Fonctionnement de la collectivité territoriale de Corse (deuxième lecture)

Publié le 29 juin 2009 à 13:07 Mise à jour le 8 avril 2015

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi de notre collègue Nicolas Alfonsi est destinée à modifier le mode de scrutin de l’élection à l’Assemblée de Corse.

Je voudrais dire d’emblée que l’opposition à ce texte, que nous avons exprimée ici en première lecture, et qui le fut à l’Assemblée nationale par la voix de notre collègue Michel Vaxès, demeure toujours aussi forte tant ce texte remet en cause, selon nous, les principes démocratiques que sont la concertation avec les élus et le pluralisme.

Tout d’abord, il est nécessaire de rappeler que l’obligation de consultation de l’Assemblée de Corse n’a pas été respectée. La loi du 22 janvier 2002 relative à la Corse a étendu aux propositions de loi comportant des dispositions spécifiques à la Corse la nécessité de consulter l’Assemblée de Corse.

L’article L. 4422-16 du code général des collectivités territoriales, qui réservait cette prérogative aux seuls projets de loi, a donc été modifié en ce sens.

Pourtant, lorsque le Sénat a examiné en première lecture cette proposition de loi en février 2007, l’Assemblée de Corse n’avait pas été consultée. Ce n’est que le 16 mars dernier qu’elle a adopté une motion, présentée par François Dominici, sur la proposition de modification du scrutin actuel de l’élection à l’Assemblée de Corse.

Certes, on peut ne pas vouloir s’étendre à l’infini sur ce sujet, mais qu’il nous soit permis de dire, d’une part, que l’adoption d’une motion par l’Assemblée de Corse ne saurait être une consultation au sens de la loi, d’autre part, que les conditions dans lesquelles a été adoptée cette motion sont contestables, puisque, si elle a bien été adoptée par vingt-neuf voix contre deux, il faut rappeler que vingt élus n’ont pas pris part au vote, ceux-ci ayant quitté l’assemblée pour manifester leur opposition.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. C’est leur problème !

Mme Éliane Assassi. Vous-même, monsieur le secrétaire d’État, répondant à une question orale de notre collègue Nicolas Alfonsi le 31 mars dernier, vous notiez l’existence d’une majorité, tout en ajoutant qu’il vous semblait alors difficile, dans ces conditions, « de conclure à un véritable consensus. »

Vous avez par ailleurs rappelé que toute modification du régime électoral de l’Assemblée de Corse ne peut intervenir moins d’un an avant le renouvellement de cette dernière, conformément à la tradition républicaine. Pourtant, c’est bien ce qui va se produire, les élections régionales ayant lieu dans moins d’un an, en mars 2010.

Enfin, la motion adoptée par l’Assemblée de Corse portait sur la proposition de loi adoptée par le Sénat, qui fixait la prime majoritaire à six sièges, au lieu de trois actuellement.

Or l’Assemblée nationale a modifié cette prime pour la porter à neuf ; l’Assemblée de Corse s’est donc prononcée sur un texte qui n’existe plus aujourd’hui !

Ces trois raisons font que n’ont été respectés ni le principe de consultation de l’Assemblée de Corse, tant sur le fond que sur la forme, ni le principe républicain selon lequel on ne peut modifier un mode de scrutin dans l’année qui précède une élection.

C’est d’ailleurs ce mépris des règles démocratiques qui a conduit Michel Vaxès et Jean-Claude Sandrier, au nom du groupe de la Gauche démocrate et républicaine de l’Assemblée nationale, à demander le report de l’examen du texte par le Parlement, demande qui a été rejetée.

Une dernière raison motive notre rejet de cette proposition de loi : le nouveau mode de scrutin qu’elle vise à instaurer, en réalité, n’est destiné qu’à mettre fin au pluralisme, qui caractérise pourtant l’Assemblée de Corse.

Notre rapporteur, Patrice Gélard, le dit lui-même dans son rapport : il appelle à une « rationalisation » du mode de scrutin de cette assemblée, estimant que celle-ci, caractérisée par l’éclatement de groupes politiques qui la composent, ne disposera pas d’instruments suffisants pour garantir l’émergence d’une majorité forte en son sein.

L’Assemblée de Corse est actuellement élue selon un mode de scrutin à la représentation proportionnelle à la plus forte moyenne. Aucun seuil de fusion des listes entre les deux tours n’est fixé, le seuil pour qu’une liste se maintienne au second tour est fixé à 5 % des suffrages exprimés, et une prime majoritaire de trois sièges est accordée à la liste arrivée en tête des suffrages.

La proposition de loi vise à modifier ces trois règles applicables au mode de scrutin. Dans sa version initiale, elle fixait la prime majoritaire à six sièges, portait le seuil d’accès au second tour à 7 % et instaurait un seuil de fusion des listes pour le second tour de 5 %.

S’ils ont approuvé la fixation de ces seuils, les députés de la majorité ont néanmoins décidé de porter la prime majoritaire à neuf sièges. Ainsi, de façon totalement injustifiable, la prime majoritaire est triplée, alors que le seuil de maintien au second tour a déjà été relevé et qu’un seuil fixé à 5 % a été créé pour la fusion des listes.

Nous avions exprimé notre opposition à la version initiale de la proposition de loi ; à la lecture du texte issu de l’Assemblée nationale, celle-ci n’en est que renforcée.

La combinaison des seuils de maintien au second tour, de fusion des listes et de la nouvelle prime majoritaire renforcera le fait majoritaire et aura pour conséquence, contrairement à ce que vous affirmez, monsieur le secrétaire d’État, d’écarter les petites formations politiques. Mais n’est-ce pas là votre objectif ?

Pourtant, M. Gélard reconnaît lui-même que la population corse est particulièrement attachée au pluralisme. Avec cette proposition de loi, le Parlement et le Gouvernement organisent tout simplement son enterrement.

Vous renoncez au principe démocratique de l’expression pluraliste au sein de l’Assemblée de Corse afin d’assurer l’hégémonie d’une seule formation politique. Ce n’est pas notre conception de la démocratie, et je ne crois pas que cela soit non plus celle des Corses, eux qui ont l’habitude de s’investir dans la vie de leur île.

Mais pourtant, c’est bien votre objectif, à en juger par l’attitude d’Ange Santini, président UMP de l’Assemblée de Corse : le 15 juin dernier, voyant qu’il n’obtiendrait pas la majorité sur son projet de plan d’aménagement et de développement durable, il l’a purement et simplement retiré de l’ordre du jour de l’assemblée.

Cette décision, qui traduit encore une fois une curieuse conception de la démocratie, a provoqué la colère de nombreux élus, toutes tendances politiques confondues.

La modification du mode de scrutin permettra, à l’avenir, d’éviter ce genre d’incident et, plus généralement, toute contestation au sein de l’Assemblée de Corse.

Cette proposition de loi remet donc en cause ce qui a fait la spécificité de la Corse jusqu’à aujourd’hui, qui était garantie par son statut particulier. Par conséquent, nous maintenons notre opposition déterminée à cette proposition de loi, et ce d’autant que l’Assemblée nationale en a aggravé les termes.

Éliane Assassi

Sénatrice de Seine-Saint-Denis - Présidente du groupe CRCE
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