Cette loi n’a pas été écrite ici mais à Bruxelles, sous le diktat des marchés financiers

Modernisation de l’action publique territoriale et affirmation des métropoles (deuxième lecture)

Publié le 2 octobre 2013 à 10:43 Mise à jour le 8 avril 2015

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, chacun se souvient que, en première lecture, notre groupe avait déposé une motion de renvoi à la commission. Aujourd’hui, la marche forcée s’accélère sur un texte qui, à bien des égards, va bouleverser nos institutions locales et qui préoccupe nos concitoyens et leurs élus.

M. Charles Revet. Oui !

M. Christian Favier. Oui, les grandes associations d’élus sont préoccupées ! Je pense notamment à l’AMF, qui rassemble les maires de France, toutes sensibilités confondues, et dont le président, Jacques Pélissard, estime que « les métropoles constituent un danger réel de marginaliser le maire et les élus ». (Mlle Sophie Joissains et M. Bruno Sido applaudissent.)

Il faut dire que, finalement, tout se passe dans le dos des citoyens et de leurs élus. Toutes les mesures contenues dans ce texte auraient nécessité l’organisation d’un vaste débat national, une écoute des aspirations montantes. C’est ce que nous avions commencé à initier à l’automne dernier, ici, au Sénat, avec les états généraux de la démocratie territoriale. Ceux-ci avaient permis aux élus locaux d’exprimer à la fois leur désarroi devant les réformes entreprises, les contraintes réglementaires et le manque de moyens. Ce fut aussi pour les élus locaux l’occasion de dire leur attente du respect de chaque niveau de collectivité, d’un statut de l’élu local et d’un cadre rénové précisant les missions de chacun pour améliorer les coopérations nécessaires.

Chacun s’accordait enfin pour affirmer le rôle primordial de nos communes et la nécessité d’une nouvelle étape de décentralisation replaçant au cœur de sa démarche les droits et libertés locales, tout en attendant une présence forte de l’État à leur côté pour assurer la cohérence d’ensemble et l’égalité entre les territoires et les citoyens qui y vivent.

Prolonger un tel débat était possible en profitant de la période électorale qui s’ouvre avec les municipales en mars prochain. Vous avez pourtant choisi d’opter pour un vote rapide, avec un débat tronqué, afin de répondre, d’abord, il faut bien le dire, aux injonctions de Bruxelles, qui vous demande de réduire toujours plus les dépenses publiques.

À ce propos, permettez-moi de citer la recommandation du Conseil de l’Union européenne du 29 mai dernier concernant le programme de stabilité de la France pour la période 2012-2017, qui, dans son point 10, estime « que l’examen en cours des dépenses publiques qui concerne non seulement l’administration centrale, mais aussi les administrations des collectivités locales et de la sécurité sociale, devrait indiquer comment améliorer encore l’efficacité des dépenses publiques. Il est également possible de rationaliser encore les différents niveaux de compétences administratifs afin d’accroître encore les synergies, les gains d’efficacité et les économies. La nouvelle loi de décentralisation prévue devrait traiter de cette question ». C’est écrit noir sur blanc dans un document que je tiens à votre disposition, mes chers collègues !

M. Éric Bocquet. C’est limpide !

M. Christian Favier. Donc, nous y sommes, et c’est on ne peut plus clair : cette loi de modernisation de l’action publique et d’affirmation des métropoles, ce n’est pas ici qu’elle a été écrite, mais bien à Bruxelles, sous le diktat des marchés financiers !

Peu importe la mise à mal de la démocratie locale, peu importent les coups portés aux services publics locaux, peu importe l’avis des élus et des populations, seule compte la mise en œuvre des recommandations libérales de Bruxelles !

Mes chers collègues, dans moins de six mois, nos concitoyens vont voter aux élections municipales, alors que personne ne sait, à ce jour, les compétences et les moyens dont disposeront les municipalités qui seront élues. Pis, les principales préoccupations exprimées par les citoyens recouvrent les compétences que vous vous apprêtez à retirer aux villes.

Madame la ministre, force est de constater que le texte que nous étudions ne répond en rien aux attentes de nos concitoyens et apporte des réponses inverses aux problèmes auxquels ils sont confrontés. Ainsi, comment comptez-vous concilier l’ambition d’égalité et de développement équilibré des territoires avec la création des métropoles et le développement des communautés urbaines, qui vont devenir des zones fortement concentrées aspirant l’essentiel des ressources et des capacités de développement disponibles ?

