groupe CRC-SPG, texte que je suis prête – je ne m’en priverai d’ailleurs pas – à présenter dans le cadre d’une semaine d’initiative parlementaire. Cela amènerait le Sénat à discuter une quatrième fois de la garde à vue et constituerait une preuve manifeste supplémentaire du rôle mineur conféré au législateur. (M. Jean-Pierre Michel applaudit.)

Examiner cette proposition de loi serait en outre d’autant plus opportun tant il est vrai que l’avant-projet du Gouvernement sur la réforme de la procédure pénale nourrit des inquiétudes croissantes et fait naître une contestation grandissante parmi de nombreux professionnels.

Des représentants des magistrats et des avocats ont préféré quitter la concertation, totalement faussée, que mène Mme le garde des sceaux, notamment parce qu’elle refuse toute discussion sur la suppression du juge d’instruction ou l’indépendance du parquet. Les hauts magistrats de la Cour de cassation ont émis sur le texte gouvernemental un avis défavorable, considérant qu’il « ne garantit pas suffisamment les équilibres institutionnels et l’exercice des droits de la défense et des victimes ». Concernant le sujet qui nous intéresse aujourd’hui, ils estiment que le « contrôle de la garde à vue ne peut dépendre de l’autorité de poursuite ».

A été évoquée l’idée d’un texte spécifique sur la garde à vue. Depuis, Mme le garde des sceaux a indiqué qu’elle envisageait de scinder son avant-projet en deux parties qui seraient examinées en parallèle par l’Assemblée nationale et le Sénat, mais aucune date n’a été annoncée. Tout cela n’est vraiment pas clair ! Ce qui l’est, en revanche, c’est la nécessité, au vu de l’actualité, de ne pas attendre davantage pour légiférer sur la garde à vue.

Pour ce qui est des faits, il est urgent d’en finir avec des situations telles que celle que nous avons vécue à la fin du mois de mars dernier, quand trois lycéens marseillais ont été placés en garde à vue pendant plusieurs heures, fouillés au corps et menottés pour avoir insulté la fille d’une commandante de police.

Quant au nouvel arrêt Medvedyev c/France prononcé par la grande chambre de la Cour européenne des droits de l’homme, s’il fait certes l’objet d’interprétations diverses, voire divergentes, il ne paraît cependant pas infirmer le jugement rendu en première instance, puisqu’il rappelle qu’un « magistrat doit présenter les garanties requises d’indépendance à l’égard de l’exécutif », ce qui n’est évidemment pas le cas du procureur de la République.

C’est précisément pour cette raison de fond que nombre de professionnels sont fondamentalement opposés au projet de suppression du juge d’instruction.

Pour revenir à la proposition de loi présentée aujourd’hui par notre collègue et les membres du groupe socialiste, si je soutiens globalement les dispositions qui y sont inscrites, j’ai déposé trois amendements à mes yeux très importants, lesquels, je le répète, reprennent des propositions issues du texte que j’ai moi-même déposé.

Deux de ces amendements ont pour objet de restreindre le champ de la garde à vue.

Le premier vise à exclure les régimes dérogatoires pour terrorisme, association de malfaiteurs ou trafic de stupéfiants. J’ai entendu les différents points de vue qui se sont exprimés, mais il n’en demeure pas moins que l’extension continue des dérogations pose problème.

Le deuxième amendement, auquel je suis particulièrement attachée, tend à supprimer la garde à vue stricto sensu des mineurs.

Le fait de redonner du sens à la garde à vue et d’empêcher une constante augmentation par des lois toujours plus répressives comme par les pratiques en cours suppose inévitablement de restreindre son champ d’application.

Au travers du troisième amendement, je souhaite poser le principe du droit de la personne gardée à vue au respect de sa dignité et de la responsabilité de l’État en cas d’atteinte à cette dignité. Je note, sur ce point, que le directeur général de la police nationale, M. Frédéric Péchenard, a récemment souligné dans un entretien accordé à un journal qu’il n’était « pas hostile à ce que la loi interdise la fouille à corps », insistant sur le fait qu’il fallait que « ce soit la loi » qui fixe une telle interdiction. Effectivement, mes chers collègues, c’est à nous, législateurs, qu’il appartient de le décider. À mon sens, au-delà des citoyens eux-mêmes, les deux institutions policière et judiciaire ne pourraient que tirer bénéfice d’une telle disposition.

Une fois encore, je souhaite dire ici combien il me paraît indispensable de tenir bon sur les principes de la justice et du droit, de la justice et des droits, et de cesser de banaliser à tout propos leur non-respect, voire leur négation.

Pour toutes ces raisons, mes chers collègues, je vous demande de renoncer à voter la motion tendant au renvoi à la commission de la proposition de loi et de débattre des conditions de la garde à vue, en prenant nos responsabilités de législateurs !

Nicole Borvo Cohen-Seat

Ancienne sénatrice de Paris et présidente du groupe CRC

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