Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, à la lecture des propositions émises par l’Assemblée nationale pour assouplir les règles relatives à la refonte de la carte intercommunale, on serait tenté de dire : « Tout ça pour ça », tant ce texte a minima est décevant au regard des interrogations soulevées par le volet concerné de la réforme des collectivités.
Monsieur le ministre, après la cuisante défaite de votre camp aux élections sénatoriales, d’ailleurs due en grande partie à la colère des élus locaux contre votre réforme bâclée et autoritaire, après l’excellent travail de notre collègue Jean-Pierre Sueur et de la majorité du Sénat, vous avez envoyé en catastrophe le pompier Pélissard pour tenter d’éteindre l’incendie à la veille d’un nouveau scrutin périlleux.
Les quelques assouplissements proposés à la loi du 16 décembre 2010 ne font évidemment pas le compte et ne répondent que très partiellement au désaveu infligé par les commissions départementales de coopération intercommunale à votre procédure.
Dans le tiers des départements, les préfets, malgré les moyens de pression dont ils disposent sur les maires des petites communes, n’ont pas réussi à imposer leurs vues au sein des commissions départementales. Ils ont échoué dans la mise en œuvre de cette réforme phare du Président de la République.
Dans ces conditions, le Gouvernement hésite aujourd’hui à passer en force en mettant en œuvre les procédures prévues.
En effet, les articles 60 et 61 de la loi du 16 décembre 2010 prévoient déjà le cas de figure où la CDCI n’adopterait pas le schéma départemental de coopération intercommunale.
Le préfet peut alors malgré tout prendre les arrêtés de création, de modification de périmètres ou de fusion d’intercommunalités et de suppression ou de modification de périmètres de syndicats intercommunaux. Si ces arrêtés correspondent au projet qu’il a soumis à la CDCI, il n’a pas l’obligation de saisir à nouveau la commission, mais rien ne lui interdit de le faire. Et si ses arrêtés diffèrent de son projet initial, il a l’obligation de saisir la CDCI.
Or, si les schémas n’ont pas été adoptés dans certains départements, c’est bien en raison du désaccord de la CDCI sur les périmètres d’intercommunalités et sur les modifications des syndicats proposés par les préfets.
Dans ces conditions, si le préfet prend en compte ces divergences et propose des arrêtés qui répondent aux attentes de la commission, ces documents ne correspondront plus à son projet initial. Ce faisant, la consultation des CDCI devient obligatoire.
Finalement, nous venons de le voir, cette proposition de loi se limite à un aménagement à la marge des procédures d’élaboration des schémas départementaux. Grâce à elle, les préfets disposeront d’une année supplémentaire pour obtenir l’accord des commissions départementales sur leur projet.
Toutefois, au final, en cas de désaccord persistant, il n’y a pas de changement. Ils pourront toujours imposer leur vision, entre le 1er janvier et le 1er juin 2013. C’est donc toujours le poids du préfet qui reste déterminant, au détriment du rôle des élus et des CDCI.
Pour notre part, nous ne pouvons pas accepter cette frilosité persistante à l’égard des élus – le sujet, je le rappelle, les concerne tout de même au premier chef – et cette mainmise autoritaire des préfets.
Ainsi, cette proposition de loi ne remet nullement en cause les objectifs et les modalités de réalisation de la refonte de la carte intercommunale, visant au regroupement à marche forcée des structures intercommunales au nom d’une rationalisation autoritaire et technocratique, ce qui est loin d’être une priorité pour nos concitoyens.
Or c’est justement cette politique qui est aujourd’hui rejetée dans un grand nombre de départements ; certains n’ont pas adopté leur schéma départemental et beaucoup d’autres ont remis en cause les projets de regroupement qui leur étaient proposés.
Ainsi, après les très légères modifications des articles 60 et 61, que nous venons de voir, cette proposition de loi précise que les schémas départementaux seront revus dès 2015. Sont-ils si mauvais que leur révision doive être si rapide ?
Une autre modification apportée concerne le maintien, en certaines circonstances, des élus communautaires jusqu’à la fin de leur mandat, en 2014. Il s’agit là d’une mesure d’attente, respectueuse des élus communautaires qui sont actuellement en activité. C’est une bonne chose. Nous avions nous aussi demandé cette mesure.
