J’ai l’honneur de vous présenter une proposition de loi constitutionnelle importante visant à garantir l’indépendance du Président de la République et des membres du gouvernement vis-à-vis du pouvoir économique.
Comme le souligne le Rapporteur de la Commission des Lois sur cette PPL, « La volonté de mettre les dirigeants politiques et les responsables publics au-dessus de tout soupçon et de garantir aux citoyens que l’exercice de mandats électoraux ou de fonctions électives ne soit pas, pour ceux qui les détiennent, l’occasion d’un enrichissement personnel, a été une préoccupation constante tout au long de l’histoire de notre pays : dès 1795, des obligations de déclaration du patrimoine sont imposés aux élus par la Convention, qui entendait ainsi assurer la confiance des mandés en leurs mandants.
« Dans le droit fil de cette tradition républicaine, le législateur a institué, avec la loi du 11 mars 1988 relative à la transparence financière de la vie politique, des mécanismes visant à isoler le monde politique du monde des affaires : ainsi, les dons de personnes morales pendant les campagnes électorales et aux partis politiques ont été prohibés, tandis que les élus étaient soumis à l’obligation d’établir, au début et à la fin de leur mandat, des déclarations de situation patrimoniale démontrant qu’ils n’avaient pas utilisé leurs fonctions à des fins personnelles. »
Certes, la République s’est dotée d’un cadre juridique destiné à éviter la confusion d’intérêt (ou conflit d’intérêt), entre les missions publiques et les intérêts privés ou particuliers de ceux qui les exercent.
L’indépendance des acteurs publics, la morale publique peut, en principe, faire partie de notre consensus républicain.
Mais force est de constater qu’en matière de transparence financière, notre législation est récente et bien modeste.
En effet, les différentes situations sur lesquelles le législateur a éprouvé la nécessité de prévenir et/ou de sanctionner d’éventuels manquements aux vertus républicaines concernant les élus, les fonctionnaires ont donné lieu à des règles d’inéligibilités, des incompatibilités entre fonctions électives et professions ou fonctions, au statut de la fonction publique.
Les obligations de transparence concernent plus de ce fait le financement des partis politiques – et on voit les insuffisances – et les campagnes électorales, et le patrimoine des élus.
Hélas, on peut constater aujourd’hui tous les jours que ce cadre juridique, certes utile, n’est pas suffisant – voire dépassé – tant s’est établie une proximité, une porosité même pourrait-on dire, entre les pouvoirs publics et l’argent.
Bien évidemment, cette proximité est d’autant plus grande et la frontière entre intérêt général et intérêts particuliers, est d’autant plus fragile que l’idéologie libérale, voire ultralibérale que vous défendez, prône la primauté des intérêts privés sur l’intérêt général, de l’économie sur le politique, et tout sort imbriquées, les pouvoirs économiques et politiques dans les classes dirigeantes.
Ajoutons qu’en France, et le débat sur le cumul des mandats électifs aujourd’hui et des mandats dans les conseils d’administration des grandes entreprises hier, ont été l’illustration de l’extrême concentration des pouvoirs, tant économiques que politiques dont notre pays est champion.
Ajoutons que l’évolution récente, avec la privation des grandes entreprises publiques et banques, le recours aux partenariats publics/privés, la délégation croissante de services publics au privé, multiplient lesl possibilités des liens étroits entre pouvoir(s) politique(s) et pouvoirs économiques, et les passerelles entre fonctions publiques et fonctions économiques.
Ajoutons enfin que cette réalité est d’autant plus affichée depuis l’arrivée au pouvoir de l’actuel Président de la République que celui-ci affiche lui-même sa proximité avec le monde des affaires, qu’il en a fait un symbole en fêtant son élection au « Fouquet’s » avec ses amis de la finance et sur le yacht de Vincent BOLLORE !
Depuis, les exemples de proximité se sont multipliés, tant par les nominations de conseillers du gouvernement à la tête d’entreprises en voie de privatisation, tant par les rapports étroits de membres du gouvernement ou de parlementaires avec le monde des affaires.
Je n’ai pas l’intention de faire la chronique des gazettes.
Par contre, ce que tout le monde peut constater, ce sont les nombreuses dérives, sanctionnables ou non au vu de Notre législation actuelle. C’est le lot d’une société hypermédiatisée. C’est en quelque sorte une transparence, mais une transparence certainement dangereuse.
Les dérives de certains rejaillissent sur tous. Elles nourrissent chez nos concitoyens le rejet des politiques, des institutions et nuisent gravement à la santé de la démocratie !
