Monsieur le Président
Monsieur le Ministre
Mes chers collègues
Décidément il faut beaucoup d’opiniâtreté pour bousculer le fait majoritaire au Sénat.
La mise en œuvre aujourd’hui de la procédure de discussion immédiate par soixante sénatrices et sénateurs pour mettre en débat une proposition de loi constitutionnelle relative au droit de vote et d’éligibilité aux élections municipales constitue une réponse au refus systématique d’inscription à l’ordre du jour de propositions de loi élaborées par l’opposition sénatoriale.
Pourtant la réforme constitutionnelle de 1995 a instauré une journée d’initiative parlementaire qui dans l’esprit et la lettre de la Constitution doit être organisée de façon pluraliste.
Or à la différence de l’Assemblée Nationale la majorité sénatoriale n’a jamais accepté une liberté des choix par les groupes de l’opposition des thèmes choisis pour ce qu’il est convenu d’appeler leur niche parlementaire.
Au moment où certaines personnalités de la majorité évoquent un statut pour l’opposition, nous sommes au Sénat réduits à utiliser des procédures indirectes pour obliger la majorité à débattre - seulement débattre - des propositions de l’opposition.
Ici, la journée d’initiative s’est réduite au fil des années à un ordre du jour complémentaire souvent très utile au gouvernement.
Cette journée mensuelle devrait être un moment de respiration démocratique dans notre assemblée, un moment de confrontations des idées, un moment de vrais débats à la différence de cette litanie de textes imposés à marche forcée par un gouvernement qui n’a jamais autant considéré Sénat et Assemblée Nationale comme des vulgaires chambres d’enregistrement.
Nous voulons témoigner ici qu’il est temps de mettre fin à cette domination sans partage de notre assemblée par une majorité assise sur un mode de scrutin injuste.
C’est pour cette raison que le groupe communiste républicain et citoyen, le groupe socialiste et apparenté et en leur sein les verts ont décidé de prendre le taureau par les cornes en soumettant au débat une proposition de loi qui leur tient particulièrement à cœur : le droit de vote et d’éligibilité des étrangers aux élections municipales.
D’emblée, je tiens à préciser que le texte qui vous est soumis aujourd’hui est une reprise de la proposition de loi constitutionnelle adoptée par l’Assemblée Nationale le 3 Mai 2000. Il n’est pas possible en effet dans le cadre de l’article 30 du règlement du Sénat de reprendre un projet de loi.
Cette référence à l’étape, importante, franchie il y a 5 ans explique que nous ne proposions pas d’aller plus loin dans l’instauration du droit de vote et d’éligibilité. Le débat devra avoir lieu pour d’autres élections. Pour l’heure nous proposons de franchir un cap, significatif, déjà validé par l’une des deux assemblées.
Il s’agit d’un cap démocratique d’une adresse solennelle au monde : la République Française est fidèle à ses idéaux de justice de citoyenneté, d’ouverture.
En ces heures de doute sur la capacité de notre pays à accueillir, à intégrer des populations d’origine étrangère, l’accès au droit de vote manifesterait sans ambiguïté que notre société est tournée vers l’avenir.
Cette proposition de loi constitutionnelle poursuit également un objectif immédiat : réparer la discrimination, que j’ai pour ma part toujours jugé inadmissible, entre étranger communautaire et étranger non communautaire .Dès 1992 nous avions souligné la grande injustice qui consistait à accorder le droit de vote et d’éligibilité à un ressortissant de l’Union Européenne récemment établi sur notre sol et le refuser à un salarié algérien ou marocain résident depuis 30 ans.
