Les intercommunalités doivent rester des outils de coopération entre les mains des communes

Affirmation des métropoles : conclusions de la CMP

Publié le 19 décembre 2013 à 17:42 Mise à jour le 8 avril 2015

Monsieur le président, mesdames les ministres, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous voici arrivés au terme de nos travaux sur le projet de loi dit « de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles ».

Chacune des étapes de ce marathon législatif fut en fait une course de vitesse. À cet égard, la dernière, celle de la CMP n’est pas en reste : les sénatrices et les sénateurs n’auront disposé que de quelques heures pour prendre connaissance du texte final qui nous est soumis ce matin. Cette manière de procéder n’est respectueuse ni du travail des parlementaires ni du Parlement lui-même.

En fait, tout au long de nos débats, plus que de modernisation, il fut surtout question de mesures visant à toujours plus encadrer et toujours plus réduire l’action des collectivités territoriales. L’objectif évident était de répondre aux injonctions de Bruxelles en réduisant la dépense publique au niveau local.

Dès le début de nos travaux, en avril dernier, nous avions fait part de nos interrogations, de nos réticences et de nos désaccords sur un grand nombre d’articles de ce projet de loi.

Nous espérions être entendus, même partiellement, sur les nombreuses propositions que nous avons soumises au débat, en particulier celles qui concernaient le développement du pouvoir d’intervention de nos concitoyens.

Tous nos amendements étaient fondés sur le respect de notre architecture institutionnelle locale – communes, départements, régions – et le renforcement de l’action de chacun de ces échelons par le développement de coopérations multiformes à partir de projets partagés tendant à toujours mieux répondre aux attentes de nos populations.

Plus précisément, nous avons en permanence soutenu l’idée que les intercommunalités devaient rester des outils de coopération entre les mains des communes, et non des instruments d’intégration visant à la disparition de ces dernières.

Dans le même temps, nous avons toujours refusé de nouveaux désengagements de l’État, lequel, se défaussant de ses responsabilités sur les collectivités territoriales, met à mal l’égalité des citoyens et brouille toute perspective d’un développement équilibré et harmonieux de nos territoires, ces territoires qu’il préfère mettre en concurrence.

Nos propositions reprenaient, pour l’essentiel, les préoccupations qui s’étaient manifestées au cours des États généraux de la démocratie territoriale, organisés par le Sénat, afin de permettre l’émergence d’un « acte III » de la décentralisation, fondé cette fois sur les besoins des élus locaux et des populations et faisant confiance à l’ « intelligence territoriale », comme aime à le rappeler notre rapporteur.

Chacun d’entre nous doit se souvenir des rencontres départementales que nous avons organisées, au cours desquelles les prises de parole furent libres et exigeantes. Des centaines d’élus locaux participèrent aux débats au sein des ateliers et lors de la séance plénière à Paris.

Nous souvenant de ces paroles échangées, de ces exigences partagées, nous sommes bien obligés de constater que votre projet de loi et ceux qui vont suivre ne répondent nullement aux attentes fortes qui s’étaient alors exprimées.

Cette volonté d’un acte III de la décentralisation, dont plus personne ne parle, était née particulièrement du constat que la réforme de 2010, condamnée sur toutes les travées de gauche, avait été jugée trop éloignée des attentes des différents acteurs de nos territoires.

Malheureusement, le texte que vous nous avez proposé, madame la ministre, s’inscrivait dans les pas de cette loi de 2010 pourtant décriée par vous et vos amis, ainsi que par de très nombreux élus, bien au-delà de la gauche.

Je me souviens qu’un certain jour de novembre 2010, à quelques pas de l’Assemblée nationale, alors que se réunissait la CMP sur ce projet de réforme des collectivités territoriales, une députée socialiste, présidente de la Fédération nationale des élus socialistes et républicains, dénonçait, aux côtés des élus communistes, républicains, et citoyens, cette réforme mettant à mal la libre administration des collectivités territoriales. Nous étions alors en plein accord, madame la ministre.

