L’illusion d’un renforcement des droits du Parlement

Article 13 de la Constitution (deuxième lecture)

Publié le 25 février 2010 à 11:35 Mise à jour le 8 avril 2015

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous examinons en deuxième lecture le projet de loi organique et le projet de loi ordinaire relatifs à l’application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution.

Nous ne savons pas quand ces textes seront votés définitivement. Peut-être y aura-t-il d’autres lectures ? Pour le moment, nous sommes obligés de répéter notre position.

En son temps, le groupe CRC-SPG s’est opposé au cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution. Celui-ci assortit le pouvoir de nomination du Président de la République de l’« avis public de la commission permanente compétente de chaque assemblée ».

Cette disposition nouvelle est présentée comme significative d’un renforcement des droits du Parlement. Tel n’est pas notre avis !

Elle ne serait telle en effet que si le pouvoir de nomination était réellement partagé entre le Président de la République et le Parlement et que ce dernier jouât alors un rôle essentiel. Or les nominations du Président de la République aux responsabilités les plus importantes de l’État et des secteurs économiques dans lesquels l’État intervient sont nombreuses. Vous le savez, nous sommes hostiles à la présidentialisation de nos institutions.

Elle ne serait telle que si le Parlement pouvait exercer un véritable droit de véto. Or celui-ci suppose que « l’addition des votes négatifs dans chaque commission représente au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés au sein des deux commissions », ce qui est quasiment impossible dans le système politique qui est aujourd’hui le nôtre, sauf cas rarissime. En revanche, l’audition des nominés par les deux commissions permanentes compétentes crée l’illusion d’un pouvoir du Parlement en la matière, ce qui est abusif.

Il aurait été nécessaire d’oser la démocratie en procédant à la consultation des commissions réunies, lesquelles auraient pu se prononcer à la majorité des trois cinquièmes. Voilà qui aurait donné du sens à la vie du Parlement ! Vous l’avez refusé.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Cela aurait donné le droit de veto à l’opposition !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Par conséquent, c’est logiquement que nous sommes conduits à voter contre ces textes d’application de l’article 13 de la Constitution.

J’en viens à la question relative à la délégation de vote, qui reste en suspens. Il va de soi que nous sommes favorables à cette possibilité quand il s’agit d’un cas de force majeure. (M. le ministre s’exclame.) En effet, il serait regrettable que les parlementaires manifestent leur désintérêt face aux nominations.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Pas plus qu’au reste d’ailleurs !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Dans la mesure où la délégation de vote n’est explicitement proscrite que pour la destitution du chef de l’État et reste de facto possible pour tous les autres votes, y compris celui sur la révision constitutionnelle, la position de l’Assemblée nationale est difficilement soutenable. J’espère que la sagesse finira par l’emporter.

Je formulerai quelques remarques sur l’article 2 bis A du projet de loi ordinaire relatif à l’application de l’article 56 de la Constitution. Il prévoit que les nominations des membres du Conseil constitutionnel sont soumises à l’avis des commissions des lois du Parlement.

Il est tout à fait regrettable que, pour des raisons bien peu compréhensibles pour le commun des mortels mais que notre train de parlementaire nous permet de comprendre, nous soyons amenés à voter ce texte au lendemain même de l’audition des trois nouveaux membres du Conseil constitutionnel.

M. Patrice Gélard, rapporteur. Bravo !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Leur nomination effective devant intervenir plus tard, il aurait été opportun de tout faire concorder. Cela aurait évité ce simulacre de consultation publique, qui est sans effet aucun et qui a encore moins d’effet que les auditions qui auront lieu une fois le projet de loi adopté.

Encore une fois, j’insiste sur le problème posé par la composition du Conseil constitutionnel et le mode de désignation retenu. Je rappelle que cette instance verra ses pouvoirs considérablement renforcés dès le 1er mars prochain puisque, avec la nouvelle exception d’inconstitutionnalité, elle se transforme en véritable juridiction de droit privé et de droit public pouvant de fait exercer sa tutelle sur la Cour de cassation et le Conseil d’État. Ainsi un organisme émanant directement du pouvoir politique, dans le cadre d’un système présidentialiste où la majorité procède de l’élection présidentielle et où le fait majoritaire pousse à la bipolarisation, se trouve-t-il érigé en une sorte de cour suprême.

Voilà qui n’est pas sans soulever la question de la séparation des pouvoirs. En outre, cela pose de façon accrue celle de la légitimité démocratique du Conseil constitutionnel. Le mode de désignation en vigueur ne peut subsister encore longtemps.

Les arguments employés pour contourner cette difficulté ne sont pas convaincants. Le Conseil constitutionnel doit être représentatif du pluralisme politique et de la représentation nationale, c’est-à-dire des courants d’opinion. Par conséquent, il doit procéder du Parlement, ce qui ne signifie pas qu’il doit être composé de parlementaires. Il est d’ailleurs assez amusant qu’aient été nommés hier trois parlementaires, trois hommes qui plus est. Si le Parlement avait eu un véritable pouvoir, je doute qu’il eût osé procéder à de telles nominations !

Le peuple fait la loi et la Constitution par l’intermédiaire de ses représentants élus. L’organisme chargé du contrôle de constitutionnalité non seulement ne saurait émettre que des avis mais surtout ne devrait pas pouvoir surreprésenter telle ou telle opinion.

Par conséquent, il y a lieu non pas seulement de renforcer les possibilités pour le Parlement de se prononcer sur les nominations des membres du Conseil constitutionnel, mais aussi, et bien plus, de changer le mode de désignation et la composition du Conseil constitutionnel en faisant preuve de courage et en supprimant la disposition permettant aux anciens présidents de la République de devenir, à vie, des membres de droit.

Pour toutes ces raisons, c’est tout à fait logiquement que le groupe CRC-SPG votera contre le projet de loi organique et le projet de loi ordinaire.

Nicole Borvo Cohen-Seat

Ancienne sénatrice de Paris et présidente du groupe CRC

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