En 1992 le droit de vote des étrangers communautaires a en effet été intégré dans la Constitution. Une directive du 19 décembre 1994 a généralisé ce principe à tous les pays membres. Elle a été transposée en droit interne par une loi organique promulguée le 25 mai 1998 Comme l’indique un intéressant rapport publié par le Sénat comparant les législations de différents pays européens « les ressortissants des pays de l’Union Européenne ont pu voter aux élections européennes pour la première fois en 2001. Quant aux autres étrangers, quelle que soit la durée de leur séjour dans notre pays, ils sont exclus du droit de vote »
Ce même rapport souligne les prises de position d’un certain nombre de personnalités en faveur du droit de vote et rappelle le vote par l’Assemblée Nationale le 3 mai 2OOO.
Or ce rapport montre que de nombreux pays européens ouvrent la citoyenneté aux résidents étrangers. L’Irlande qui a pris cette décision depuis 1963.
La Belgique, le Danemark, le Luxembourg, les Pays-Bas, la Suède et certains cantons suisses ont déjà adopté une législation comparable au texte que nous vous proposons d’examiner aujourd’hui.
L’Espagne, le Portugal, le Royaume-Uni accordent aux étrangers le droit de vote à des ressortissants de certains pays.
La France peut-elle longtemps rester en retrait ?
Cette discrimination entre étrangers communautaires et non communautaires est terrible et suscite une grande frustration notamment chez les enfants de ces hommes et femmes qui, devenus français, n’ont jamais vu leur parents ou grands-parents voter. Les résidents étrangers établis sur notre sol disposent des droits civils, économiques est sociaux. Ils en partagent les déboires. Mais leurs droits s’arrêtent à la porte des bureaux de vote. Une telle discrimination est indéfendable.
Depuis de nombreuses années, les groupes parlementaires de gauche ont déposé des propositions de loi pour mettre fin à cette injustice.
Pour notre part, notre première proposition au Sénat date du 5 avril 1990 à l’initiative de Mme LUC.
La proposition que nous vous présentons aujourd’hui est celle de toute la gauche et je me réjouis de l’initiative commune que j’ai l’honneur de vous présenter aujourd’hui.
L’opinion publique longtemps réticente est maintenant majoritairement favorable. Un sondage rendu public en octobre indique en effet que 63% des Françaises et Français sont pour le droit de vote des étrangers. Peut-être cette évolution explique-t-elle un ralliement progressif, sur le plan des paroles, de la droite.
En 1999 M. de ROBIEN s’est prononcé pour le droit de vote des étrangers aux élections locales. Le 3 mai 2000 M. BORLOO a voté le texte que j’évoquais. En 2OO1 c’est au tour de M. BAYROU de basculer. Enfin, cerise sur le gâteau, c’est M. SARKOZY qui, le 25 Octobre, prenait à revers son propre parti qu’il préside au demeurant, en s’exprimant pour le droit de vote avant, notons le tout de même, de mettre le feu aux banlieues.
Il s’agit tout de même de trois ministres et non des moindres ainsi que des deux présidents des deux partis de la majorité. Je ne vous rappellerai pas que Jacques CHIRAC, futur Président de la République, s’était exprimé dès 1977 en faveur du droit de vote des étrangers aux élections municipales.
Et pourtant tout indique, à moins d’une heureuse surprise, que la majorité sénatoriale nonobstant les prises de positions loin d’être anodines que je viens d’évoquer, s’apprête non seulement à refuser d’approuver la proposition de loi constitutionnelle présentée par le groupe socialiste et apparentés et par le groupe communiste républicain et citoyen, mais surtout à écarter l’idée même d’une discussion sur le sujet.
Il faut en effet le préciser les largesses du règlement du Sénat à l’égard de l’opposition ont leur limite. Ainsi l’article 30 présentement mis en œuvre comporte-t-il deux étapes. Il est d’abord procédé à un premier vote sur l’ouverture ou non de la discussion sur la proposition de loi visée au terme d’un débat réduit à sa plus simple expression : un orateur pour,un orateur contre une intervention de la commission et éventuellement du gouvernement. Aucune explication de vote n’est autorisée.
Tout porte à croire que nous ne dépasserons pas cette étape ce soir.
