L’instrumentalisation de la souffrance des victimes à des fins politiques est inacceptable

Récidive criminelle

Publié le 17 février 2010 à 16:45 Mise à jour le 8 avril 2015

Monsieur le Président,
Madame la Ministre,
Mes cher-e-s collègues,

Le gouvernement donne le vertige aux législateurs. Nous sommes sommés de légiférer en urgence pour la quatrième fois depuis 2005, sur le même sujet : la récidive criminelle. Pourquoi ?

Les lois précédentes sont-elles caduques ? Insuffisantes ? Mal appliquées ?
Le gouvernement a une réponse. « Le projet répond à une attente de l’opinion publique ».

C’est ce que vous avez-vous-même déclaré, Mme la Garde des Sceaux, et c’est ce que vos prédécesseurs ont dit en 2005, en 2007 et en 2008.
Il y a une chose sur laquelle tout le monde peut être d’accord, c’est que chaque crime odieux suscite l’horreur et interroge sur les comportements humains, sur les capacités de la société à apporter des réponses, sur la capacité des pouvoirs publics à appliquer les lois.

Mais, répondre à l’émotion suscitée par un crime odieux par une nouvelle loi, c’est laisser croire que la loi avait en elle-même la vertu d’apporter une réponse immédiate, qu’elle ne l’a pas apportée et donc une nouvelle loi va régler le problème.

Le législateur ne peut pas l’accepter.

1) Les effets de la loi pénale concernant les criminels dangereux ne peuvent pas être par définition immédiats – sauf à croire que la menace future empêche le crime – et il n’est donc pas possible de statuer aujourd’hui sur les effets des lois que nous avons votées depuis 2005.

2) On sait aussi – et les études sur longues périodes le montrent – que les évolutions de la délinquance et de la criminalité sont multifactorielles et que le lien direct à la loi pénale est difficile à démontrer.

Je vais faire un bref rappel.

La loi du 17 juin 1998 relative à la prévention et à la répression des infractions sexuelles ainsi qu’à la protection des mineurs a instauré le suivi socio-judiciaire. Après sortie de prison, avec possibilité d’injonction de soins.
Comment mesurer les effets de la loi pour des criminels lourdement condamnés postérieurement à 1998 ?

Cela n’a pas empêché le législateur en 2005 de voter la loi du 12 décembre 2005 relative au traitement de la récidive des infractions pénales crée la surveillance judiciaire des personnes dangereuses, la surveillance électronique mobile et le FIJAIS – applicable aux irresponsabilités pénales - qui concerne les infractions sexuelles et les crimes les plus graves. Selon le rapport de la commission des lois, la surveillance judiciaire est peu appliquée.
La loi du 10 août 2007 renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs prévoit des peines-plancher et le suivi médical et psychiatrique des personnes condamnées, notamment pour des infractions de nature sexuelle. Elle rend obligatoire l’injonction de soins alors que, comme le souligne la Commission des affaires sociales dans son rapport pour avis, tous les délinquants sexuels ne sont pas susceptibles de traitement.

Vous signalez, Mme la Garde des Sceaux, 14 000 condamnations de récidivistes à des peines égales à la peine-plancher, sans d’ailleurs qu’il soit possible de savoir à quelle peine ils auraient été condamnés sans les peines-plancher. Mais là aussi, quel recul pouvons-nous avoir sur la loi de 2007 ?
La loi du 25 février 2008 instaure la surveillance et la rétention de sûreté, sur lesquelles nous reviendrons dans le débat. Le gouvernement entendait, avec cette loi, afficher qu’il avait la possibilité de mettre toute la population à l’abri de récidivistes dangereux.

Nous avons combattu à l’époque ce dispositif qui permet d’enfermer des gens sans qu’ils n’aient commis une nouvelle infraction au nom d’une dangerosité supposée, dispositif inconcevable au regard de notre droit que le gouvernement voulait, qui plus est, rendre rétroactif. Le Conseil Constitutionnel l’a obligé à revoir sa copie.

Un meurtre horrible, celui de Madame Marie-Christine Hodeau, a été l’occasion de mettre à l’ordre du jour le projet de loi que nous examinons pour réitérer, toujours dans le même sens, c’est-à-dire toujours plus d’enfermement.

Comment s’étonner qu’il y ait une constante augmentation du nombre de personnes en prison ?

