Administrateurs judiciaires

Publié le 19 février 2002 à 00:00 Mise à jour le 8 avril 2015

Par Robert BRET

Après nos débats de la semaine dernière et de ce soir qui ont abouti au rejet des deux premiers textes, nous examinons le troisième projet réformant les tribunaux de commerce.

Le projet de loi relatif aux professions d’administrateur et de mandataire judiciaires devait, en effet, constituer le complément logique de cette révision. Mais où est donc passée cette logique, après l’adoption de deux questions préalables ?

Il y a plus qu’une incohérence à vouloir légiférer sur une partie seulement du fameux triptyque remettant aux calendes grecques la mise en place de la mixité dans les tribunaux de commerce !

Vous nous privez à la fois du débat de fond et de l’exercice de notre droit d’amendement.

À qui ferez-vous croire que les mandataires judiciaires sont déconnectés des juridictions commerciales, chargées de les désigner en vertu de la loi de 1985 ?

Pourquoi n’avez-vous pas été jusqu’au bout de votre manœuvre en défendant également une question préalable sur ce texte ?

Peut-être avez-vous pressenti que les professionnels concernés étaient ouverts au dialogue, prêts à moderniser leurs activités dans le souci d’offrir aux juridictions et aux justiciables plus de garanties et d’efficacité ?

Les mandataires de justice sont moins préoccupés par la réglementation ­ même accrue ­ de leur profession que par l’ouverture à une concurrence débridée, conçue par l’Assemblée nationale.

Ils souhaitent continuer à exercer leurs missions dans le cadre d’une profession réglementée.

Le projet initial contenait un « équilibre » acceptable entre une ouverture à la concurrence contrôlée et un cadre légal d’exercice des professions de mandataires renforcé.

Le seul point sur lequel nous sommes d’accord avec la majorité sénatoriale est le suivant : le texte de l’Assemblée nationale renforce de manière excessive la réglementation des professions judiciaires ainsi que l’ouverture à la concurrence.

Ce constat nous rapproche, mais nos motivations divergent totalement.

Derrière ce texte se joue le sort de nombreuses entreprises, de leurs salariés et de leurs familles.

Je m’étonne que la droite se méfie de l’ouverture de la profession de mandataire de justice au secteur libre, alors qu’elle défend par ailleurs la liberté d’entreprendre !

La mauvaise réputation, des mandataires de justice s’explique partiellement ­ par la nature de leur mission.

Ces professionnels sont trop souvent porteurs de mauvaises nouvelles.

Ils arrivent à un moment de la procédure où il n’y a, hélas, guère d’espoir.

Cette situation n’est-elle pas davantage due à l’esprit de la loi du 25 janvier 1985 fixant le régime juridique des procédures collectives qui aurait dû être réformé, comme le gouvernement s’y était engagé ?

La nécessaire réforme proposée risque de demeurer incomplète, voire de n’être qu’un cautère sur une jambe de bois.

Les mandataires ne représentent que la partie visible de l’iceberg, la partie cachée étant les procédures collectives.

La loi de 1985, revue en 1994 à l’initiative de la droite sénatoriale sous un gouvernement de droite&#133

M. GARREC, président de la commission. C’est si rare !

M. BRET. &#133 rime davantage avec liquidation, cessation, licenciements qu’avec redressement, continuation, sauvegarde des entreprises et des emplois.

Les plans de licenciements, qui fluctuent au gré des courbes boursières, sont hélas trop fréquents !

La loi de 1985 n’est pas complètement étrangère aux abus dénoncés par les rapports parlementaires et les inspections de la Chancellerie et de Bercy.

S’il faut lutter contre les dérives constatées, l’ouverture à la concurrence externe est- elle pour autant la solution, quand la mise en place d’un meilleur contrôle allié à un renforcement des moyens pour l’exercer efficacement aurait suffi ?

N’est-il pas contradictoire de corseter les professions d’administrateur et de mandataire judiciaires et d’ouvrir grand les portes de la concurrence à des personnes extérieures qui échapperaient à toute réglementation ?

J’y vois le risque d’une concurrence sauvage et déloyale, ultralibérale, entre les inscrits et les non-inscrits, qui n’ont pas du tout les mêmes obligations.

Pour les non-inscrits, ne s’appliquent ni les conditions de sélection (examen d’accès au stage, stage professionnel et examen d’aptitude, obligation de formation continue) ni la limite d’âge ni le régime des incompatibilités ni la déclaration d’intérêts&#133

Quel intérêt auront les mandataires de justice à rester dans le cadre d’une profession réglementée ?

Ne choisiront-ils pas de passer dans le secteur « libre », beaucoup moins contraignant ?

M. HYEST, rapporteur. Eh oui !

M. BRET. Est-ce vraiment l’objectif de la réforme ?

La transparence et la lutte contre les excès souhaitées par le texte, seront-elles favorisées par l’absence de tout encadrement ?

Il y a lieu de s’interroger alors sur la pérennité des professions réglementées, en matière de prévention des difficultés des entreprises, et de sauvegarde des emplois ? Serait-ce compatible avec l’intérêt général, celui des entreprises et de leurs salariés, bref des justiciables ?

Si cette profession, qui constitue une spécificité française, devait disparaître ce serait au profit exclusif des grands cabinets d’audit, contrôlés par des multinationales du chiffre et du droit aux motivations plus qu’incertaines en terme de prévention des difficultés des entreprises et de sauvegarde des emplois&#133

M. Paul BLANC. Andersen !

M. BRET. Les grands absents de cette réforme sont les salariés.

Il manque à ce texte un volet sur la place et le rôle de ces derniers tout au long des procédures collectives.

Si l’on veut moderniser la profession de mandataires judiciaires et l’ouvrir sur l’extérieur, pourquoi ne pas envisager une implication accrue des salariés qui sont les premiers pénalisés dans leur emploi et dans leur pouvoir d’achat par les procédures collectives.

Ils peuvent apporter beaucoup, d’autant que l’on ne peut leur reprocher d’aller à l’encontre de l’intérêt général.

Pourquoi ne pas confier des mandats d’administrateurs ou de mandataires judiciaires à des salariés ou à d’anciens salariés ?

Pourquoi n’ont-ils aucun représentant au sein de la commission nationale chargée de statuer sur les candidatures à l’inscription sur la liste des mandataires de justice ?

Robert Bret

Ancien sénateur des Bouches-du-Rhône
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