Infractions à caractère raciste, antisémite ou xénophobe

Publié le 23 janvier 2003 à 17:29 Mise à jour le 8 avril 2015

par Robert Bret

Monsieur le Président,
Monsieur le Secrétaire d’Etat,
Mes chers collègues,

Il serait difficile de fermer les yeux sur le problème du racisme, de la xénophobie et de l’antisémitisme qui existe dans notre pays, et ceci d’autant plus depuis le 21 avril 2002.

Cette proposition de loi prévoit que les motivations racistes de l’auteur de certains crimes et délits, tels que le meurtre, les actes de torture, les violences, les destructions et dégradations dangereuses ou non contre les personnes, constituent une circonstance aggravante justifiant des peines plus sévères.

Le texte qui nous est soumis aujourd’hui s’inscrit dans un contexte où ces atteintes volontaires aux personnes ou aux biens, en raison de l’appartenance ethnique ou religieuse des victimes, sont malheureusement de plus en plus fréquentes.

Elle répond ainsi à cette nécessité spécifique de réprimer ces actes qui, personne ne le niera, sont intolérables et qui n’étaient pas sanctionnés comme tels auparavant.

Le texte, dans sa rédaction initiale, comportait des dispositions contestables, aussi nous nous félicitons que l’Assemblée nationale ait retenu des éléments objectifs permettant de caractériser le mobile raciste à la base de l’infraction.

En effet, le texte initial prévoyait une circonstance aggravante « lorsque l’infraction a été commise en raison de l’appartenance ou de la non-appartenance, vraie ou supposée, des victimes, à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée ».

Cette définition permettait toutes les dérives et rendait le travail de qualification de l’infraction du juge quasiment impossible. Il n’aurait alors pu que s’appuyer sur l’appartenance de la victime à une ethnie ou une religion. Cette qualification permettait de retenir systématiquement la circonstance aggravante dès lors que la victime n’appartenait pas à la même ethnie ou communauté religieuse que celle de l’auteur de l’infraction.

C’était, en d’autres termes, complètement inapplicable.

Mais l’Assemblée a heureusement paré à cette imperfection.

Toutefois, il existe dans ce texte ce qui me semble être également une imperfection, c’est la persistance de faire figurer le terme de « race » dans la qualification de la circonstance aggravante. Nos amendements tendent d’ailleurs à supprimer cette référence, et je présenterai nos arguments lors de l’examen des articles.

Mais il me semble qu’il est temps d’entreprendre une réflexion sur ce sujet et que la suppression de ce terme dans cette proposition de loi pourrait en constituer le point de départ.

Toujours est-il que ce texte vient s’ajouter à un arsenal législatif déjà existant mais à l’efficacité limitée.

En effet, la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse instituait notamment une sanction des propos et écrits à caractère raciste. La loi du 1er juillet 1972 tendait à en renforcer les dispositions de la loi de 1881 en créant l’incrimination de provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence raciale et punissait sévèrement la diffamation et l’injure raciale. Le racisme n’était désormais plus une opinion mais un délit.
Enfin, la loi Gayssot de 1990 crée une infraction spécifique de contestation de l’existence d’un ou plusieurs crime contre l’humanité : concrètement, elle vise à interdire et sanctionner l’expression publique des discours négationnistes.

Mais il est vrai qu’en matière de sanction des infractions à caractère raciste, il existe un vide juridique qu’il était nécessaire de combler.

Toutefois, ce texte se situe quand même dans une période d’inflation législative. Et, nous ne le répèterons jamais assez, il serait souhaitable de commencer à appliquer la législation qui existe déjà en matière de racisme et d’antisémitisme.

En effet, je pense que les victimes d’actes et de propos racistes, antisémites ou xénophobe souhaiteraient déjà voir leurs droits reconnus et leurs plaintes ne pas rester sans suite. Il est vrai que la preuve est souvent difficile à rapporter pour ces victimes, car ces propos sont parfois insidieux, ce qui rend difficile la réparation du préjudice subi. Mais il ne semble pas supportable que les victimes voient leurs souffrances niées.

C’est pourquoi il serait peut-être bon de réfléchir, en marge de ce texte, à la possibilité d’aménager la charge de la preuve, comme c’est le cas en matière de discriminations raciales à l’embauche.

Cet aménagement permet au juge, sur la base d’un faisceau d’éléments, apporté par la victime, tendant à établir la réalité de l’accusation, d’inviter l’accusé présumé à prouver qu’il n’est pas acteur de pratiques discriminatoires.
Nous pourrions imaginer un tel aménagement en matière d’actes et de propos racistes, antisémites ou xénophobes, qui pourrait faire reculer fortement le sentiment de fatalité que ressentent les victimes, sans pour autant remettre un principe fondamental qu’est la présomption d’innocence.