En moins de trente ans, la population carcérale a doublé. Les peines de sûreté, les peines-plancher ont allongé les durées de détention. Faute des personnels nécessaires, le long temps de la prison n’est pas utilisé pour soigner, pour réinsérer. Francis Evrard, kidnappeur du petit Enis, a été enfermé sans soins ni suivi psychiatrique pendant trente-deux ans ! ? Hélas, ce n’est pas le cas et la loi pénitentiaire, loin des ambitions affichées ne permettra pas de renverser la problématique.
Ce qui est certain, c’est que la société est violente et que la violence s’accroît…

Hélas, l’exemple des Etats-Unis est éclairant aussi.
La politique y est particulièrement répressive. Il y a dix fois plus de personnes en prison qu’en France et pourtant les homicides y sont trois fois plus élevés qu’en France.

La politique d’élimination, qui réduit le délinquant à son acte, lui conteste toute capacité d’évolution n’est absolument pas probante et pourtant, la rétention de sûreté pousse la logique au maximum.

Une telle politique criminalise la maladie mentale, amalgame folie et dangerosité, soins et sanctions pénales.

De très nombreux psychiatres refusent cette politique qui fait de la psychiatrie une gardienne de l’ordre social, en totale contradiction avec les finalités du soin, avec le temps qui lui est nécessaire et à son individualisation. Notre collègue rapporteur pour avis de la Commission des Affaires sociales a bien noté cette dérive.

La circulaire, signée le du 11 janvier conjointement par Madame Bachelot, ministre de la Santé, et Monsieur Hortefeux, ministre de l’Intérieur renforce encore l’inquiétude des psychiatres.

Désormais, il appartiendrait aux préfets de départements et, à Paris, au Préfet de police, de décider des sorties d’essai d’hospitalisation d’office sur le seul critère du risque de trouble à l’ordre public, faisant fi des considérations sanitaires. Que deviendra l’aménagement thérapeutique que constituent les sorties d’essai depuis 1990 ?

Cette logique est dangereuse, c’est faire croire à l’opinion publique que le risque zéro est possible et donc en quelque sorte, la relégation d’un certain nombre de personnes répondrait au principe de précaution. C’est une illusion et il est grave de fonder une politique sur une illusion.

Permettez-moi d’ailleurs de citer Monsieur Lamanda : « Une société totalement délivrée du risque de la récidive criminelle, sauf à sombrer dans les dérives totalitaires, ne serait plus une société humaine ».
Entendons-nous bien. Il n’y a pas dans cet hémicycle ceux qui auraient le souci des victimes et de leurs proches et ceux qui prendraient le parti des agresseurs. La souffrance des victimes est insupportable et l’empathie à leur égard, naturelle. Elle l’a toujours été.

Oui, il faut répondre à leur souffrance, à leur attente de réponse et de sanction. Mais le rôle de la justice, c’est de juger l’accusé pour ce qu’il a fait, d’apporter apaisement aux victimes et de les indemniser s’il y a lieu. C’est de rendre un jugement équitable à l’opposé de la vengeance.
C’est pourquoi l’instrumentalisation que vous faites de cette souffrance à des fins politiques est inacceptable.

Aussi, il me paraît nécessaire, même si je crains de ne pas être entendu aujourd’hui, que le législateur dise que ça suffit. Qu’il faut arrêter de légiférer dans l’urgence, sans se poser la question de l’utilité des lois précédentes, sans les évaluer.

Je constate pourtant que le rapport du président Lamanda, sollicité pour faire des propositions, après l’avis du Conseil Constitutionnel, sur la loi de 2008, fait nombre de recommandations – 23 au total – très intéressant.
Elles concernent pour la plupart les moyens de l’application des lois

  • la recherche en criminologie ;
  • la gradation dans le suivi des mesures de surveillance judiciaire ;
  • le renforcement des moyens en nombre et en qualité de l’administration pénitentiaire, notamment du service de l’application des peines ;
  • le renforcement, en nombre et en formation de la psychiatrie…

Le gouvernement ne retient pas l’essentiel de ses recommandations, loin s’en faut – il préfère l’affichage d’une nouvelle loi.

On l’a bien vu, la discussion sur ce projet de loi a permis tous les débordements à l’Assemblée nationale. Il aurait fallu que les juges de l’application des peines informent les maires de l’installation dans leur commune de certains condamnés ! Et pourquoi ne pas en publier la liste sur Internet (comme cela s’est fait aux USA) ? Il aurait fallu la garde-à-vue de 96 heures en cas de séquestration ou d’enlèvement, au moment précisément où elle est contestée, ou encore l’imprescriptibilité pour les « crimes de pédophilie ».

