Madame la présidente, mesdames les ministres, mes chers collègues, depuis de nombreuses années, le flot des critiques dénonçant les conséquences de la prolifération normative et de l’insécurité juridique qui en résulte s’accentue. À cet égard, les états généraux de la démocratie territoriale ont donné l’occasion aux élus locaux d’affirmer leurs exacerbations sur ce point.
Les critiques, certes rudes, sont néanmoins en partie justifiées. Ainsi, aujourd’hui, pas moins de 400 000 normes résultant des législations nationale et communautaire s’imposent à nos collectivités.
Ces législations infligent toujours plus d’obligations aux collectivités territoriales, obligations qui se traduisent souvent par autant de coûts supplémentaires ou d’allongements des délais de procédure auxquels ces collectivités peuvent de plus en plus difficilement faire face.
Les difficultés rencontrées quotidiennement par les élus locaux sont réelles, mais, mes chers collègues, ne nous méprenons pas et gardons à l’esprit que cette exacerbation est en grande partie liée à l’insuffisance des moyens financiers dont sont dotées les collectivités ainsi qu’au retrait de l’État et à son absence de soutien technique dans nombre de nos départements.
En effet, si les collectivités sont en difficulté, c’est en raison non pas tant de la prolifération législative, pourtant certaine, que du désengagement des gouvernements précédents, qui ont peu à peu restreint les soutiens de l’État : suppression des dotations et subventions, allégements fiscaux bénéficiant aux entreprises, transferts de compétences et nouvelles attributions confiées aux collectivités sans les compensations financières exigées.
Permettez-moi de souligner également une autre raison : l’explosion de certains devis dès lors que le payeur est la collectivité publique…
C’est donc en redonnant aux collectivités les moyens de faire face aux exigences législatives nécessaires que nous ferons disparaître la principale source du problème – la principale mais non la seule, j’y insiste. Nous en sommes conscients, la prolifération législative est réelle et, en la matière, la concertation et l’alerte sont les meilleurs remèdes.
La révision générale des politiques publiques et ses conséquences désastreuses sur la présence des services de l’État au plus près des territoires ont contribué à l’exacerbation qui s’est exprimée lors des états généraux.
De nombreuses communes sont confrontées à la complexité technique de nombre de projets, et, alors que les fonctionnaires d’État pouvaient conseiller, contrôler, orienter, les communes se sont retrouvées seules. Réduire drastiquement la présence de l’État n’a pas diminué de la même manière le besoin d’accompagnement et de conseil des maires. De fait, le transfert s’est fait au bénéfice de consultants ou autres agences qui prolifèrent et facturent chaque service, augmentant ainsi le coût des projets tant en investissement qu’en fonctionnement.
Enfin, pour achever cette contextualisation partielle de notre débat, lors des travaux de la commission, notre collègue Alain Richard nous a invités à nous interroger sur les raisons de la prolifération des normes.
À chaque instant, pour chaque incident de la vie, la demande de sécurité – sécurité dans l’action publique, dans la réalisation publique – est renforcée, ce qui incite à aller toujours plus loin s’en jamais « revisiter » l’existant. Dans ce domaine, la judiciarisation de plus en plus importante a créé un paradoxe : la demande de norme explose, mais l’application de tant de nouvelles règles n’est plus possible. Il nous faut donc trouver les moyens financiers et techniques de remédier à cette difficulté.
Parallèlement, nous devons mieux anticiper les conséquences des normes désormais adoptées – en quelque sorte, quel service rendront-elles et à qui ? – et aussi revoir celles qui sont devenues désuètes.
Enfin, en tant non seulement qu’élu mais aussi que citoyen, ne perdons jamais de vue que si, immédiatement, la norme peut être contraignante à l’égard de certains, à plus long terme, elle en protège d’autres.
C’est ce difficile équilibre qu’il nous faut systématiquement chercher à atteindre.
M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Absolument !
Mme Cécile Cukierman. En fonction du degré de contrainte et de protection qu’il nous appartient d’apprécier, si la création d’une nouvelle norme à l’échelon national nous semble relever de l’intérêt général, nous devrons ensuite assurer les moyens de sa mise en œuvre, faute de quoi nous risquons de renforcer les inégalités dans nos territoires.
J’en reviens plus précisément à la proposition de loi que nous examinons.
Aux termes du rapport, « des progrès significatifs ont été réalisés ces dernières années, grâce notamment au rôle du commissaire à la simplification, de la commission consultative d’évaluation des normes – CCEN – et de la commission d’examen des règlements fédéraux relatifs aux équipements sportifs – CERFRES – qui, à travers le dialogue et la concertation, ont permis l’évolution des méthodes de travail des administrations centrales, qui s’interrogent davantage sur l’utilité des textes qu’elles rédigent et évaluent avec les élus locaux les conséquences techniques et budgétaires de leurs prescriptions ».
