Nous en sommes à la deuxième lecture du texte instituant un contrôleur général des prisons et il serait utile de tenir compte des remarques formulées par ceux qui sont le plus impliqués dans défense de la dignité des détenus. La commission veut un vote conforme, alors que la revalorisation annoncée du rôle dévolu au Parlement impose d’accorder une grande attention aux amendements.
Rappelons d’abord le contexte. Il y à sept ans, au lendemain du rapport Canivet et des deux commissions d’enquête parlementaires, la création d’un contrôleur de prison était apparue indispensable en raison de notre attachement aux droits de l’homme et au vu de l’expérience d’autres pays. Nous aurions pu être en avance, mais la proposition de loi de nos collègues Hyest et Cabanel n’a jamais été inscrite à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale après son vote par le Sénat.
Aujourd’hui, l’urgence est manifeste, car la politique pénale suivie depuis cinq ans a encore aggravé la situation. On dénombrait 60 677 détenus le 1er septembre 2007, contre 49 718 le 1er juillet 2000. Ce triste bilan n’a aucune chance de s’améliorer avec la loi du 10 août sur la récidive : depuis son entrée en vigueur, des peines quasiment automatiques envoient des personnes en prison quelles que soient les infractions commises ou la personnalité de leur auteur. Lorsque nous avertissions en juillet sur les risques de surpopulation carcérale induit par cette loi, vous rétorquiez à l’envi que son effet dissuasif éviterait de gonfler le nombre de détenus. Malheureusement, les chiffres prouvent le contraire : le premier bilan établi par votre ministère au 1er septembre, montre que 71 peines plancher ont été prononcées sur 118 condamnations de récidivistes, soit un taux de 60 % !
Et tout cela en moins d’un mois ! L’état de nos prisons ne peut supporter sans risque grave une nouvelle explosion du nombre de détenus : le taux d’occupation dans les maisons d’arrêt dépasse déjà 137 % et l’espace de déambulation dont disposent les prisonniers à Fleury-Mérogis n’est que de quatre mètres carrés. L’OIP parle à bon droit de « bêtes en cage », quand on sait que la surface minimale dans les chenils est de cinq mètres carrés par animal...
En outre, les centres de rétention se multiplient à cause de la politique répressive menée par le Gouvernement ; on en compte vingt-deux en métropole et trois à l’extérieur. Et je ne parle pas des lieux d’enfermement pour mineurs ou détenus souffrant de troubles psychiatriques.
Si nous nous réjouissons que la France se mette enfin en conformité avec le protocole additionnel facultatif des Nations unies contre la torture, la création du contrôleur général ne peut nous faire oublier une politique pénale à laquelle nous sommes fermement opposés. Alors que le texte initial était en retrait par rapport au protocole, et même à la proposition de loi Hyest-Cabanel, des améliorations ont été heureusement apportées par les deux assemblées : la nouvelle procédure de nomination, qui associe le Parlement, garantit mieux l’indépendance du contrôleur, qui sera choisi, comme l’ont souhaité les députés, en fonction de ses compétences et connaissances professionnelles. De même, il est bon qu’une articulation ait été trouvée entre le contrôleur et les instances internationales. Nous sommes enfin évidemment favorables à la possibilité offerte au contrôleur de saisir la CNDS ou le Médiateur de la République comme à l’obligation qui lui est faite de saisir le procureur s’il constate une infraction pénale.
Ces avancées ne répondent cependant pas à toutes nos exigences. Nous avions souhaité, en première lecture, que la compétence du contrôleur s’exerçât dans tous les lieux placés sous l’autorité de l’État, y compris à l’extérieur du territoire de la République ; mais la commission des finances nous avait opposé l’article 40. Après discussion, elle a bien voulu admettre que notre amendement n’était pas irrecevable ; nous réitérerons donc notre demande. Nous avons également déposé un amendement sur l’article 6, trop flou et trop restrictif.
Dans le texte initial, d’autre part, le contrôleur n’avait pas la possibilité d’effectuer des visites inopinées. Si les deux assemblées ont supprimé l’obligation qui lui était faite de prévenir les autorités responsables du lieu de privation de liberté, de nombreuses conditions et restrictions subsistent. La liste des motifs pouvant être invoqués pour reporter une visite a été maintenue après deuxième délibération ; nous en demanderons la suppression. Le fait que l’autorité responsable ne puisse s’opposer à une visite que pour des motifs graves et impérieux, ou qu’elle doive informer le contrôleur des circonstances qui justifient le report, change en réalité peu de choses : le contrôleur ne sera pas libre d’effectuer les visites qu’il estimerait opportunes. Si le protocole facultatif prévoit bien la possibilité pour un État de faire objection à une visite, c’est uniquement pour le sous-comité, et à titre exceptionnel. De telles exceptions ne sont pas prévues pour les mécanismes nationaux. Pourtant, les motifs liés à la sécurité publique, à la défense nationale ou à des troubles sérieux dans le lieu visité seraient précisément de nature à justifier une visite du contrôleur.
Dernière critique et non la moindre : les moyens alloués à l’institution paraissent bien insuffisants. Nos doutes de première lecture ne sont pas dissipés. Si les crédits sont bien inscrits dans un programme identifié, leur montant nous inquiète. Mme la garde des sceaux a parlé de 2,5 millions d’euros et de 18 collaborateurs ; mais comment chacun d’eux pourra-t-il visiter chaque année 321 lieux de privation de liberté ? L’attribution de moyens adéquats est la condition de l’efficacité ; on sait que la CNDS ou la CNIL ont des difficultés à mener à bien leurs missions.
Nous espérons que le Gouvernement tiendra son engagement de ratifier avant la fin de l’année le protocole facultatif. Dans cette attente, et comme en première lecture, nous nous abstiendrons avec regret.