Les autres modifications apportées par ce texte visent les pouvoirs de police, qui sont transférés automatiquement aux présidents des intercommunalités, dans le cadre d’un transfert de compétences d’une commune vers un EPCI.
Nous sommes opposés à ce principe d’automaticité du transfert qui figure actuellement dans la loi. À notre avis, les maires doivent décider de la transmission de leur pouvoir de police de manière volontaire.
Aussi, nous n’allons pas autoriser aujourd’hui un président d’intercommunalité à refuser d’assumer les pouvoirs de police qui lui sont transférés du fait qu’un certain nombre de maires reprendraient leurs pouvoirs.
Au fond, cette mesure ne fait que conforter le rôle primordial des présidents d’intercommunalité. Elle leur permettrait même de faire pression sur les maires « récalcitrants ».
Enfin, la dernière mesure proposée vise à permettre, par dérogation, la mise en place de syndicats intercommunaux dans certains domaines, par-delà le périmètre des EPCI.
Le Gouvernement s’est enfin rendu compte qu’il y avait un risque de blocage, en particulier dans le cadre scolaire. (M. le président de la commission des lois acquiesce.) Notre collègue Jean-Pierre Sueur l’a expliqué de manière tout à fait claire.
Ainsi, et nous le voyons mieux, c’est pour tenter de répondre aux difficultés rencontrées que cette proposition de loi a été déposée.
Cependant, ce texte ne vise qu’à retarder ou corriger légèrement des dispositions de la réforme territoriale, pour tenter d’en favoriser à tout prix l’application.
Comme l’a clairement indiqué l’auteur de la proposition de loi lors du débat en commission à l’Assemblée nationale, l’objectif est ici « d’apporter un peu plus de souplesse à la loi du 16 décembre 2010 en matière de calendrier, de compétences et de gouvernance ». Il a même ajouté que le texte se contentait d’« apporter quelques ajustements, sans modifier entièrement la loi ».
La proposition de loi de M. le président de la commission des lois, que nous avons adoptée au mois de novembre dernier, elle, remettait en cause les pleins pouvoirs des préfets, rendait une place plus importante, voire centrale, à la CDCI et s’inscrivait dans une démarche politique d’abrogation de la loi du 16 décembre 2010. Tel n’est pas le cas de la présente proposition de loi.
Faut-il rappeler ici que nous ne partageons pas les objectifs d’achèvement autoritaire et précipité de la carte intercommunale ?
Nous connaissons trop d’exemples d’intercommunalités « bidon », réalisées à des fins purement politiciennes, sans réel projet de territoire, pour ne pas tirer la sonnette d’alarme. Que penser, ainsi, d’une communauté d’agglomération qui se limiterait à deux communes, comme c’est le cas dans le département dont je suis l’élu, sans projet de territoire et avec pour seule justification la proximité politique entre les maires des deux villes concernées ?
Nous continuons de considérer qu’aucune commune, aucune intercommunalité ne doit être contrainte au regroupement contre son gré. Toute intercommunalité doit procéder d’une décision conforme au respect de la libre administration des communes et être fondée sur un projet de territoire partagé.
Pour nous, une intercommunalité est d’abord un outil de coopération, non un vecteur d’intégration forcée, au détriment des compétences communales. Elle doit être le résultat d’une véritable démarche démocratique, associant tous les citoyens, qui – il faut le reconnaître – sont aujourd’hui les grands absents de cette réforme.
De même, nous ne sommes pas favorables à la suppression des syndicats existants tant qu’ils répondent à des besoins. Nous restons convaincus que leur disparition favoriserait bien souvent le remplacement de la gestion publique par une gestion marchande.
Aussi, pour toutes ces raisons, notre groupe ne pourra pas soutenir cette proposition de loi. Nous voterons contre, pour affirmer qu’une autre vision est possible et qu’un autre chemin doit être emprunté pour soutenir et favoriser la coopération entre toutes les collectivités territoriales. Les états généraux de la démocratie territoriale, préparés par notre assemblée, devraient nous le permettre. C’est dans cette perspective que nous inscrivons notre vote.