Monsieur le Président,
Monsieur le Ministre,
Mes chers collègues,
Je serai d’accord avec le rapporteur M. Fauchon pour dire que le texte qui nous revient de l’Assemblée nationale ne présente « aucune contradiction fondamentale » avec celui adopté au Sénat ; et en conséquence, notre opposition exprimée en première lecture demeure.
Je déplore en revanche que notre rapporteur, avant même toute discussion en commission des modifications apportées par l’Assemblée nationale, ait demandé d’adopter conforme. C’est la négation du travail parlementaire que la navette est censée permettre. C’est d’autant plus préjudiciable que les débats et modifications de l’Assemblée nationale mettaient le doigt sur des problèmes soulevés par la création de cette justice de proximité et que ces problèmes ne sont pas résolus.
Sur le texte lui-même, je veux rappeler les réticences persistantes des organisations de l’ensemble des professions judiciaires. Il ne s’agit pas de corporatisme. Il existe des juges de proximité, ce sont les juges d’instance.
N’aurait-il pas fallu augmenter les moyens des juridictions existantes, afin d’améliorer le traitement des dossiers en correctionnelle et d’accélérer les procédures en appel par exemple ?
En effet, ce sont ces juridictions qui souffrent le plus d’un manque de moyens et sont véritablement engorgées, d’où des délais qui ne sont pas acceptables si l’on veut que la justice soit correctement rendue.
Mais les juridictions d’instance, qui ont moins à déplorer ce genre de problème, auraient également pu voir leurs moyens renforcés, tant du point de vue matériel qu’humain d’ailleurs, au lieu de voir leurs compétences véritablement amputées.
Pourtant vous persistez dans cette réforme, mais sans grande conviction, puisque le budget prévu pour ces nouveaux juges de proximité n’est pas à la hauteur de la tâche à accomplir qui, je vous le rappelle, est de soi-disant désengorger les tribunaux d’instance, et que leur installation pose de nombreux problèmes matériels, toujours irrésolus.
Le dispositif adopté par l’Assemblée nationale qui essaie de contourner cet obstacle en confiant au magistrat du siège du tribunal de grande instance chargé de l’administration du tribunal d’instance le soin d’organiser l’activité et les services de la juridiction de proximité, pointe ce problème. Du coup, il est en contradiction avec la volonté effectuée par le gouvernement de créer une justice autonome.
Concernant les moyens, je répète que cette nouvelle juridiction est créée dans le but de désengorger les tribunaux d’instance. En réalité, il n’est absolument pas certain que le nombre de dossiers à traiter baisse puisque ces juges de proximité auront à traiter un contentieux sur lequel les français hésiteraient à saisir la justice.
Dans ce sens, les juges de proximité représentent une menace de disparition pour les modes alternatifs de règlement des conflits, tels que la médiation ou la conciliation.
Les médiateurs et conciliateurs de justice existent justement pour chercher un accord amiable entre les parties afin d’éviter le procès. Ce sont des bénévoles qui rendent une justice gratuite et de qualité et surtout que les justiciables apprécient.
Le risque est ainsi que les juges de proximité empiètent sur la conciliation, ce qui n’est pas un gage d’efficacité ni de satisfaction pour les justiciables. Ce projet de loi fait un pas en arrière dans le traitement des conflits puisqu’il va tendre à rejudiciariser des conflits qui se règlent aujourd’hui par un autre biais.
Mais, vous le savez, ce n’est pas la seule critique que l’on peut émettre à l’égard de cette nouvelle juridiction.
Je l’ai déjà dit, mais je le répète, les véritables juges de proximité sont les juges d’instance - qui se revendiquent comme tels d’ailleurs. Ils sont déjà chargés de traiter les litiges de la vie quotidienne, peuvent être saisis sans frais (une simple déclaration au greffe suffit pour les litiges de moins de 3800 euros), la présence d’un avocat n’est pas obligatoire et ils rendent leur décision plus rapidement que les autres juridictions (dans les cinq mois en moyenne).