Il est manant de constater qu’au pays de St Juste, de Jaurès et de Zola, 60 à 70% de nos concitoyens pensent que leurs élus sont corrompus ou sensibles à la corruption.
On est loin, bien loin de la République « irréprochable » dont parlait – parole verbale – le candidat Nicolas SARKOZY !
A telle enseigne d’ailleurs, qu’à la rentrée de septembre – après un été édifiant sur la question – la prévention des conflits d’intérêt dans la vie publique est devenue un sujet d’actualité et qu’une commission « d’experts » a été chargée par décret du 10 septembre 2010, d’y réfléchir et de faire des propositions…
La proposition de loi que je défends aujourd’hui n’est donc pas hors sujet. Elle est antérieure à la création de la Commission sur les conflits d’intérêt. Elle est modeste, et s’attache à une question qui n’est pas forcément directement un conflit d’intérêt.
Mais elle traite des situations bien réelles pouvant concerner non seulement les membres du gouvernement, mais le Président de la République lui-même.
Je note d’ailleurs que notre Rapporteur signale que cette proposition « soulève des questions cruciales », pour la repenser par la suite.
Il a d’abord tenté de s’y opposer sur la forme – en déposant une motion d’irrecevabilité.
Nous savons que la majorité use de procédures sur la plupart de toutes les PPL de l’opposition pour éviter les débats de fond.
Au-delà de la forme que nous avons rectifiée en redéposant notre PPL simple en PPL constitutionnelle, le Rapporteur évoque diverses raisons qui me paraissent peu convaincantes.
Elle a pour objet d’étendre au Président de la République et au gouvernement, l’interdiction de recevoir tout don ou avantage, sous quelque forme que ce soit, de personnes morales et de créer une obligation de déclaration des dons provenant de personnes physiques lorsque ces dons excèdent un montant annuel fixé par la loi ordinaire.
Les dons concernés sont soit directs, soit indirects. Tout don ou avantage en nature effectué par une tierce personne dont bénéficient également les personnes visées par la présente proposition de loi sont pris en compte dans le calcul des sommes déclarées. Cette nouvelle législation serait applicable au Président de la République et aux membres du gouvernement.
Or, la loi de 1995 exclut partiellement les personnes morales du financement des campagnes électorales et des partis politiques, mais rien n’est prévu pour le Président de la République, les membres du gouvernement et les élus, une fois qu’ils sont élus.
D’ailleurs, la commission de transparence financière de la vie politique (CTVP) « contrôle » les patrimoines des élus en début et fin de mandat, mais ni les revenus, ni les cadeaux et donations qui ne sont pas patrimoniaux.
Rien n’empêche une personne physique ou une personne morale, d’octroyer certains avantages financiers ou en nature de façon directe ou indirecte à ces personnalités.
M. GELARD essaie de décrédibiliser notre proposition en affirmant que notre texte pourrait priver ministres ou Président de moyens d’exercer leur mandat. Je crois que M. le Rapporteur confond la notion de dons et celle de moyens matériels pour l’exercice d’une fonction.
M. GELARD est resté discret sur l’un des deux volets de nos propositions.
Il nous reproche de ne pas prévoir de sanctions afférentes à l’interdiction des dons que nous préconisons, qui pourrait être limité à 4600 euros comme dans le cadre des campagnes électorales ou du financement des partis politiques. Il aurait pu amender en faisant des sanctions, mais il est bien discret sur notre proposition d’améliorer la transparence en exigeant une déclaration publique de ces dons.
La transparence rime avec l’indépendance. La sanction politique que vous évoquez M. GELARD, comme la seule sanction possible entre le Président de la République ne pourra intervenir que si la publicité des liens financiers existe. C’est seulement si les citoyens sont informés en dehors du jeu médiatique que leur jugement pourra se former.
Notre Rapporteur considère que notre PPL aurait pour effet de réglementer la vie quotidienne de ceux qui .. des responsabilités et de mettre en quelque sorte leur vie privée sous les yeux des citoyens.
Passez-moi l’expression, mais c’est un peu fort ! Nombre de responsables politiques, à commencer par le Président de la République évaluent leur vie privée – ce que nous ne pouvons.
Autre chose, est la transparence de leur situation financière. Aujourd’hui, les médias s’arrogent des dérives inacceptables. C’est à la loi d’organiser la transparence, le contrôle, la sanction s’il y a lieu.
Nul n’est obligé d’être élu, d’être membre d’un gouvernement, d’être Président de la République. La contrepartie est d’accepter que sa situation financière soit publique et d’accepter d’être irréprochable.
Mes chers collègues, nous défendons l’honneur des élus et la démocratie qui, dans leur majorité, n’ont rien à se reprocher.
Merci.