Pour notre part, nous n’avons pas changé et continuons le même combat. D’abord, celui du respect de notre démocratie locale, qui permet aux citoyens, dans la proximité, d’intervenir et d’être partie prenante de l’action publique.

Puis, celui du développement de l’action publique au service de tous, au plus près des besoins et des attentes des populations, en particulier de celles qui souffrent le plus de la crise.

Il est vrai qu’une telle volonté, qu’une telle perspective, semblent ne plus être à l’ordre du jour de la majorité gouvernementale. Nous ne pouvons que le regretter et n’acceptons pas que les politiques d’austérité deviennent aujourd’hui la norme dans nos collectivités territoriales ni que les citoyens soient toujours plus écartés des lieux de décision.

Dans ces conditions, compte tenu de notre critique sur les orientations portées par ce projet de loi et par cohérence avec notre position lors de chaque lecture, nous ne voterons pas les conclusions de la commission mixte paritaire.

Qu’il me soit cependant permis de vous livrer quelques remarques sur ce texte, qui ne peuvent que nous renforcer dans notre position.

Si nous n’avons pu, lors de chaque lecture, que voter contre le texte issu des travaux du Sénat, nous avons malgré tout pris note des amendements retenus par notre commission et de ceux qu’a adoptés notre Haute Assemblée qui différaient des orientations des textes présentés par le Gouvernement et adoptés par l’Assemblée nationale. Certains de nos amendements ont même été retenus, quand d’autres ont reçu notre soutien.

Aussi, force est de constater que le texte qui nous est présenté ne ressemble en rien, sur des points essentiels, à celui que le Sénat a adopté.

En effet, la CMP, ce petit comité qui, dans le secret, met à mal tout le travail des deux chambres pour parvenir à un accord, en dehors de toute publicité des débats et sans aucune transparence, a pour l’essentiel repris les mesures contenues dans le texte initial – certes, réaménagé – du Gouvernement, particulièrement bien soutenu par nos collègues députés.

Ces derniers ont agité le chiffon rouge du Haut Conseil des territoires, dont vous n’aviez pas soutenu la création, madame la ministre, en deuxième lecture dans cet hémicycle.

En échange du retrait de ce Haut Conseil, l’essentiel des autres divergences entre la version du projet de loi issue des travaux des députés et la nôtre ont été tranchées très largement en faveur de l’Assemblée nationale, réduisant à néant les efforts de notre rapporteur pour faire évoluer le texte gouvernemental.

Ainsi, la création automatique des métropoles devient la règle pour la quasi-totalité des aires urbaines en devenir, alors que le Sénat refusait jusqu’ici cette automaticité et souhaitait au contraire que les intercommunalités et les communes soient consultées.

Le Sénat n’a pas été entendu !

Pour la métropole du Grand Paris, c’est la vision des députés qui a été retenue, celle qui a été portée par ce que certains ont appelé « le putsch organisé par les amis du président de l’Assemblée nationale ».

Les intercommunalités de projet vont disparaître et l’ensemble de leurs attributions remonter à la métropole, contre l’avis de l’immense majorité des élus franciliens.

Il s’agit d’un coup d’arrêt brutal à la dynamique des territoires et au polycentrisme qui vient d’être imposé au cœur de l’Île-de-France.

Le Sénat n’a pas été entendu sur ce point non plus !

Ainsi, plus de 10 000 agents des intercommunalités vont être transférés et la métropole devra gérer un ensemble de compétences disparates sur certaines parties seulement de son territoire via les conseils de territoire, structures sans autonomie juridique, ne pouvant rien faire sans l’autorisation ni les moyens financiers de la métropole. Une telle situation, à l’évidence, se révèlera complètement ingérable.

En plus de cela, contre toute attente, de nouvelles compétences sont transférées à la métropole de Paris, plus larges que les seuls axes stratégiques que soutenait notre Haute Assemblée.