Ces litiges de la vie quotidienne sont à première vue simples à résoudre ; il s’agit en effet des contentieux entre bailleurs et locataires, concernant crédits à la consommation ou encore des malfaçons lors de travaux, etc.
Pourtant, ils se règlent en faisant appel le plus souvent à des notions juridiques complexes. Or, pourquoi un juge non professionnel serait-il plus compétent qu’un juge professionnel pour régler ces litiges ? D’autant plus que le juge sera seul à rendre son jugement - dont la rédaction ne s’improvise pas…- et qu’il n’existera pas de possibilité de faire appel.
Heureusement pour le justiciable, ces litiges ouvriront droit à cassation, comme toute décision de justice ; mais ceci ne fera pas diminuer l’inflation judiciaire ! Ni réduire les délais de jugement !
La création d’un nouvel ordre de juridiction ne peut qu’être une source de confusion pour les justiciables et une difficulté d’articulation avec les tribunaux d’instance.
Ce qui est également critiquable dans ce projet de loi, c’est la notion de « petits litiges », comme vous les nommez volontiers, dont seront saisis ces juges. Ces litiges peuvent s’élever quand même à 1500 euros, ce qui n’est pas une somme insignifiante pour des familles aux revenus modestes. Pourquoi ces personnes n’auraient-elles pas le droit d’avoir recours à un juge professionnel ?
Il reste à déplorer que nous n’ayons toujours pas plus de garanties concernant le statut des juges de proximité, notamment concernant leur indépendance et leur impartialité.
Le localisme du recrutement laisse supposer que les conflits d’intérêts se présenteront forcément, et cela au détriment du justiciable.
Faut-il pourtant vous rappeler que la justice d’instance a été instaurée pour remplacer les juges de paix, supprimés en 1958 car devenus une justice de notables ? Et que proposez-vous aujourd’hui ? Tout simplement de rétablir cette justice de notables, partiale, inéquitable et non professionnelle.
Sur le plan statutaire, de nombreux points restent encore bien vagues. Je pense ici notamment à leur rémunération.
Vous vous reposez encore sur un décret en Conseil d’Etat pour en fixer le montant. Mais de quelle nature sera-t-elle ? De type symbolique, telle que la perçoit le délégué du Procureur, ou de type attractive ?
Ce statut ne nous apporte finalement aucune garantie sur la qualité de la justice qui sera rendue. Et l’absence d’indépendance et d’impartialité qui ressort de ce texte me permet d’émettre de sérieux doutes sur cette qualité que tout justiciable est en droit d’attendre de la justice. La formation probatoire instituée par les députés pointe ce problème.
Mais la question du recrutement de ces juges - soi-disant de la société civile - reste entière. Les députés ont restreint le recrutement et il est tout à fait significatif qu’ils l’aient ouvert aux anciens fonctionnaires judiciaires des catégories A et B mais pas aux assesseurs des tribunaux pour enfants. Comme ici même vous avez refusé qu’il soit ouvert aux personnes titulaires d’un mandat syndical qui ont exercé des fonctions de conseillers prud’homaux par exemple.
Je répète enfin, de manière générale, que le fait que les compétences de ces juges ne soient pas clairement définies de nouveau dans ce projet de loi organique (vous précisez simplement, à l’article 41-17, que les juges de proximité seront nommés pour « exercer une part limitée des fonctions des magistrats des juridictions judiciaires de première instance ») montre votre désir d’élargir, à plus ou moins court terme, la compétence du juge de proximité.
Ce projet risque de bouleverser les fondements mêmes de la justice qui pourrait justifier à terme le démantèlement de la justice d’instance et vous dévalorisez les modes alternatifs de règlement des conflits.
Avec ce projet de loi, c’est malheureusement une justice au rabais que vous proposez aux Français, sous prétexte d’apporter des réformes en profondeur de notre institution judiciaire.
Nous ne partageons évidemment pas cette idée de justice de proximité telle que vous nous la proposez et c’est pourquoi nous voterons une nouvelle fois contre ce projet de loi organique.