Je vais faire entendre, ce soir, une voix dissonnante. Tout le poids de l’Histoire pèse sur la relation entre la France et Mayotte. Vingt-cinq ans après l’accession de la République des Comores à l’indépendance, le statut de Mayotte reste un sujet de débat. Celui que nous tenons ce soir précède l’organisation d’un référendum sur la départementalisation de Mayotte. Actuellement collectivité départementale depuis la loi du 11 juillet 2001, Mayotte pourrait ainsi devenir le cinquième département d’outre-mer et le 101e département français. En présentant cette consultation référendaire comme la suite logique de l’évolution du statut de l’île depuis 1976, le Gouvernement occulte totalement l’Histoire. Le rapport d’information évoque une situation, à Mayotte, « potentiellement explosive », et une coopération rendue difficile avec l’Union des Comores qui « n’a jamais accepté que Mayotte devienne française ». Et pour cause ! Mayotte n’est restée française que parce que la France l’a décidé unilatéralement.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission. - Ah non !
Mme Éliane Assassi. - En effet, la loi du 23 novembre 1974 a organisé une consultation d’autodétermination « des populations des Comores » et non de la population des Comores, afin de permettre le décompte des suffrages île par île. Or, si les trois îles d’Anjouan, de la Grande Comore et de Mohéli se sont prononcées à une très large majorité en faveur de l’indépendance, Mayotte s’est prononcée à 63,82 % en faveur du maintien dans la République française.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission. - Eh oui !
Mme Éliane Assassi. - C’est sur ce fondement que la France a décidé de conserver Mayotte et de mettre fin à l’unité de l’archipel des Comores. L’Assemblée nationale française, durant toute la période coloniale, avait pourtant toujours traité les Comores comme une seule et unique entité. La loi du 25 juillet 1912 portant rattachement des îles de Mayotte, Anjouan, Mohéli et Grande Comore à Madagascar, et les lois du 9 mai 1946 et du 22 décembre 1961 relatives à l’organisation des pouvoirs publics aux Comores en témoignent. Pourquoi remettre en cause, quinze ans plus tard, cette unité sinon en raison de l’intérêt stratégique que représente Mayotte pour la France ?
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission. - Mais non !
Mme Éliane Assassi. - Elle donne le contrôle du canal du Mozambique, par où transitent les deux tiers des exportations pétrolières en provenance du Moyen-Orient et la possibilité d’y maintenir des bases militaires.
M. Jean-Paul Virapoullé. - Et c’est tant mieux !
Mme Éliane Assassi. - Personne n’ignore qu’afin d’éviter que la population mahoraise n’opte pour l’indépendance, la consultation de 1974 a été précédée d’intimidations et de violences.
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. - Comment peut-on dire tant de contre-vérités ?
Mme Éliane Assassi. - La résolution 1514 de l’assemblée générale de l’ONU en date du 14 décembre 1960 affirmait que « tous les peuples ont un droit inaliénable à la pleine liberté, à l’exercice de leur souveraineté et à l’intégrité de leur territoire national » et déclarait que « toute tentative visant à détruire partiellement ou totalement l’unité nationale et l’intégrité territoriale d’un pays est incompatible avec les buts et les principes de la Charte des Nations Unies ». Mais le gouvernement français faisait fi de cette résolution -comme de celles qui allaient suivre. Alors que les Comores accèdent à l’indépendance le 6 juillet 1975 suite à une déclaration unilatérale du gouvernement des Comores, la France ne reconnaît l’indépendance que des seules îles de la Grande Comore, d’Anjouan et de Mohéli. Elle organise deux consultations de la seule population de Mayotte sur son maintien dans la République. En février 1976, si 99,4 % des suffrages exprimés se prononcent pour ce maintien, en avril 1976 ce sont 97,47 % des suffrages qui se prononcent contre le statut de territoire d’outre-mer. Ces deux consultations ont été condamnées par l’assemblée générale des Nations Unies dans sa résolution 31/4 du 18 octobre 1976, selon laquelle « les référendums imposés aux habitants de l’île comorienne de Mayotte constituent une violation de la souveraineté de l’État comorien et de son intégrité territoriale » ; elle considère l’un et l’autre référendum comme « nuls et non avenus », rejette toute forme de consultation ultérieure et « condamne énergiquement la présence de la France à Mayotte ». Au total, plus de vingt résolutions condamneront la France pour sa politique à Mayotte et l’occupation illégale de son territoire. L’appartenance de Mayotte à la souveraineté française n’est reconnue ni par les Nations Unies ni par l’Union africaine.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission. - Elle l’est par les Mahorais.