En tout état de cause, l’Assemblée nationale qui avait déjà, en 2008, étendu le champ d’application de la rétention de sûreté, a procédé à une extension et une aggravation méthodiques des dispositions du projet de loi. De sept articles, il est passé à dix-neuf, tous plus inquiétants les uns que les autres.
Le résultat, ce sont des dispositions extrêmement graves qui sortent y compris de la logique de la rétention de sûreté, laquelle devait être réservée aux infractions les plus graves et dont l’application devait demeurer subsidiaire, exceptionnelle.

Les députés avaient prévu d’abaisser de 15 à 10 ans le quantum de peine pour la surveillance de sûreté et donc, in fine, pour la rétention de sûreté se banalisera. Or, la durée des peines augmentant constamment, le placement en rétention de sûreté se banalisera. On va voir avec l’ALOPPSI.
Monsieur Lecerf, rapporteur au fond, et Monsieur About, rapporteur pour avis, ont très légitimement écarté un certain nombre de dispositions venues de l’Assemblée nationale. Leurs propositions d’amendements encadrent certains dispositifs, suppriment des incohérences, des atteintes à des principes fondamentaux…

Cependant, le problème demeure.

Les grands axes de ce projet s’inscrivent dans une spirale répressive :
une extension considérable de la rétention de sûreté par le biais d’une sanction de l’inobservation d’obligations ;
l’extension de la surveillance sous diverses formes : surveillance judiciaire et de sûreté ; création d’un nouveau fichier et extension des modalités de fichage actuelles : FIJAIS et FNAEG avec l’augmentation des risques d’interconnexions et quand qu’on sait ce qu’il en est avec le casier judiciaire et le STIC ; renforcement des interdictions de paraître dans une mesure qui les rendra inapplicables ; le traitement considéré avant tout comme sanction. Le fin du fin aurait même été le traitement anti-libido qui plus est prescrit par le juge ! De plus, le médecin devait informer le juge du refus ou de l’arrêt du traitement !

Pour notre part, nous avons demandé, lors de l’examen du texte par la Commission des lois de prendre en considération les recommandations du Président Lamanda et d’en faire un préalable à toutes nouvelles législations.
Nous avions même déposé des amendements en ce sens.

La Commission a refusé d’inscrire de tels amendements, c’est pour cela que nous avons déposé une question préalable, qui sera défendue tout à l’heure par ma collègue. Peut-être apporterez-vous des réponses aujourd’hui.
Permettez-moi d’être sceptique, je dois dire que nous avons, hélas en vain, soulevé nombre de ces questions à l’occasion d’autres débats parlementaires, notamment lors de celui sur la loi pénitentiaire.

Permettez-moi d’être sceptique encore quand on annonce la fermeture d’antennes SPIP en lien avec la fermeture de tribunaux dans le cadre de la carte judiciaire.

Le budget de la justice pour 2010 s’est inscrit une nouvelle fois, avec la RGPP, dans la baisse des dépenses publiques que votre gouvernement n’a de cesse de présenter comme inévitable. Avec 3,42 % seulement d’augmentation, il est impossible de répondre aux besoins actuels, surtout quand les crédits qui augmentent le plus - 9,58% - iront principalement à la construction de nouvelles places de prison.

Plutôt des lois votées à la va-vite, il faut des moyens importants pour prendre en charge les délinquants sexuels. Au Canada où beaucoup de moyens sont affectés à cette prise en charge, il semble qu’au moins un délinquant sexuel sur deux puisse être considéré comme guéri.
Et combien de fois faudra t’il rappeler l’état calamiteux de l’offre de psychiatrie en prison et plus généralement, de l’offre de psychiatrie publique ?

Il faut, dites-vous, protéger la société. Oui, c’est certain. Mais vos solutions : aggraver les peines, mettre à l’écart, enfermer, ne sont pas probantes. Pourtant, vous persévérez dans la même logique. Elle est sans fin. C’est ce que prévoit à nouveau ce projet de loi. Après la rétention de sûreté renforcée, qu’allez-vous inventer quand un nouveau drame se produira ?
Je rappellerai, avant de terminer, que nous sommes en démocratie et qu’en démocratie, la fin ne justifie pas les moyens.
Nous ne voterons pas ce texte, je l’ai déjà dit, cela suffit.
C’est pourquoi nous défendrons la question préalable.

Nicole Borvo Cohen-Seat

Ancienne sénatrice de Paris et présidente du groupe CRC

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