Cette proposition de loi valide le désengagement de l’État

Création de polices territoriales

Publié le 16 juin 2014 à 17:20 Mise à jour le 8 avril 2015

Monsieur le président, monsieur le ministre ; madame la rapporteur, mes chers collègues, vingt-cinq ans après l’officialisation des polices municipales, la mission d’information à l’origine de cette proposition de loi, consacrée à cette « police de la tranquillité publique », menée – il faut le reconnaître – avec rigueur et sérieux par nos collègues François Pillet et René Vandierendonck, avait pour objet de s’interroger sur l’équilibre général des dispositions législatives et réglementaires en vigueur. Les deux rapporteurs avaient conclu leurs travaux en formulant vingt-cinq préconisations ayant pour ambition « d’adapter le régime juridique des polices municipales et de favoriser un fonctionnement et un emploi plus efficient de ces services ».

Ils ont surtout commencé par dresser le constat des dérives qui découlent du désengagement progressif de l’État en matière de sécurité dans nos communes, dérives qui touchent « au fondement même de notre République », pour reprendre leurs propres termes.

Nous sommes entièrement d’accord sur ce constat, d’autant que, à maintes reprises, notamment dans cet hémicycle, nous avions dénoncé ce désengagement et alerté sur ses conséquences.

Ainsi, le rapport dénonce à juste titre la diminution progressive des effectifs de police nationale au cours des dernières années et le retrait des forces régaliennes du territoire, que les maires de tous bords… n’est-ce pas, monsieur Nègre ? Vous attendiez peut-être autre chose, mais je le dis avec force : « de tous bords » (M. Louis Nègre sourit.)… retrait que les maires de tous bords, donc, soucieux de la sécurité des citoyens, sont contraints de compenser par le renforcement de leurs services de police municipale.

Nos élus constatent chaque jour les conséquences de cet abandon, qui entraîne pour les budgets locaux des charges supplémentaires auxquelles ils ne peuvent souvent faire face qu’avec difficulté.

Mme Catherine Troendlé. Eh oui !

Mme Éliane Assassi. Ainsi, chaque fois qu’il est fait appel, par nécessité, à des services de sécurité privés, c’est notre service public qui en pâtit. Quoi de plus alarmant que d’être obligé de pallier la compétence régalienne de l’État en matière de sécurité, de paix, d’ordre public, de protection des personnes et des biens, par le recours à des services privés dont le seul objectif est la rentabilité ?

Je ne me lasserai pas de le répéter, la sécurité est l’affaire de l’État, qui doit entièrement la prendre en charge financièrement, ce qui n’empêche pas une implication des élus locaux. Cependant, en aucun cas, la sécurité ne doit peser sur les municipalités.

Aussi, mes chers collègues, permettez-moi de vous faire part de ma déception à la lecture de cette proposition de loi, qui traduit finalement le choix de nier le désengagement de l’État. Les dispositions qu’elle contient s’efforcent au contraire de pérenniser ce désengagement.

L’article 19 est particulièrement révélateur à cet égard puisqu’il prévoit une plus forte implication du procureur de la République eu égard à « l’accroissement des pouvoirs judiciaires des polices municipales », ainsi qu’un véritable partage entre les forces de sécurité nationale et la police territoriale « de la nature et des lieux des interventions ».

Cela aussi, je l’ai déjà dit, mais la répétition a des vertus pédagogiques : notre ambition va bien au-delà du simple aménagement prévu dans le texte. Pour éviter le développement d’une sécurité à double vitesse et pour que l’État se réapproprie sa mission régalienne, nous sommes favorables à la création d’un grand service public où seraient regroupées police municipale, police nationale et gendarmerie nationale, et où le rôle des différentes forces serait clairement défini, dans l’intérêt des citoyens comme dans celui des policiers. Cette ambition recueille l’assentiment des personnels.

Or ce texte est loin de créer un tel service. Certes, il permet la fusion entre les policiers municipaux et les gardes champêtres, disposition que nous approuvons. Certes, il autorise les policiers municipaux à accéder à certains fichiers. Cependant, il ne présente pas d’autre intérêt. Il y est ainsi fait peu de cas de l’intérêt des citoyens et de celui des policiers.

Pour les citoyens, tout d’abord, les inégalités devant la sécurité en fonction des moyens dont disposent les communes vont inéluctablement perdurer. Par ailleurs, même lorsque les communes ont suffisamment de moyens, les agents de police municipale se trouvent, par la force des choses, contraints d’effectuer de nouvelles missions de répression, pourtant dévolues en principe aux forces nationales, et ce au détriment de leurs missions traditionnelles de prévention et de proximité, pourtant essentielles et chères à nos concitoyens.

Quant aux policiers municipaux, leurs missions ont connu une évolution spectaculaire. Pendant longtemps, ils ont été cantonnés à la sécurité des enfants à la sortie des écoles ou à la verbalisation des mauvais stationnements. Cependant, peu à peu, en raison de la démission de l’État, leurs fonctions se sont étoffées. On devine la pression supplémentaire qui pèse sur ces policiers, ainsi que leur mal-être. Du fait des nouvelles charges qu’ils subissent, ils ont en effet le sentiment légitime de ne pas être reconnus à leur juste valeur.

J’ai reçu un très grand nombre et un très large panel de leurs représentants lors de la parution du rapport, et encore la semaine dernière, pour discuter de la proposition de loi. Je peux vous confirmer leur mal-être. Je tiens à relayer ici leur insatisfaction concernant ce texte qui, encore une fois, fait l’impasse sur le volet social, sur la pénibilité, sur leur rémunération et sur leur retraite.

Sachant que le salaire moyen des policiers municipaux est légèrement supérieur à 1 500 euros après vingt ans d’exercice et que leur retraite moyenne est inférieure à 1 000 euros, la revalorisation de leurs droits sociaux est à juste titre une attente forte des syndicats et de l’ensemble de ces agents. Ces personnels sont le service public. Ces femmes, ces hommes, ces « policiers du quotidien », comme ils se nomment, méritent que leurs revendications sociales soient enfin entendues.

Mes chers collègues, oui, nous espérions beaucoup, beaucoup plus après l’excellent rapport de nos collègues François Pillet et René Vandierendonck et le non moins excellent débat que nous avions eus ici même en janvier 2013. Cependant, malgré quelques avancées, attendues notamment par les gardes champêtres, la proposition de loi n’a pas le même souffle que le rapport de nos collègues. Elle n’est pas aboutie.

J’en viens maintenant au débat sur l’appellation de la police : faut-il parler de police « territoriale » ou de police « municipale » ? Avant de changer l’appellation, encore faudrait-il savoir de quel territoire il s’agit. Au moment où le Sénat s’apprête à examiner des textes sur les collectivités territoriales qui vont beaucoup l’occuper et sur lesquels on ne sait pas grand-chose aujourd’hui, on ne peut être certain du sens du qualificatif « territorial » ! C’est pourquoi je souhaite que l’on en reste pour l’heure à l’appellation « police municipale ».

Vous l’aurez compris, cette proposition de loi manque d’ambition à nos yeux. Elle comporte toutefois quelques avancées, et c’est la raison pour laquelle nous nous abstiendrons.

Éliane Assassi

Sénatrice de Seine-Saint-Denis - Présidente du groupe CRCE
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