Enfin, la perspective de la disparition des départements de la petite couronne est dorénavant ouverte par les plus hautes autorités, qui se sont engagées sur un rapport allant dans ce sens.

M. Philippe Dallier. Tant mieux !

M. René Vandierendonck, rapporteur. C’est plutôt une bonne chose !

M. Christian Favier. On met ainsi le pied dans la porte pour forcer le passage en ce domaine comme dans celui de l’élection au suffrage universel des conseillers métropolitains, et donc également des conseillers des territoires.

Avec cette dernière mesure, les communes ne seront plus que des arrondissements de la métropole, ne disposant que de pouvoirs très limités.

Une nouvelle fois, le Sénat n’a pas été entendu !

Enfin, les conférences territoriales de l’action publique, souhaitées par le Sénat comme simple lieu de dialogue et de concertation entre les différentes collectivités territoriales sur un même territoire, redeviennent ce que le Gouvernement souhaitait et que notre Haute Assemblée avait refusé, c’est à dire des instances où sont conclues des conventions organisant les modalités de l’action commune pour telle ou telle compétence.

Là encore, le Sénat n’a pas été entendu !

Certes les mots « schémas prescriptifs » ont disparu, mais l’objectif demeure et la loi le met en œuvre. Ce sera avec d’autres mots, mais toujours avec les mêmes contraintes. Pour que les choses soient plus claires encore, le texte précise que ces conférences ne sont pas de libre administration : elles seront présidées par le président de la région, alors que le Sénat, on s’en souvient, voulait que cette conférence élise librement son président en son sein. Cette présidence ès qualités attribue à la personne et à la fonction un rôle et une place inédits dans l’architecture de nos institutions locales en lui confiant le pouvoir de convocation des autres élus.

Mais cette présidence ès qualités confère aussi une place nouvelle à la région, la transformant en échelon de pilotage de toutes les politiques publiques sur son territoire.

Sur ce point aussi, le Sénat n’a pas été entendu !

Si l’on s’arrêtait sur tous les articles qui restaient encore en discussion, la liste serait longue des mesures ne correspondant pas aux propositions portées par notre assemblée.

Les initiateurs de ce texte et les parlementaires qui les soutiennent n’ont pas cessé de bousculer nos travaux, de faire avancer ce texte dans la précipitation.

Dès la première lecture, nous avions demandé le renvoi en commission, tant les délais d’examen avaient été courts. La même précipitation a été de mise pour la deuxième lecture. Quant au texte qui nous est aujourd’hui soumis, réécrit, nous n’avons pu en disposer vingt-quatre heures avant la séance – il n’était toujours pas disponible hier, à seize heures -, ce qui est le moins que l’on puisse demander !

Les rapporteurs diront que les discussions en CMP ont été riches et fructueuses, puisqu’un accord a été trouvé, à la manière des miraculeuses synthèses des congrès de certains partis.

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Dans d’autres partis, le miracle est permanent !

M. Roger Karoutchi. Veuillez laisser l’orateur s’exprimer ! (Sourires.)

M. Christian Favier. Certes, il y a eu accord, mais en oubliant les principales préoccupations soulevées par le Sénat et les nombreux amendements qu’il avait adoptés.

Dans ces conditions, nous espérons que notre Haute Assemblée ne se déjugera pas et qu’elle refusera d’adopter un texte contenant des mesures qu’elle a par deux fois rejetées.

Nous regrettons cette précipitation pour faire adopter ce texte avant la trêve de Noël. Prenons le temps d’une troisième lecture sur un projet de loi dont on voit bien qu’il bouleverse nos institutions locales. Le Sénat ne pourrait que sortir grandi d’avoir respecté notre démocratie républicaine !

En fait, tout au long de nos débats, plus que de modernisation, il fut surtout question de mesures visant à toujours plus encadrer et toujours plus réduire l’action des collectivités territoriales. L’objectif évident était de répondre aux injonctions de Bruxelles en réduisant la dépense publique au niveau local.

Christian Favier

Ancien sénateur du Val de marne - Président du Conseil départemental
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