Ce que vous préconisez, c’est le choc des territoires par le développement de la compétitivité entre tous et leur mise en concurrence. De fait, les solidarités nationales vont disparaître, remplacées par des soutiens limités à l’intérieur même des territoires.

Deux mondes vont dorénavant se côtoyer et non plus partager.

Désormais, après des intercommunalités renforcées partout, place au regroupement forcé en pôles – pôles ruraux, d’un côté, urbains, de l’autre –, fracturant encore plus notre territoire.

C’est le règne du « quant à soi », de « l’entre nous » au détriment du vivre ensemble et de la diversité qui en est le moteur.

Enfin, en éloignant les lieux de décisions des élus et des citoyens, vous portez un très mauvais coup à la démocratie de proximité, qui constitue le socle fondamental de la République décentralisée.

En résumé, ce que vous nous proposez c’est, en lieu et place de l’action des élus locaux, connus et reconnus pour leur dévouement et leur écoute, une organisation administrative recentralisée, technocratique, froide et impersonnelle.

Pour finir, ne disposant pas du temps nécessaire à une analyse de ce texte et des évolutions entre les deux lectures, permettez-moi de formuler deux ultimes remarques.

La première touche à la conférence territoriale de l’action publique. Nous avions soutenu le texte du Sénat, et nous soutiendrons encore le texte de la commission à ce propos. Ce texte s’inscrit toutefois dans un ensemble d’autres documents, qui instaurent tous, à leur niveau, une nouvelle territorialisation de l’action publique que nous ne saurions accepter en l’état et qui nous semble mettre en cause le principe constitutionnel d’égalité des citoyens.

En effet, dorénavant, l’État pourra ne plus intervenir dans certains domaines, en déléguant ces compétences à une collectivité territoriale. C’est donc une forme d’action publique à la carte. Ce faisant, le rôle de l’État sera différent d’un territoire à l’autre, ce qui nous semble anticonstitutionnel, et même doublement puisque la mise en œuvre de la compétence, auparavant dévolue à l’État, se ferait à partir de pratiques locales pouvant différer d’un territoire à l’autre.

Certes, il nous faut sans aucun doute renforcer les coopérations entre l’État et les collectivités territoriales dans tous les domaines de l’action publique, ainsi qu’entre toutes les collectivités. Or qui dit coopération ne dit pas transfert et désengagement, mais, au contraire, pleine responsabilité de chacun et respect de tous.

C’est exactement le même raisonnement et la même confiance en l’intelligence locale qui nous conduit à rejeter sans aucune hésitation la nouvelle mouture de la métropole du Grand Paris concoctée en petit comité, sous la pression de quelques élus, au cœur de l’été et sans aucune étude d’impact.

Non, la métropole de Paris ne peut être ce monstre technocratique dessaisissant les communes de responsabilités majeures dans un espace urbain de près de 7 millions d’habitants ! Nous rejetons ce projet auxquels les maires concernés sont d’ailleurs très majoritairement hostiles. Les trois quarts d’entre eux ont d’ailleurs voté en faveur du vœu émis par le président de Paris Métropole : une autre construction, fondée sur la coopération entre les différentes structures existantes, et non sur leur destruction.

Sur les 200 membres de Paris Métropole, 132 élus présents ou représentés ont voté ce texte. Les élus socialistes auraient pu rassembler leurs 56 voix ; or seuls 33 d’entre eux se sont déplacés ou ont donné pouvoir. Il est des silences qui en disent bien plus que certains longs discours...

M. Éric Doligé. C’est vrai !

M. Christian Favier. Pour notre part, et sur la base du consensus opéré au sein de Paris Métropole, nous défendrons des amendements porteurs d’une vision solidaire, fédératrice et dynamique de la métropole capitale. Tels seraient d’ailleurs, selon nous, les axes de la nouvelle étape de décentralisation qui reste à imaginer et à construire.

Pour l’heure, il faut bien le dire, ce qui devait constituer l’acte III de la décentralisation n’est rien d’autre qu’un nouveau rendez-vous manqué.

Christian Favier

Ancien sénateur du Val de marne - Président du Conseil départemental
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