Avec De Villepin... Une nouvelle impulsion libérale !

Publié le 9 juin 2005 à 16:38 Mise à jour le 8 avril 2015

par Guy Fischer

  • Intervention de Guy Fischer à l’occasion du débat suivant le discours de politique générale de Dominique de Villepin au Sénat.

Monsieur le Président,
Monsieur le Premier Ministre,
Mes cher(e)s collègues,

Au-delà des mots, au-delà des formules, vos propositions concrètes, M. le Premier Ministre, relèvent effectivement d’une impulsion, mais d’une impulsion libérale.
Le 29 mai, le peuple a clairement exigé qu’un coup d’arrêt soit porté au libéralisme en Europe comme en France, vous répondez par une pirouette que le choix n’est pas entre libéral et social. Mais que proposez-vous donc d’autres que les vieilles recettes mille fois servies du MEDEF ou de la CGPME ?
Vous remettez en cause l’un des principaux socles de notre modèle social : le contrat à durée indéterminée en créant un contrat de nouvelle précarité doté d’une période d’essai qui dépasse, tenez-vous bien, le délai maximum d’un CDD.
Dois-je vous rappeler, M. le Premier Ministre, que la caractéristique première d’une période d’essai est de démunir un salarié de la quasi-totalité de ses droits, notamment en matière d’indemnité, face à l’arbitraire patronal, fut-ce un « petit patron ».

Est-ce cela pour vous lever les obstacles à l’embauche ? Est-ce cela préserver le modèle social français ?
Vous ne l’avez pas dit, mais vous avez cédé aux sirènes les plus libérales de votre majorité parlementaire et vous avez fermé la porte au nez de la majorité, large, de notre peuple.
Le chèque emploi service constitue votre autre trouvaille, déjà annoncée par M. BORLOO, comme le contrat de nouvelle précarité avait été annoncé par le Rapport VIREVILLE.
Le chèque emploi service, c’est la généralisation de l’insécurité dans le travail. Cette méthode supprime l’idée même de contrat de travail. Ces chèques ne comportent pas de feuille de paie en bonne et due forme ouvrant ainsi la voie à des heures supplémentaires non déclarées.

Chacun sait également que les chèques emploi service génèrent pour les salariés des droits à congés payés et à la protection sociale au rabais.

Comment ne pas voir que ces chèques emplois service seront une bénédiction pour les employeurs de la restauration et du bâtiment qui pourront masquer ainsi le travail illégal en affichant une volonté, supposée, d’utiliser ce moyen de paiement.

Le chèque emploi service, c’est la fin du contrat de travail, c’est la réduction de la protection sociale au strict minimum, c’est le sous-emploi.
Troisième innovation remettant en cause les seuils de source de garantie sociale, vous complaisez une nouvelle fois au MEDEF dont la suppression des seuils constitue un vrai cheval de bataille.
Où est le social ? Où est la pondération du libéralisme ? Ces trois axes contredisent d’emblée votre propos.
Vous me répondrez que la relance de l’emploi vaut bien quelques sacrifices. Mais ce que les Français n’acceptent plus, ce sont les sacrifices toujours demandés aux mêmes : baisse du pouvoir d’achat, précarisation de l’emploi, logements de plus en plus indécents, offre du service public en chute libre alors que des profits faramineux sont annoncés régulièrement, rappelez-vous les 32 milliards d’euros de bénéfice des 100 premières entreprises du CAC 40 sur un seul semestre en 2004 ou la retraite en or des PDG de grandes entreprises.

Votre discours d’hier, M. le Premier Ministre, n’est en rien porteur de cette aspiration à la réduction des inégalités, au partage des richesses et par là même, d’une participation de tous à la bataille pour l’emploi que vous préconisez pourtant avec une belle ferveur.
Votre plan pour l’emploi se limite à un traitement social, à des mesures d’accompagnement, à la flexibilisation à outrance, dans un seul intérêt, celui du patron, celui des actionnaires. Vous n’oubliez pas d’ailleurs de culpabiliser le chômeur, les titulaires des minima sociaux, alors qu’il faudrait montrer du doigt ceux qui profitent de la misère des autres.

La faiblesse de votre propos sur la redynamisation de notre économie, sur la préservation et la promotion de notre appareil industriel et de notre agriculture, met en exergue l’absence de propositions audacieuses pour appuyer la lutte pour l’emploi sur la croissance.
Nous considérons pour notre part que la puissance publique doit tenir une place déterminante pour susciter l’investissement dans l’emploi en budgétant directement de grands chantiers et en créant les conditions pour drainer l’épargne vers l’emploi et la détourner de la spéculation financière.