Toutefois, il n’est pas certain que ce texte, ni les divers aménagements susceptibles d’être apportés aux législations déjà existantes en matière de discriminations, soient suffisants pour lutter contre le racisme.

La loi ne peut répondre systématiquement aux ignorances et à l’intolérance. Le combat antiraciste ne doit pas se limiter à la sphère législative. Il faut l’étendre à la dimension institutionnelle, économique, sociale et politique, impliquant l’intervention populaire.

De nombreux outils sont d’ailleurs mis en place : la création des CODAC (les Commissions Départementales d’Accès à la Citoyenneté) dans chaque préfecture, du GELD (Groupe d’Etudes et de Lutte contre les Discriminations), le 114, numéro d’appel gratuit pour les victimes de discriminations racistes, sont autant d’initiatives et d’actions intéressantes qu’il convient de poursuivre, dont les structures doivent être renforcées et leurs moyens accrus.

Mais la lutte contre le racisme doit aussi passer en premier lieu par l’école. La prévention est notre préoccupation première. Punir de 75.000 euros d’amende et de 5 ans d’emprisonnement un jeune parce qu’il a inscrit sur un mur une inscription raciste ne semble pas être l’unique solution pour lui faire comprendre la gravité de son geste.

Inculquer aux enfants un esprit de tolérance, leur faire comprendre que le respect de soi implique le respect de l’autre, que la notion de race entre les autres n’a aucun sens ni aucun fondement biologique et scientifique, voilà par quoi il faudrait commencer.

Mais si je disais, au début de mon intervention, que cette proposition de loi se situait dans un contexte particulier d’augmentation des infractions à caractère raciste, elle intervient également dans un contexte de stigmatisation de l’autre.

En effet, nous assistons, depuis l’arrivée du Gouvernement de Monsieur Raffarin au pouvoir, à une véritable politique de stigmatisation de tous ceux qui ne sont pas « comme les autres », de ceux qui, par leur mode de vie, « dérangent ».

Ainsi, nous avons vu le Ministre de l’Intérieur s’attaquer, dans son projet de loi sur la Sécurité intérieure, aux pauvres, aux prostituées, aux gens du voyage ainsi qu’aux jeunes squattant les halls d’immeubles et qui sont de préférence d’origine étrangère.

La priorité affichée est donnée à la répression au détriment de l’éducation, de la recherche et de la culture, mise en cause voire dérision des droits de l’homme au travers d’une terminologie empruntée à l’extrême droite, criminalisation des luttes sociales, appel à de prétendues volonté et sagesse populaires pour justifier les atteintes aux libertés individuelles et acquis sociaux, … Le Gouvernement oppose les populations entre elles, la France d’en haut à celle d’en bas.

Comment peut-on instaurer un climat de tolérance et de respect de l’autre quand une déferlante de propositions répressives et ségrégationnistes s’abat sur les gens du voyage ? Ce qui est vraiment mal venu puisque les gens du voyage sont en grande majorité de nationalité française.

C’est la stigmatisation de l’autre, de l’étranger, du marginal, qui constitue une des sources du racisme et de l’intolérance et ce n’est pas en favorisant les exclusions que l’on fera régresser l’intolérance.

Ainsi, nous ne souhaitons pas que ce texte se transforme en un texte de circonstance, aggravant encore des sanctions alors que des textes déjà existants ne sont pas appliqués et qui, s’ils l’étaient, pourraient enfin sanctionner ceux qui tiennent des propos racistes et entretiennent des discriminations.

C’est pourquoi, notre souhait est que soient enfin prises en compte les infractions motivées par une intention homophobe, qui sont aussi dictées par l’intolérance et l’ignorance.

Des dispositions visant à considérer comme une circonstance aggravante le fait d’agresser une personne du seul fait de son orientation ou de son identité sexuelle, auraient toute leur place dans cette proposition de loi, puisque des actes homophobes s’inscrivent dans la même logique d’intolérance et de haine que les actes racistes, antisémites et xénophobes.

De même qu’il semble légitime de renforcer notre législation concernant la sanction de la contestation des génocides, non seulement du génocide juif perpétré pendant la Seconde guerre mondiale, mais aussi les génocides arménien, rwandais ou cambodgien. Mais j’y reviendrai plus longuement lors de la défense de l’amendement que nous avons déposé en ce sens.

Ce texte n’est certainement pas parfait : comme toutes les lois venant s’ajouter les unes aux autres, se pose ici, une fois encore, le problème de son application.

Mais cette proposition de loi a une fonction symbolique évidente : elle trace des limites qu’il n’est pas acceptable de franchir.

Complétée par nos amendements, elle permettra d’obtenir une avancée en matière de lutte contre le racisme en supprimant le terme de « race » de ce texte, mais aussi en matière de lutte contre l’homophobie et le négationnisme.

Robert Bret

Ancien sénateur des Bouches-du-Rhône
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