Votée par la majorité sénatoriale, la flat tax, cet impôt unique de 30% sur le capital voulu par le gouvernement, va amputer les caisses de l'État de 4 milliards d'euros. Et rapporter beaucoup à des ménages déjà très fortunés. Explications d'@EricBocquet. pic.twitter.com/rjOz138CPe
— Sénateurs CRCE (@senateursCRCE) 27 novembre 2017
Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, il faut bien une prise de parole sur l’article pour se mettre en appétit : nous abordons une mesure phare, emblématique du projet de loi de finances pour 2018. Pour situer les enjeux de l’article 11, rien de mieux sans doute que de faire référence aux éléments fournis par l’OFCE sur la mesure qui nous est soumise.
« La réforme défendue par Emmanuel Macron dans son programme présidentiel s’inspire notamment de la réforme fiscale suédoise de 1991 ayant instauré un impôt proportionnel de 30 % sur l’ensemble des revenus du capital.
« La réforme du PFU [prélèvement forfaitaire unique] a été annoncée comme neutre budgétairement dans le programme présidentiel. Dans les faits, si la réforme n’engendre que des gagnants, son coût budgétaire pourrait être significatif. Notons qu’à l’heure actuelle le taux marginal d’imposition dans la deuxième tranche de l’impôt sur le revenu est de 14 %, auxquels s’ajoutent 15,5 % de prélèvements sociaux, soit un taux marginal total de 29,5 % pour les ménages aux taux marginaux les plus faibles...
A contrario, excepté pour les revenus d’assurance vie de plus de huit ans, le PFU constitue une diminution de taux par rapport aux taux des prélèvements libératoires déjà existants. Ainsi, selon notre évaluation, sur la base d’un PFU à 30 % avec possibilité de rester imposé au barème de l’impôt sur le revenu pour les ménages étant peu ou pas imposés, son coût budgétaire serait de l’ordre de 4 milliards d’euros. »
Remercions les économistes de l’OFCE d’éclairer notre jugement sur la mesure qui nous est proposée. Nous sommes bien en présence de ce que l’économiste Gabriel Zucman qualifie de « bombe à retardement » pour les finances publiques et que, pour ma part, je nommerai sans hésitation une forme d’« évasion fiscale légale ».
L’étude de l’OFCE, publiée au mois de juin dernier et affinée depuis, apporte les précisions suivantes, une fois appliqué au dispositif le modèle macroéconomique de l’Observatoire en matière de fiscalité et de distribution des revenus : « Selon nos simulations, réalisées à l’aide du modèle de micro simulation Ines, développé par la DREES et l’INSEE, le "PFU à 30 %", avec la liberté laissée aux contribuables de choisir le mode d’imposition le moins élevé, devrait impacter positivement environ 12,8 millions de ménages pour un coût budgétaire de l’ordre de 4 milliards d’euros, soit un gain moyen de l’ordre de 315 euros par ménage bénéficiaire.
749 163 : c’est le nombre de ceux qui ont a priori quelque intérêt à voir s’appliquer l’article 11 que le Gouvernement entend soumettre à la décision du Parlement. Cela fait environ 2 % du total des contribuables assujettis à l’impôt sur le revenu, c’est-à-dire ceux dont le revenu fiscal de référence dépasse 100 000 euros et qui, dans les faits, disposent d’un revenu moyen situé aux alentours de 190 000 euros.
Par rapport à la réforme de la taxe d’habitation, les choses sont plus simples. L’État est censé perdre environ 1,3 milliard d’euros en 2018 et aux alentours de 1,9 milliard d’euros les années suivantes. La compensation – la question se pose – sera payée par les autres contribuables, qui perdront en réduction de la dépense publique ce que d’autres pourront garder par-devers eux, avant de se mettre à l’affût d’un nouveau juteux placement de leurs petites économies.
Pour reprendre un exemple que nous avons évoqué lors du débat sur la taxe d’habitation, l’article 11 intéresse par exemple environ 8 000 familles de Neuilly-sur-Seine qui disposent de plus de 2,4 milliards d’euros de revenus et paient 615 millions d’impôts sur le revenu. À Loos, dans ma région, dans la banlieue lilloise, 57 contribuables ont déclaré plus de 100 000 euros, pour un montant global de 9,4 millions d’euros et un peu moins de 2 millions d’euros d’impôt à payer. Ces données simples montrent les enjeux et illustrent clairement l’objectif du dispositif.
Pourquoi faire référence à ce seuil de 100 000 euros ? Tout simplement parce que, selon les éléments fournis par les sites du ministère, ce n’est qu’à partir de ce seuil d’imposition que le taux apparent d’imposition excède les 12,8 % forfaitaires. Eh oui, les seuls contribuables ayant un quelconque intérêt à voir s’appliquer l’article 11 ne peuvent être, par principe, que ceux dont le revenu global est soumis à un prélèvement supérieur à 12,8 % ! Les retraités, prévenants pour leurs petits-enfants, qui mettent quelques sous de côté au guichet de leur banque de dépôt n’ont strictement aucun intérêt à passer par le régime de l’article 11.
Pour ne rien arranger et, probablement pour pousser à l’achat des stocks de logements invendus de quelque dispositif d’investissement immobilier incitatif, l’article 11 emmène dans ses bagages l’imposition des revenus tirés de la capitalisation des plans d’épargne logement et des comptes épargne logement.