Or, surprise, la seule mesure de financement d’un nouvel investissement pour l’emploi que vous préconisez, consiste à relancer la privatisation des autoroutes.
Drôle de conception de la puissance publique. Curieuse conception de l’Etat que de le priver d’outils économiques et financiers !
Comment ne pas s’étonner d’ailleurs de cette privatisation des autoroutes qui, à notre sens, favorisera fatalement le tout routier au détriment du développement du fret ferroviaire.

Donnez un signe, laissez un premier grand chantier en imposant le financement de la ligne de fret Lyon-Turin. Voilà qui serait du véritable volontarisme au service d’un développement durable, respectueux de l’environnement et bien sûr de croissance et source d’emplois.
Nous attendions ce type de mesures, vous avez préféré nous sortir la panoplie du parfait libéral.
Même si le style est différent, même si les bons mots de M. RAFFARIN ont disparu, il n’est pas surprenant que vous ayez salué avec emphase un bilan dévastateur, puisque vous continuez sur la lancée.

L’annonce de la poursuite de la privatisation de France Télécom dès le lendemain du verdict anti-libéral du peuple, l’annonce aujourd’hui de l’ouverture du capital de GDF le 23 juin prochain, confirme que l’objectif demeure, casser le modèle social français, tout céder aux puissances financières. Vous avez indiqué par une belle formule que la mondialisation n’était pas un idéal. Certes, mais vous la mettez en pratique, vous soumettez la France, l’Europe, à la domination des grandes multinationales en leur bradant par pans entiers, le bien public.

Où est la générosité, quand vous cassez l’espoir, exprimé le 29 mai, en tentant d’imposer par le poids d’institutions discréditées, une politique sanctionnée, désavouée, honnie par le peuple ?

Ce n’est certainement pas l’octroi de 1000 euros à tout chômeur acceptant un emploi, qui feront oublier que la simple prime de départ du PDG de Carrefour équivalait à 2185 fois le SMIC. Il est possible, M. le Premier Ministre, de prendre des mesures outre des abus sociaux manifestes.

Avant de conclure, j’ai noté votre quasi silence quant aux conséquences désastreuses de la décentralisation RAFFARIN sur l’harmonie du territoire et le devenir du service public. Rien non plus sur le devenir de La Poste, notamment, en zone rurale. Enfin, comment ne pas regretter votre alignement sur les thèses sécuritaires et stigmatisantes du Ministre de l’Intérieur et sur la politique des quotas en matière d’immigration prônée également par le même ministre. Allez-vous, demain, accepter le principe anti-républicain de la discrimination positive ?
Vous n’en faites rien, vous avez choisi le libéral contre le social, quoi que vous en disiez.
Est-ce cela que le peuple attendait ?

Pour en terminer, comment ne pas noter une nouvelle fois le décalage qui confine à l’absurdité entre les attentes populaires, entre les difficultés terribles des sans emploi, mais aussi, de l’immense majorité des salariés, et les certitudes d’un pouvoir assis sur u ne majorité désavouée de manière cinglante à trois reprises. Quand prendrons-nous le temps de débattre d’une évolution de nos institutions, si nécessaire et attendue par notre peuple ?

M. le Premier Ministre, le groupe communiste républicain et citoyen fut le seul groupe du Sénat à s’être prononcé contre le traité constitutionnel européen. Nous étions bien seuls dans cet hémicycle en février dernier, à nous élever contre l’adaptation de notre Constitution au libéralisme du traité européen.
C’est le peuple maintenant qui vous a dit non, qui vous dit ça suffit. Que va-t-il falloir faire pour briser la surdité de ce régime chancelant ?

Pour notre part, nous appelons au rassemblement dans les jours à venir de tous ceux qui aspirent à une autre société, débarrassée d’un libéralisme qui, décidément, a fait et espère encore faire beaucoup de mal en Europe et en France. Nous dénonçons dès à présent votre volonté de passer en force en annonçant le recours à la pratique des ordonnances pour poursuivre le démantèlement du code du travail.

Vous avez entendu les organisations syndicales et patronales mais vous n’avez écouté que les organisations patronales !
Un dernier mot concernant l’outre-mer : la situation économique et sociale y est particulièrement alarmante avec, notamment, dans les DOM, les menaces sur la filière canne et sur la production de la banane et un taux de chômage extrêmement élevé, atteignant jusqu’à 33% à la Réunion.
Une telle situation nécessite en elle-même un plan d’urgence pour l’emploi spécifique et réellement adapté aux exigences des populations ultramarines et à élaborer avec les forces vives de ces populations.

M. le Premier Ministre, nous ne vous accorderons pas notre confiance.

Guy Fischer

Ancien sénateur du Rhône

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