Le titre du texte projet de loi qui vient en discussion au Sénat n’a de « prévention de la délinquance » une escroquerie ; on pourrait plutôt parler par exemple de « pénalisation préventive ».
Les équations désespérance sociale-délinquance ou prévention-sanctions sont difficiles à manier. Elles le sont de la pire des façons depuis que la droite a pris l’avantage idéologique sur le sécuritaire et que la gauche a baissé les bras et lui a emboîté le pas.
Après qu’en 2001, le gouvernement de gauche ait fait adopter la loi sur la sécurité quotidienne, la droite a voté pas moins de sept lois, qui, toutes, aggravent la répression, abandonnant toute considération en matière de prévention : extension du champ des infractions, sanctions plus lourdes, sanctions pénales dès 10 ans, contrôle social, mise à l’écart des familles ou individus stigmatisés comme étant « à problèmes », reculs des garanties de la défense au plan judiciaire, accroissement des pouvoirs de police.
- loi d’orientation et de programmation sur la sécurité intérieure
- loi pour la sécurité intérieure
- Lois Perben I et II
- loi relative au terrorisme
- loi relative à la récidive
- loi sur les violences conjugales
S’y ajoutent des dispositions éparses, comme la suspension des allocations familiales dans le texte sur l’égalité des chances.
Malgré cette inflation législative, rien n’est réglé : la société est toujours plus violente, la délinquance plus menaçante à l’égard des personnes.
Tous ces textes participent d’un affichage à visée électoraliste, mais parquent profondément et le type de société voulu par la droite et la bataille idéologique. La droite place à nouveau la sécurité au coeur du débat politique, avec l’objectif de mettre la gauche en difficulté, n’hésitant pas à alimenter tous les risques que l’on a connus en 2002. Et les positions en matière de délinquance du PS ne sauraient nous rassurer.
Le nouveau projet de loi, qui sera exéminé au Sénat le 13 septembre avant de l’être par l’Assemblée nationale (en octobre ?), fait évidemment partie de ces textes d’affichage pré-présidentiel.
Mais il va encore plus loin. Il recèle des dispositions particulièrement dangereuses, qui remettent en cause ce qui a fondé les politiques de prévention menées depuis des décennies par les acteurs sociaux (départements, communes, services de l’Etat, CAF...).
Il résume les arguments de la bataille politique que mène Sarkozy depuis des années et qui seront parmi les fondamentaux de sa campagne présidentielle :
- prévention, travail social, justice des mineurs : cela ne marche pas. Il y a, dans le pays, des catégories qu’il a lui-même stigmatisées comme des délinquants potentiels -racaille/voyous- : pour eux, seule la répression peut avoir de l’effet. Elle est pourtant déjà largement en oeuvre, puisque le taux de réponse pénale est plus important pour les mineurs que pour les majeurs (85 % contre 78 %). N’oublions pas que, sur une période de 20 ans, le nombre de personnes écrouées a pratiquement doublé.
- ce qu’il appelle prévention est en réalité du contrôle social. Il en rajoute à l’arsenal déjà à l’œuvre : délit de rassemblement, arrêtés anti-mendicité, pénalisation des parents, désignation des populations dangereuses -étrangers, jeunes des villes pauvres-, recoupement de fichiers. Et il n’est pas exclu que le dépistage « Bénisti » des troubles du comportement dès 3 ans qu’il a retiré du projet, revienne par amendement. Ce type de proposition est dans l’air : Blair n’hésite pas à prôner le « contrôle des fœtus », contraignant les adolescentes enceintes à « accepter » l’intervention de l’Etat pour que leurs futurs enfants ne deviennent pas « une menace pour la société » !
Sarkozy traite de tout et entend le montrer, y compris en « corrigeant » des textes votés récemment. On y trouve pêle-mêle une nouvelle aggravation des sanctions pour violences conjugales ; des mesures nouvelles en matière d’hospitalisation d’office ; la lutte contre les représentations et messages violents ou pornographiques en direction des mineurs ; une répression plus lourde de l’usage des stupéfiants et de l’incitation des mineurs à leur consommation ; des mesures de dépistage de la toxicomanie chez les personnels des entreprises de transports publics ; le renforcement de la vidéosurveillance ; des dispositions pour limiter les actions militantes dans le périmètre des voies ferrées ou installations EDF...
Quelques mots sur deux chapitres du projet de loi.
D’abord, sur le rôle nouveau donné aux maires.
Il devient animateur et coordonnateur de la prévention de la délinquance dans sa commune. Il n’en deviendra pas pour autant décideur, puisqu’il devra agir dans le cadre d’orientations fixées par le préfet.
Il présidera les Conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance (CLSPD), qui deviendront obligatoires dans les villes de plus de 10 000 habitants.
Il disposera d’un pouvoir d’intervention directe sur les individus.
Les professionnels de l’action sociale seront en effet tenus de lui donner -ou à son représentant- des informations sur les familles en difficultés qu’ils suivent, informations qui, aujourd’hui, relèvent du secret professionnel. Nul doute qu’on en arrivera à des aberrations : son texte découragera par exemple les femmes victimes de violences conjugales de porter plainte.
Alors que le travail social, l’accompagnement, demandent du temps, de la confiance, les travailleurs sociaux seront instrumentalisés -et les personnes le ressentiront comme tel- au service de politiques répressives.