Mme Éliane Assassi. - Vous ne pourrez éternellement réécrire l’Histoire pour des raisons géostratégiques aux relents colonialistes.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission. - C’est vous qui la réécrivez !
Mme Éliane Assassi. - Votre rapport d’information, monsieur Hyest, ne fait aucune mention des condamnations de l’ONU, pas plus d’ailleurs que le compte rendu du conseil des ministres du 14 janvier 2009 sur l’organisation du référendum. Ce référendum est une violation flagrante du droit international. La départementalisation entérine le morcellement de l’archipel des Comores, au détriment de la population comorienne et de la stabilité institutionnelle et politique de l’archipel. Les Mahorais sont demeurés profondément comoriens par la culture, la langue et la religion. Ce sont les mêmes familles qui peuplent les quatre îles de l’archipel. Pourtant, les Comoriens sont considérés comme des clandestins lorsqu’ils se rendent à Mayotte. Le « visa Balladur » a crispé les relations entre les îles de l’archipel, en créant une frontière artificielle qui sépare Mayotte de ses soeurs. Des milliers de Comoriens tentent d’accéder à Mayotte.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission. - Comment cela se fait-il, d’après vous ?
Mme Éliane Assassi. - Chaque année, plus de 1 000 Comoriens perdent la vie dans le naufrage de leurs embarcations de fortune. La France engage sa responsabilité dans ces drames, tout autant que dans la gestion désastreuse de l’immigration à Mayotte. Les chiffres sont éloquents : 13 990 étrangers en situation irrégulière ont été reconduits à la frontière en 2007, dont 13 829 sont comoriens. Autrement dit, ces femmes et ces hommes, comoriens, qui tentent de se rendre sur un territoire qui doit être considéré comme comorien au regard du droit international, sont considérés comme des clandestins chez eux ! Ils se retrouvent pourtant parqués dans un centre de rétention administrative que la Commission nationale de déontologie de la sécurité a jugé en 2003 « indigne de la République ». Ils sont aujourd’hui 200 pour 60 places, entassés sur quelques matelas qui jonchent un sol où les restes des repas côtoient les poubelles, tandis que rien n’est prévu pour les enfants. Un véritable inventaire de la honte. Le pire est que le rapport d’information souligne qu’« une forte proportion des personnes reconduites aux Comores reviennent à Mayotte à court ou moyen terme » : comment voulez-vous qu’il en soit autrement puisque les Comoriens ont des liens indéfectibles avec Mayotte ! La départementalisation, qui va accroître les écarts entre les populations des trois îles des Comores et Mayotte, ne règlera en rien le problème. L’avenir qui se profile n’est en rien porteur d’espoir pour la population mahoraise. Il lui faudra accomplir, nous dit le rapport, « un effort d’acculturation » : le but est donc bien de couper tout lien culturel avec les îles soeurs d’Anjouan, de Grande Comore et de Mohéli, contrairement aux résolutions de l’ONU. C’est de surcroît une départementalisation au rabais que vous prévoyez. La mise en oeuvre du RMI et du Smic ne se fera que progressivement et sur une base inférieure à celle applicable en métropole. Et cela sous prétexte, je cite le rapport d’information, que la départementalisation ne doit pas « ajouter des bouleversements et des frustrations provoquées par une élévation artificielle des niveaux de vie ».
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission. - Votre discours est incohérent : puisque pour vous ils sont comoriens, on ne devrait rien leur donner...
Mme Éliane Assassi. - C’est le retour du vieux réflexe colonialiste de l’envahisseur blanc qui sait ce qui est bon pour les populations indigènes. Nous ne pouvons, nous ne voulons soutenir cette politique et souscrire à une départementalisation contraire au droit international. (Mme la ministre, M. le président de la commission et M. le co-rapporteur échangent des commentaires sarcastiques)
La France doit assumer son passé colonial, au lieu de l’occulter. Elle s’honorerait en contribuant avec l’Union européenne à développer les quatre îles des Comores pour construire les conditions sociales et politiques de leur unité.
Je viens d’exprimer l’opinion des sénateurs communistes républicains et citoyens, mais pas celle des sénateurs du parti de gauche, bien qu’ils soient membres du même groupe.