Article 13
Les règlements des assemblées peuvent, s’ils instituent une procédure impartissant des délais pour l’examen d’un texte en séance, déterminer les conditions dans lesquelles les amendements déposés par les membres du Parlement peuvent être mis aux voix sans discussion.
Lorsqu’un amendement est déposé par le Gouvernement ou par la commission après la forclusion du délai de dépôt des amendements des membres du Parlement, les règlements des assemblées, s’ils instituent une procédure impartissant des délais pour l’examen d’un texte, doivent prévoir d’accorder un temps supplémentaire de discussion, à la demande d’un président de groupe, aux membres du Parlement.
Mes chers collègues, nous participons cet après-midi non à une simple bataille sur un article obscur que nos concitoyens ne pourraient comprendre mais à un débat important pour la défense des libertés parlementaires et, partant, des libertés publiques.
Je vais me référer aux propos tenus par le Président de la République, puisque c’est lui, avec, semble-t-il, un certain nombre de parlementaires de son entourage, qui inspire la conception de cet article 13, que la majorité s’obstine à maintenir. Le Président de la République a précisé le 7 février dernier, en présentant ses vœux aux parlementaires, le sens de la révision constitutionnelle et les conséquences qu’il entendait en tirer : « c’est un grand pouvoir qui vous a été confié par cette révision constitutionnelle. Mais qui dit grand pouvoir, dit grande responsabilité. »
Le Président de la République s’arroge donc le droit de dire aux parlementaires, qui pourraient être des irresponsables, qu’il faut exercer ce pouvoir avec « responsabilité » ! Qu’entend-il par là ?
Je ne peux m’empêcher de rapprocher ces propos de ceux que Mme Rachida Dati avait tenus aux élèves de l’École nationale de la magistrature : l’indépendance des magistrats se mérite. Cela signifie que l’indépendance n’a pas une valeur absolue.
Le Président de la République a donc indiqué aux parlementaires que si de nouveaux droits leur étaient octroyés, ils ne devaient pas en abuser, et ne pas gêner son action ! Il a poursuivi ainsi : « cela implique que le Parlement se donne les moyens d’améliorer ses méthodes de travail », tout en affirmant s’y connaître sur le sujet, puisqu’il a été parlementaire. Et il a terminé ainsi : « qui peut dire que le problème de l’amélioration du travail du Parlement en France ne se pose pas, qui peut le dire, qui sérieusement peut dire cela ? » À cette question, on ne peut bien évidemment répondre que positivement.
Mais le véritable problème est ailleurs : quels sont les causes, les modalités et les responsables des dysfonctionnements éventuels du fonctionnement du Parlement ?
Pour le Président de la République, « il n’y a pas un Gouvernement qui gouverne de son côté et un Parlement qui parlemente du sien ». Les parlementaires sont ainsi ramenés à des gens qui « parlementent », terme quelque peu péjoratif ! « Il y a deux pouvoirs imbriqués, deux acteurs de la réforme ».
Pour ma part, je continue à penser qu’il y a séparation des pouvoirs, avec, d’une part, un gouvernement et, d’autre part, un parlement.
Au fond, tout cela résume bien le problème auquel nous sommes confrontés aujourd’hui.
Le chef de l’État a imprimé la marque de sa pensée institutionnelle sur la révision constitutionnelle : la séparation des pouvoirs était peut-être un bon principe au XVIIIe siècle et pour nos anciens parlementaires illustres, mais nous sommes aujourd’hui à l’ère de l’efficacité. Il faut donc permettre au pouvoir exécutif d’agir plus vite, de s’adapter à l’opinion qu’il fabrique, en s’en tenant à des échanges télévisuels entre le pouvoir exécutif et le peuple. Parallèlement, il faut soumettre le Parlement et brider son autonomie, bien qu’elle soit constitutionnelle.
On comprend alors mieux le sens de la révision constitutionnelle que mon groupe n’a eu de cesse de dénoncer. Derrière l’annonce des nouveaux pouvoirs supposés du Parlement, notamment le partage de l’ordre du jour, on voit bien que s’organise un présidentialisme sur mesure, à la française, avec une confusion extrême des pouvoirs. Comment ne pas être inquiet ?
On a aussi vu le Président de la République, lors de son entretien télévisé du 5 février dernier, annoncer aux Français que la nomination du président de France Télévisions serait beaucoup plus démocratique, car il faudrait dorénavant l’accord des trois cinquièmes des parlementaires.
M. Jean-Pierre Sueur. C’était un mensonge !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C’était effectivement un pur mensonge, comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire. Et ceux qui ont voté le texte savent très bien que, en réalité, une majorité des trois cinquièmes des parlementaires est requise pour s’opposer à la nomination du président de France Télévisions, ce qui suppose un accord entre l’opposition et la majorité. C’est donc exactement l’inverse !
Ce débat sur le droit d’amendement, que tout le monde se plaît à sanctifier en le qualifiant d’« imprescriptible », d’« inaliénable », voire de « sacré » - voilà le sacré qui entre au Parlement ! -, c’est véritablement le triomphe des faux-semblants !
Le Gouvernement, et la majorité avec, est assez mal à l’aise, car, plus il répète que le droit d’amendement doit être respecté, plus on s’aperçoit qu’il ne veut pas le respecter tout à fait.
La Constitution, même après la révision de juillet dernier, prévoit que le droit d’amendement est un droit inaliénable. Selon la jurisprudence du Conseil constitutionnel, il faut, pour que ce droit soit respecté, que l’amendement soit discuté. Une limitation éventuelle du temps de parole serait donc en contradiction avec cette appréciation : les amendements seraient en quelque sorte « mort-nés », inexistants, puisqu’ils pourraient être déposés, mais ne seraient pas défendus.
Avec ces propositions sans vie, la démocratie serait atone : l’indépendance et la liberté des parlementaires ne seraient qu’un faux-semblant.
La majorité sénatoriale annonce qu’elle n’usera pas de cette possibilité offerte par la loi organique. Elle veut bien voter la disposition, mais elle ne veut pas l’appliquer. Elle considère donc, de fait, que l’article 13 ne respecte pas le droit d’amendement !
L’article 13, qui vise à instaurer le fameux crédit-temps qu’on peut qualifier de « 49-3 » parlementaire, viole à mon avis la Constitution. C’est une injure à l’histoire démocratique française et à ceux qui se sont battus pour que le pluralisme vive et que le pays échappe à toute dérive autocratique, dérive connue par le passé, mais aussi plus récemment, hélas !
À l’issue de ce débat sur cet article-clé pour l’avenir de nos institutions, nous appelons la majorité à aller jusqu’au bout de sa logique - l’inaliénabilité du droit d’’amendement - et à avoir le courage de ne pas voter cet article.