Il ne s’agit pas seulement de soutenir la colère des agriculteurs, mais d’agir

Projet de loi de finances pour 2020 : agriculture

Publié le 3 décembre 2019 à 10:48 Mise à jour le 6 décembre 2019

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, produire mieux, ne plus utiliser de pesticides, préserver la santé du consommateur, protéger la biodiversité, ne pas nuire aux voisins avec des animaux bruyants ou un épandage trop odorant, telles sont les nouvelles injonctions adressées aux agriculteurs. Autrefois professionnels les plus appréciés de nos concitoyens, ils font face aujourd’hui à un désamour qui va parfois jusqu’à l’agribashing.

Ces hommes et ces femmes font face à un milieu toujours plus concurrentiel, où leur travail ne leur permet plus de vivre, car les prix ne sont plus garantis. Nous devons agir en faveur des agriculteurs, qui assurent depuis des décennies l’autosuffisance alimentaire de notre pays, offrant ainsi à l’ensemble de la population une meilleure espérance de vie.

M. Laurent Duplomb, rapporteur pour avis. Très bien !

Mme Cécile Cukierman. Il ne s’agit pas de nier l’impact de l’agriculture sur l’environnement ni la nécessité d’une transition vers un modèle plus vertueux. Toutefois, le procès permanent d’une profession en difficulté n’est pas acceptable. Le monde agricole est en évolution perpétuelle, les modes de production ne cessant d’évoluer depuis les années soixante.

Oui, le métier d’agriculteur n’est plus celui d’il y a cinquante ans ! L’agriculteur est aujourd’hui plus formé. De plus en plus, il doit devenir gestionnaire, comptable, administrateur et bientôt ingénieur numérique ou robotique, tant l’agriculture devient le débouché d’un marché technologique en pleine expansion.

Faut-il rappeler ici que, pour répondre aux exigences de production, mais aussi aux exigences sanitaires et environnementales, les agriculteurs ont dû s’endetter à des taux parfois prohibitifs ? Or ils sont aujourd’hui en première ligne face au changement climatique, victimes de sécheresses à répétition, d’inondations et de nombreux autres épisodes qui fragilisent fortement leurs revenus.

Navrée de vous le dire, après des années de pénurie, ce n’est pas une légère hausse de la mission « Agriculture » qui aidera les agriculteurs à survivre à cette crise désormais structurelle.

Il est temps de le reconnaître, comme cela a été fait au siècle dernier, mais aussi lors des négociations des accords du GATT, les spécificités économiques et sociologiques de l’agriculture justifient une intervention volontariste des pouvoirs publics. Nous devons protéger notre modèle agricole contre les effets de la libéralisation des marchés et du rapport de force indécent et déséquilibré entre, d’une part, la grande distribution et l’agro-industrie et, d’autre part, les agriculteurs.

Comment ne pas entendre qu’il est impératif de garantir à l’agriculteur les « justes prix » nécessaires à sa survie ? Monsieur le ministre, il est temps de le reconnaître, les objectifs des États généraux ne sont pas atteints.

Ainsi, les prix payés aux producteurs ont continué de baisser. Dans le même temps, les consommateurs ont vu les prix augmenter.

M. Laurent Duplomb, rapporteur pour avis. Eh oui !

Mme Cécile Cukierman. La grande distribution a gagné plus de 800 millions d’euros sur le dos des producteurs et des consommateurs depuis que la loi Égalim a été promulguée. (M. Laurent Duplomb, rapporteur pour avis, ainsi que MM. Jean-Paul Émorine et Jackie Pierre applaudissent.)

La régulation des marchés agricoles et les politiques agricoles ne doivent plus être perçues comme des entorses au principe de la concurrence libre et non faussée. Cela n’est plus soutenable, ni économiquement ni écologiquement. Nous devons revenir sur les accords de libre-échange que nous avons ratifiés et renoncer à ceux qui sont en cours de discussion, comme le CETA, lequel, nous l’avons déjà dit, ne va pas dans le sens de l’histoire et est en contradiction avec ce que vous semblez pourtant, monsieur le ministre, vouloir défendre. Ratifier ce genre d’accords entraîne une concurrence déloyale exacerbée, avec des normes et, donc, des prix différents. En outre, la traçabilité étant proche du néant, nous courons le risque de faire face à de nouveaux scandales sanitaires. Je ne reviendrai pas sur le scandale des faux steaks et le rapport de mon collègue Fabien Gay, qui attend d’ailleurs toujours d’être reçu par vous-même, afin d’échanger réellement sur ces problématiques sanitaires et de distribution alimentaire.

Il s’agit non pas simplement de soutenir la colère des agriculteurs, mais d’agir ! Finalement, la seule question que nous devons nous poser est la suivante : quelle agriculture voulons-nous ?

Voulons-nous d’un modèle fortement concentré, réduit à 100 000 exploitations, tourné vers l’agro-industrie, le bio restant réservé aux plus aisés ? Ou bien voulons-nous préserver et encourager les exploitations familiales, qui produisent elles aussi pour le marché, mais créent des richesses immatérielles, peu marchandes, collectives ?

Au groupe communiste républicain citoyen et écologiste, nous faisons le choix d’un modèle d’exploitation familiale, qui doit être préservé, et de l’agroécologie, nouveau modèle à développer. En somme, c’est le choix d’une agriculture saine pour tous, sans fracture sociale ni territoriale. Elle permet à tous ceux qui y travaillent d’en vivre et à l’ensemble de la population de se nourrir sainement à un coût abordable. Nous devons bien évidemment accompagner une telle décision, en exigeant, pour les produits importés, les mêmes règles phytosanitaires que celles qui sont imposées dans notre pays.

M. Laurent Duplomb, rapporteur pour avis. Très bien !

Mme Cécile Cukierman. Nos agriculteurs, mais aussi l’ensemble des consommateurs de notre pays en ont besoin. Il s’agit d’un défi national, auquel il nous appartient de répondre collectivement. Dans la mesure où les crédits de la mission qui nous sont proposés ne le permettront pas, nous ne voterons pas ces crédits.

CécileCukierman

Présidente de groupe
Sénatrice de la Loire
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