L’action sociale ressort normalement de la compétence des Conseils généraux. Qu’a cela ne tienne : l’article 2 prévoit la possibilité de délégations de compétences du département à la commune, permettant au maire d’exercer les prérogatives qui lui seraient attribuées dans le cadre du Conseil des droits et devoirs des familles ou de la procédure de rappel à l’ordre.
Il disposera également de toutes informations précises quant à l’absentéisme scolaire, via l’Académie et les CAF.
Il deviendra aussi responsable en première intention des hospitalisations d’office et plus seulement en cas de danger imminent.
Si ce texte est appliqué, le maire deviendra à la fois shérif et juge, en réalité chargé non pas d’actions de prévention, mais de quadrillage social.
Ce texte porte de graves confusions des rôles -entre le maire et les professionnels de la prévention et de la justice, entre le maire et Président de Conseil général- ainsi que des contradictions avec d’autres textes, comme ceux sur l’égalité des chances ou la protection de l’enfance, ce dernier en cours de discussion. C’est par exemple le cas en matière de prestations familiales.
En outre, ce rôle nouveau participe d’un transfert de responsabilité des charges sur les collectivités territoriales. Le projet renvoie la mise en œuvre des actions de prévention aux collectivités locales, notamment la commune. Il oblige Conseil général et Conseil régional à les financer, le premier sur son budget d’aide sociale, le deuxième sur la formation professionnelle et les transports. Aucun budget d’Etat n’apparaît ni pour mettre en oeuvre la prévention de la délinquance, ni pour financer l’extension des compétences des collectivités.
Ajoutons que le transfert des charges en matière de police de proximité aux collectivités locales est sous-jacent dans ce texte.
Je suis convaincue que si certains maires espèrent être mieux à même de réagir avec ces dispositions, ils déchanteront vite, notamment dans les communes pauvres. La réalité, c’est que ce sera pour eux une source de problèmes et d’impuissance aggravée, et une extension de leur responsabilité au plan juridique.
Les associations de maires, même si elles semblent avoir donné leur accord -en particulier l’AMF-, paraissent malgré tout s’interroger et sont dubitatives quant à la confusion des compétences entre départements et communes.
L’ordonnance de 1945, qui est essentielle, est une troisième fois remise en cause depuis 2002, sans que les mesures adoptées aient fait la preuve de leur utilité pratique.
Le projet de loi poursuit dans le même sens répressif en privilégiant une réponse consistant en une sanction immédiate aux actes de délinquance sur la prise en charge éducative du mineur qui, elle, exige du temps.
Il opère un nouveau rapprochement avec la justice applicable aux majeurs, avec notamment la comparution immédiate et la composition pénale, deux dispositions que nous avons combattues pour les majeurs.
Il étend les possibilités de contrôle judiciaire et de détention provisoire pour les mineurs de moins de 16 ans, limite des possibilités de prononcer des admonestations ou des remises à parents, crée une nouvelle sanction éducative sous forme de placement d’un mois...
Ce texte nie ce qui fait la spécificité des mineurs : précisément leur jeunesse.
Il est pourtant évident que, quand on considère qu’un jeune est « fichu » d’avance, c’est la société qu’on fait régresser.
Nous avons rencontré beaucoup de monde. Il faut savoir qu’à part les syndicats de police majoritaires, tous les acteurs qui oeuvrent en direction de la jeunesse et dans le domaine de la délinquance sont foncièrement opposés à ce texte -parce qu’ils le considèrent comme totalement improductif- et comptent sur les parlementaires progressistes, notamment communistes. Tous sont conscients qu’une réponse policière à une question sociale n’augure rien de bon pour l’avenir, qu’une société qui est plus portée à exclure qu’à intégrer ne peut se projeter en avant.
Il nous faut donc faire preuve de détermination contre ce texte, même si nous pouvons apparaître à certains élus comme à contre-courant. Il nous avoir le courage d’opposer de véritables solutions, de contester l’accusation de laxisme qui nous est portée.
Le problème, c’est : quelles sont les véritables solutions à long terme ?
Il y a bien entendu la question sociale qu’on ne peut éluder, ce que fait complètement le texte : pourquoi tant de problèmes liés à la misère sociale ?
En matière de solutions qui portent leurs fruits, voyons ce qui marche ; c’est la présence sur le terrain d’actions professionnelles diversifiées : police de proximité, Education nationale, prise en charge avec des perspectives réelles (suivi éducatif, formation, insertion). Elles n’ont jamais été mises en œuvre avec les moyens nécessaires.
Le texte Sarkozy repose sur une logique issue de conceptions particulièrement prisées aux Etats-Unis, qui consistent à ne traiter que les actes et à faire croire que seules la peur de la sanction ou la sanction immédiate sont efficaces. Certes, elles permettent de soustraire un nombre considérable de personnes pendant un temps, mais :
- que fait-on quand ils ressortent ?
- elles n’ont pas fait la démonstration qu’elles font baisser la délinquance, très importante aux USA. Les expériences acquises d’un travail en profondeur sur les facteurs de la délinquance sont totalement ignorées, car il n’est pas payant immédiatement.
Ajoutons qu’il faut insister sur la responsabilité de l’Etat : ne baissons pas les bras sur le fait que ces questions sont de sa compétence et sur les moyens considérables qu’il faut mobiliser.