La réforme du Conseil supérieur de la magistrature était souhaitée par les magistrats après le choc de l’affaire d’Outreau. L’article 65 issue de la révision constitutionnelle de juillet 2008 permet notamment la saisine du CSM par un justiciable, saisine qui est, dans son principe, une incontestable avancée. Cependant, cette réforme n’a pas créé les conditions de la véritable indépendance du Conseil supérieur laquelle serait pourtant nécessaire à la crédibilité de l’institution. Elle ne permet pas non plus le retour de la confiance de nos concitoyens envers leur justice et ne favorise pas la transparence que vous évoquez -ou que vous invoquez, je ne sais comment dire... Cette indépendance est entachée par l’intervention permanente du politique sur les acteurs de la justice, par la régulière mise au pas des procureurs ou par l’instrumentalisation des juges, boucs émissaires bien commodes dans la propagande sécuritaire. Elle est aussi entachée par l’annonce de la suppression du juge d’instruction par le Président de la République, chef de l’exécutif, chef de la majorité, chef du parti majoritaire de la majorité, qui commande à la justice et aux médias...
Certes, le Président de la République ne préside pas le CSM -affichage oblige- mais, hélas, le poids de l’exécutif y reste tout à fait déterminant. Le garde des sceaux n’en est plus vice-président mais il participe de droit aux séances des formations du CSM, sauf en matière disciplinaire et sa présence ne peut être considérée comme formelle. Le Président de la République nomme deux des membres du CSM selon la procédure de l’article 13 de la Constitution, c’est-à-dire après avis des commissions des lois des deux assemblées, avis forcément favorable puisqu’il faudrait les trois cinquièmes de leurs membres pour s’y opposer. Il nomme aussi le Secrétaire général du Conseil supérieur sur proposition du Premier président de la Cour de cassation et du Procureur général, après avis du CSM. Magistrats et personnalités qualifiés ne sont pas à égalité, comme nous l’aurions souhaité ; les non-magistrats sont majoritaires, si bien que, compte tenu de leur mode de nomination, l’emprise de l’exécutif reste très forte sur les décisions du CSM. Nous sommes donc opposés à l’article 65 de la révision constitutionnelle et à ce projet de loi organique qui ne fait que l’organiser.
Le justiciable pourra saisir le Conseil supérieur d’une plainte contre un magistrat et sa saisine sera filtrée par une commission des requêtes qui statuera sur sa recevabilité pour écarter les plaintes manifestement infondées et qui ont simplement pour but de retarder l’instance. Le magistrat mis en cause en est informé dès que la commission des requêtes décide de l’examen de la plainte et de la qualification disciplinaire à lui accorder Elle peut aussi entendre ce magistrat.
Cependant, en cas de partage égal des voix dans la commission de requêtes, la plainte est tout de même transmise à la formation compétente du Conseil supérieur. Or le doute devrait pouvoir bénéficier au magistrat mis en cause et il serait plus juste, dans un tel cas, de classer la plainte sans suite : une décision aussi grave pour la carrière d’un magistrat ne devrait être prise qu’à la majorité. De plus cela serait cohérent le reste du texte puisque la formation compétente du Conseil supérieur de la magistrature qui se prononce sur l’existence d’une faute doit, en cas de partage égal des voix émettre « un avis en faveur de l’absence de sanction ».
J’en viens au grand problème : l’intervention de l’exécutif dans la procédure de décision. Si la plainte du justiciable est rejetée par la commission des requêtes, le garde des sceaux peut toujours saisir le Conseil supérieur. C’est là une atteinte à l’indépendance de la justice et à la crédibilité de l’institution qui pourra voir sa décision de ne pas poursuivre un magistrat remise en question par le pouvoir politique. Cela remet en question le principe même de la séparation des pouvoirs et l’Union syndicale des magistrats estime que « c’est la marque, même symbolique, que le pouvoir politique entend garder en toutes circonstances le contrôle de la discipline ». Cette disposition porte aussi atteinte à la règle qui veut que l’on ne soit pas jugé deux fois pour la même chose. La décision de rejeter la plainte du justiciable prise par la commission des requêtes ne doit être susceptible d’aucun recours sous la pression de l’opinion publique. Le mode de désignation des membres du CSM doit renforcer la légitimité de ses membres. Ainsi l’avocat devrait être élu par l’assemblée générale du Conseil national des barreaux car cela renforcerait son autorité et le placerait sur un pied d’égalité avec le conseiller d’État, élu par l’assemblée générale du Conseil d’État. Le secrétaire général doit lui aussi voir son autorité renforcée en étant désigné à la suite d’un avis conforme de la formation plénière du Conseil supérieur de la magistrature. La plus grande légitimité possible dans les nominations évitera les polémiques inutiles.
Je déplore aussi le peu de prérogatives accordées à la formation plénière du Conseil supérieur. S’il est prévu qu’elle peut répondre aux demandes d’avis formulées par le Président de la République mais aussi sur toute question relative à la déontologie des magistrats ou au fonctionnement de la justice dont la saisit le garde des sceaux, elle ne peut être à l’initiative d’avis portant sur des atteintes à l’indépendance de la Justice. Or cette possibilité renforcerait sa crédibilité dans l’opinion publique et éviterait l’instrumentalisation par les autorités politiques de certaines affaires. A cette formation plénière complètement absente en matière disciplinaire, la loi organique n’octroie pour prérogative que la possibilité d’élaborer et de rendre public « un recueil des obligations déontologiques des magistrats ».
De plus, certaines sanctions disciplinaires paraissent excessives : suspendre les droits à pension d’un magistrat alors que celui-ci a cotisé est contraire au principe d’égalité des citoyens devant la loi. Nous avons déposé un amendement à ce sujet que vous pourriez accepter.
Pour conclure, si ce texte accorde désormais au justiciable la possibilité de saisir l’institution, il est ambigu en conservant à l’exécutif le droit d’intervenir sur une décision du CSM. Parce qu’il ne remplit pas son objectif de renforcer l’indépendance de la justice, nous voterons contre, comme nous l’avons fait lors de la révision constitutionnelle.