Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je comprends et partage les préoccupations de M. Collin et des membres de son groupe, mais, je le dis d’emblée, je ne souscris ni à la présente proposition de loi ni même aux motivations qui la sous-tendent.
La réforme des collectivités territoriales, telle qu’elle a été adoptée – je parle du fond et de la forme –, est significative moins de l’incapacité du Sénat à imposer son point de vue que d’un mode de gouvernement et d’une pratique législative peu conformes à ce qu’ils devraient être dans une véritable démocratie.
Le Président de la République nous avait prévenus. Sa réforme devait absolument aboutir, et ce dans les termes qu’il voulait voir retenus. Fi donc de l’avis du peuple et des élus ! D’ailleurs, ils n’ont pas été consultés, et les nombreuses motions votées par des assemblées locales, de même que les critiques émises par les associations d’élus, ont été balayées.
Certes, notre assemblée a peu ou prou relayé – c’était bien le moins – ces critiques, ce qui n’a pas eu l’heur de plaire au Président et au Gouvernement. Les coups de force de ce dernier à l’Assemblée nationale, avec l’appui de sa majorité, étaient autant d’expressions d’un mépris à l’égard de notre assemblée et des élus, ce qui est évidemment inacceptable.
Mais je veux tout de même rappeler que, au bout du compte, la majorité au Sénat a accepté de se déjuger, permettant à l’Assemblée nationale de s’en sortir sans avoir à user de son « dernier mot », comme nous en avait menacés le Président de la République. Soyons clairs : la majorité sénatoriale a donné son aval à l’Assemblée nationale.
Ce choix de la solidarité de la majorité dans les deux chambres était éminemment politique, ce qui est assez logique, sinon opportuniste.
Dans ces conditions, la proposition de loi de nos collègues permettrait-elle de remédier au problème ? Je suis loin d’en être convaincue… À mon sens, la question est avant tout politique et renvoie au fonctionnement de nos institutions, fondé sur la présidentialisation et le fait majoritaire et ne laissant qu’un rôle tout à fait secondaire au débat parlementaire. Cela n’a rien à voir avec le fait d’aimer ou pas le Sénat, monsieur le président de la commission des lois.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Ce n’est pas ce que j’ai prétendu ! J’ai juste rappelé que certains voulaient le supprimer !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. À mon sens, il ne serait pas légitime d’adopter une disposition écornant la primauté d’une assemblée élue au suffrage universel direct au profit d’une deuxième assemblée élue au suffrage universel indirect, autrement dit de privilégier les élus par rapport aux citoyens.
J’irai même plus loin : contrairement à nos collègues du groupe RDSE, je pense qu’il faut non pas rogner les prérogatives de l’Assemblée nationale, mais lui donner ou lui redonner des pouvoirs et une véritablement représentativité des citoyens. À l’inverse de ce que nous connaissons aujourd’hui, il faut lui assurer la primauté sur l’exécutif et, par conséquent, asseoir sa légitimité.
L’hyperprésidentialisme actuel, aggravé par la réforme constitutionnelle de juillet 2008, entraîne des pratiques très contestables et met en évidence la nécessité d’une démocratisation en profondeur.
Aujourd’hui, qui décide dans le processus législatif ? Ce ne sont pas « les parlementaires » qui décident de l’ordre du jour, du recours à la procédure accélérée, des limites du droit d’amender ; dans le cadre institutionnel actuel, c’est la majorité parlementaire, en relation directe avec un chef de l’État surpuissant, les députés qui le soutiennent lui devant tout, du fait de l’instauration du quinquennat et de l’inversion du calendrier électoral.
Ajoutons à cela les restrictions au pouvoir de décision budgétaire des parlementaires, le vote bloqué, le troisième alinéa de l’article 49 de la Constitution…
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Il n’est plus beaucoup utilisé !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. … et, désormais, l’examen de textes issus des commissions et la limitation croissante du temps de parole… En outre, un mode de scrutin législatif injuste amène l’Assemblée nationale à ne pas être représentative du peuple tel qu’il est !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Comment cela ?
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Un hyperprésident, une Assemblée nationale aux pouvoirs réduits et le fait majoritaire : voilà les problèmes !
Quant au Sénat, mon groupe s’était déjà opposé, en 2002, lors des travaux du groupe de réflexion sur l’institution sénatoriale, à l’accroissement de ses compétences législatives sur les questions liées aux collectivités territoriales. Nous avions considéré que, en aucun cas, l’esprit et la lettre de la Constitution et, au-delà, la tradition républicaine n’autorisent à donner la primauté à l’assemblée élue au suffrage indirect par rapport à l’assemblée issue du suffrage direct. C’est ce que nous avons réaffirmé à l’occasion de la révision constitutionnelle de 2003.
Loin de vouloir nier la spécificité du Sénat, nous pensions plutôt utile de recentrer le rôle de la Haute Assemblée sur cette spécificité.
C’est dans cette perspective que nous répondons « oui » à la question, qui peut se poser, de la nécessité d’une deuxième chambre dans un régime démocratique. D’aucuns la soulèvent ; nous-mêmes l’avons fait, d’une certaine manière, à une époque, mais nous considérons que l’existence d’une deuxième chambre se justifie, à condition qu’elle ait un rôle nouveau et spécifique. Nous avons à plusieurs reprises suggéré que ce rôle nouveau soit celui de « caisse de résonance » des initiatives des citoyens et des collectivités locales. Nous avons formulé de telles propositions avec la conviction que l’instauration d’une démocratie plus participative est la clé d’une relance de la vie démocratique. Cela doit, je l’ai indiqué, s’accompagner d’un renforcement de la représentation nationale, à rebours de la logique présidentialiste actuelle.
Mais, de notre point de vue, la généralisation de l’initiative citoyenne rend nécessaire l’institution d’une interface entre elle et l’activité parlementaire, de même que la démocratie locale a besoin d’une interface avec l’Assemblée nationale. Le Sénat, transformé, pourrait assumer une telle mission. Il pourrait contribuer au travail démocratique, qui manque aujourd’hui, pour assurer le débat sur le contenu des propositions législatives, dans un échange entre les collectivités locales, les citoyens et l’Assemblée nationale.
Selon nous, la véritable réforme à faire serait d’accroître la représentativité du Sénat et de renforcer les libertés locales, ainsi que le rôle du Parlement : voilà qui mériterait un vrai débat !
Une telle réforme ne saurait passer par une remise en cause des équilibres institutionnels, déjà bien malmenés. La question qui demeure posée est bien celle d’une véritable démocratisation des institutions de la République.
Pour ces raisons, vous comprendrez que nous ne puissions pas soutenir la présente proposition de loi. Cela étant, nous déplorons que les propositions de loi émanant de l’opposition se voient toujours signifier une fin de non-recevoir, alors que certaines propositions de loi déposées par des membres de la majorité aboutissent, à l’instar des projets de loi.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Pas des propositions de loi constitutionnelle !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Au mieux, l’examen des propositions de loi de l’opposition est renvoyé à plus tard, c’est-à-dire à jamais, sauf exception.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Mais non !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Nous sommes contre cette proposition de loi, mais nous ne saurions accepter que le débat soit escamoté par un renvoi à la commission.