Application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution (réforme de la procédure législative) : article 13 (2)

Publié le 17 février 2009 à 15:07 Mise à jour le 8 avril 2015

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, soyons clairs : le projet de loi organique qui nous est soumis, en particulier son article 13, a fait couler beaucoup d’encre. C’est à juste titre, car il touche aux libertés publiques. Il serait donc souhaitable que notre discussion soit franche et fasse fi de toute hypocrisie ou tentative de dissimulation des réelles intentions des uns ou des autres.

Aux termes de l’article 13, « les règlements des assemblées peuvent, s’ils instituent une procédure impartissant des délais pour l’examen d’un texte en séance, déterminer les conditions dans lesquelles les amendements déposés par les membres du Parlement peuvent être mis aux voix sans discussion ». Le projet est donc sans équivoque : il offre la possibilité à une assemblée de n’autoriser que le dépôt des amendements et de refuser leur présentation.

Ce constat peut paraître simple, mais il mérite d’être précisé et entendu, car, du dépôt du rapport du comité présidé par M. Balladur aux débats de Versailles jusqu’à ce jour, le Gouvernement, notamment par votre entremise, monsieur le secrétaire d’État, a toujours tenté de faire croire que le simple fait de pouvoir déposer un amendement suffisait au respect de l’article 44 de la Constitution, qui, aujourd’hui encore, affirme le droit d’amendement comme un droit individuel et imprescriptible des parlementaires si, conformément à la jurisprudence du Conseil Constitutionnel, il est effectivement assuré.

Monsieur le secrétaire d’État, le 28 mai 2008, vous répondiez ainsi à l’un de nos collègues de l’Assemblée nationale : « Sincèrement, je ne sais plus dans quelle langue m’exprimer pour vous faire comprendre que vous aurez non seulement la possibilité de déposer et de discuter - puisque c’est le mot que vous vouliez entendre - des amendements [...]. »

Saviez-vous alors que vous défendriez quelques mois plus tard avec passion, conviction, voire acharnement, un projet de loi organique ouvrant la voie à l’adoption d’amendements « sans discussion » ?

L’alternative est simple : soit, vous avez manipulé le Parlement à l’occasion de la révision constitutionnelle (Protestations sur les travées de l’UMP), soit vous vous êtes fait manipuler au printemps dernier. (Mêmes mouvements.)

M. Roger Karoutchi, secrétaire d’État. C’est lamentable !

Mme Éliane Assassi. Vous n’étiez d’ailleurs pas le seul à dissimuler les véritables intentions du Gouvernement.

M. Roger Karoutchi, secrétaire d’État. Restez dans votre rôle, je resterai dans le mien !

Mme Éliane Assassi. Le même jour, Mme Rachida Dati affirmait ceci : « Je tiens à vous rassurer, le Gouvernement n’a pas l’intention de remettre en cause le droit d’amendement. Non seulement les amendements pourront être librement déposés, mais ils pourront être réexaminés en séance. »

M. Warsmann lui-même, qui fait pourtant de son combat contre ce qu’il appelle « l’obstruction » une question prioritaire, indiquait : « On ne touche pas au droit de déposer des amendements et ceux-ci viendront en séance et y seront discutés ».

Ces citations ne sont pas superflues. Elles éclaircissent notre débat et doivent éclairer le Conseil constitutionnel. Si le constituant a autorisé à légiférer sur une telle base, le droit d’amendement sera intégralement respecté ; cela signifie tout simplement que l’article 13 n’est conforme ni à la lettre ni à l’esprit de la Constitution et de nos institutions.

M. Warsmann, toujours, écrivait à la page 25 de son rapport sur la révision constitutionnelle : « il faut s’interroger sur le principe constitutionnel réservant au parlementaire le droit personnel de déposer des amendements et de les défendre ». Cette interrogation du président de la commission des lois de l’Assemblée nationale est un aveu : le droit d’amendement, c’est le droit d’en débattre.

Il poursuivait d’ailleurs, à la page 26 de son rapport : « on peut légitimement se demander si la protection de l’exercice effectif du droit d’amendement ne s’étend pas également à sa présentation. »

L’article 13 est donc contraire aux principes fondamentaux de notre droit. Le droit d’amender, le droit de multiplier les amendements pour alerter l’opinion et pour résister à une mesure estimée dangereuse, le droit d’opposition puisent leur source dans l’article II de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, qui prône le droit à l’insurrection. (M. Patrice Gélard, vice-président de la commission des lois, manifeste son étonnement.)

Je conclurai sur une remarque plus politique : qui peut reprocher aujourd’hui aux parlementaires communistes d’avoir mené à l’Assemblée nationale et au Sénat une bataille parlementaire pour préserver notre système de retraite par répartition ?

Cette bataille, avec la mobilisation des acteurs sociaux, a permis de freiner l’ambition de M. Fillon - il ne se prévaut guère de cet épisode aujourd’hui - visant à soumettre les retraites à la loi du marché et des fonds de pension.

Ce reproche, ce ne sont certainement pas les retraités ou les futurs retraités qui constatent avec inquiétude le sort de leurs homologues américains ou anglais qui le feront !

Éliane Assassi

Sénatrice de Seine-Saint-Denis - Présidente du groupe CRCE
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