Privilégier la concertation en amont permet donc de renforcer le dialogue entre les élus locaux et les services de l’État. Et c’est afin de développer encore le dialogue et la concertation entre le Gouvernement ou le Parlement et les élus locaux que nous approuvons la proposition de loi dont nous débattons.
Nous approuvons notamment la volonté d’accroître le nombre de textes passés au crible du futur Conseil national, ainsi que le renforcement de son expertise par le biais de l’élargissement de sa composition. Cet élargissement du collège des élus permettra de mieux faire face aux cadences imposées par l’État. Nous nous interrogeons toutefois sur les modalités de représentation du Parlement, la présence de deux députés et de deux sénateurs interdisant un véritable pluralisme.
Nous approuvons la volonté de renforcer la portée des avis rendus par l’actuelle commission, qui laissera sa place au Conseil national d’évaluation des normes. Les avis sur les projets de textes réglementaires et les projets de loi de cette nouvelle instance seront publiés au Journal officiel de la République française. Ses avis sur les projets de loi seront aussi annexés à l’étude d’impact, ce complément étant destiné à renforcer l’information du Parlement dans le cadre de sa mission législative et de contrôle.
Comme l’a souligné M. le rapporteur, ces dispositions contribueront à accroître la publicité des travaux de cette nouvelle institution et à responsabiliser les administrations centrales lors de leurs travaux d’élaboration des projets réglementaires ou législatifs. Dès lors, comme l’a rappelé M. le président de la commission, tout parlementaire pourra aisément se référer aux prescriptions du Conseil national d’évaluation des normes.
Ainsi, comme l’actuelle CCEN, ce dernier jouera un rôle d’expertise et d’alerte très important. Pour autant, il ne faudrait pas qu’il se substitue au pouvoir exécutif. Lors de nos travaux en commission, nous nous sommes interrogés sur le pouvoir qui lui est donné d’obliger le Gouvernement à présenter un nouveau « projet modifié » de règlement lorsqu’il émet un avis défavorable sur celui-ci. Cet avis s’apparente quelque peu à un avis contraignant. Le Gouvernement ne sera peut-être pas tenu de le suivre à la lettre, mais l’article 1er est explicite : le projet de règlement devra bel et bien être modifié.
Malgré ces interrogations, qui seront peut-être levées au cours du débat, nous soutenons, je l’ai déjà indiqué, la présente proposition de loi. Mais, comme je l’ai aussi souligné au début de mon intervention, gardons ce fait à l’esprit : l’édiction de règles répond le plus souvent à un besoin essentiel de sécurité technique et juridique ; derrière le rejet des normes par les élus se cache en réalité la difficulté de les mettre en œuvre, faute d’accompagnement technique par les administrations et de soutien financier par l’État.
Nous ne devons donc pas céder à la facilité et contourner le problème. Au contraire, nous devons l’envisager dans sa globalité afin de répondre aux attentes des élus, essentiellement demandeurs d’expertise et de moyens, et, plus largement, de l’ensemble de la population.
Pour conclure, mes chers collègues, je souhaiterais attirer votre attention sur un point. Mercredi dernier, lors de sa réunion, la commission des lois a précisé, sur l’initiative de son rapporteur, que le Conseil national pourrait proposer, dans ses recommandations, des mesures d’adaptation de normes réglementaires en vigueur si l’application de ces dernières entraîne des conséquences matérielles, techniques ou financières disproportionnées au regard des objectifs poursuivis pour les collectivités territoriales ou leurs groupements.
On retrouve, en filigrane, le principe de proportionnalité des normes, prôné par notre collègue Éric Doligé et que nous avions dénoncé lors de la discussion de la proposition de loi de simplification des normes applicables aux collectivités territoriales.
Ce principe est évidemment inacceptable, car son application ne reviendrait, comme je le disais, qu’à contourner le problème et à créer de nouvelles sources d’inégalités en fonction des richesses disponibles sur les territoires.
Certes, la présente proposition de loi ne prévoit qu’une simple possibilité. Nous serons donc extrêmement vigilants sur ce point. Nous devrons veiller à ce que les recommandations du Conseil national n’aboutissent pas à mettre en place une forme de déréglementation ou de dé-régularisation dans laquelle les objectifs d’accessibilité, de sécurité, de normes sanitaires et de protection de l’environnement seraient relégués.
Indépendamment des réserves que j’ai émises au nom des membres du groupe CRC, nous soutiendrons, je le répète, la présente proposition de loi, qui résulte d’une forte demande exprimée lors de la campagne pour les élections sénatoriales au cours de l’été de 2011 et qui est largement revenue sur le devant de la scène lors des états généraux de la démocratie territoriale, au mois d’octobre dernier.