La majorité se trouve donc devant une contradiction : déjuger ses propres responsables ou donner, pour une fois du crédit à une proposition de l’opposition au risque de froisser la marge la plus extrême de son électorat.
Certains déclarent, à l’UMP notamment, qu’il est trop tôt pour agir, qu’il faut attendre 2007 pour engager cette réforme.
J’estime avec les signataires de cette proposition qu il ne serait pas tolérable de repousser aux élections municipales de 2014 l’instauration du droit de vote et d’éligibilité des étrangers aux élections municipales alors que de nombreux pays de l’Union Européenne ont fait leur cette avancée démocratique.
Il est trop simple d’afficher des positions pour séduire telle ou telle franche de l’électorat et de ne pas les assumer au moment du vote.
J’estime qu’un éventuel refus de discussion de la part de la majorité sénatoriale serait grave à deux titres.
Sur le plan de la forme d’abord, car cela signifierait une nouvelle fois une décision de refuser tout pouvoir d’initiative digne de ce nom à l’opposition. Je rappelle que la demande de débat sur cette proposition est récurrente. Jamais elle n’a été acceptée.
Sachez Monsieur le Président que nous prendrons date et que nous n’aurons de cesse de faire respecter nos droits dans cette institution qui doit enfin rompre ave une conception monolithique, archaïque et antidémocratique du fait majoritaire.
Quel est le sens du Sénat, son devenir s’il ne peut supporter d’aborder un tel sujet, dans la sérénité. Le Sénat qui se prévaut d’assurer la représentation des collectivités territoriales offre pourtant un cadre tout désigné pour débattre des conditions de mise en œuvre du mode de scrutin pour les élections municipales.
Sur le fond la majorité sénatoriale bloque la possibilité d’entamer un débat fondamental sur l’évolution de la citoyenneté, sur les rapports entre citoyenneté et nationalité, sur l’intégration.
Alors que la toute récente explosion de violence dans les quartiers difficiles manifeste au-delà du caractère répréhensible, inacceptable des dégradations perpétrées à cette occasion, un mal-être, une crise d’appartenance qui interpelle fortement l’ensemble de la société. Que les jeunes concernés soient français, ce qu’ils sont pour la plupart, ou non, tous vivent leur rapport à l’immigration comme une exclusion, comme un facteur de discrimination.
Cette explosion, comme l’ont noté les premières études, y compris des renseignements généraux, n’avait pas de caractère communautariste. C’était un cri qu’il vous faudra bien entendre un jour.
Bien entendu la réponse doit être apportée sur le plan de la formation de l’emploi de l’accès à la culture. Mais l’envoi d’un signe fort d’ouverture de la société française, la manifestation franche d’une volonté d’intégration permettra sans nul doute d’établir un dialogue avec cette jeunesse trop souvent méprisée, exclue.
Le droit de vote est l’un de ces signaux tant attendus.
Monsieur le Président, Mes chers collègues le Sénat va devoir trancher entre une attitude de progrès, d’épanouissement démocratique et une posture de repli, de fermeture, d’exclusion.
Je souhaite ardemment que notre assemblée opte pour le débat qui permette d’échanger, de confronter nos points de vue.
Comment ne pas vous rappeler pour conclure l’article 4 de la Constitution de 1793 :
« Tout homme né ou domicilié en France, âgé de vingt-et-un ans accomplis, qui, domicilié en France depuis une année, y vit de son travail, ou acquiert une propriété, ou épouse une française, ou adopte un enfant ou nourrit un vieillard ; tout étranger qui sera jugé par le corps législatif avoir bien mérité de l’Humanité est admis à l’exercice des Droits de citoyen français. »
Sachons être les dignes héritiers de ceux qui ont fait la République, qui en ont diffusé le rayonnement de part le monde, sachons démontrer à l’instar de Jean JAURES que la République est un acte permanent de confiance en l’Homme.