Vous avez creusé la dette, à force de cadeaux aux plus riches !

Loi de finances pour 2011

Publié le 18 novembre 2010 à 08:23 Mise à jour le 8 avril 2015

Version provisoire

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, plus de chômage, plus d’impôts, peu de croissance et moins de service public : voilà comment on peut résumer, en quelques mots, le projet de loi de finances pour 2011 !

À ceux qui parlent de sortie de crise, 4 millions de travailleuses et de travailleurs privés d’emploi ou n’exerçant qu’une activité réduite, répondent clairement : non, la crise continue !

À ceux qui polémiquent sur le taux des prélèvements obligatoires, ceux qui voient grimper la facture des impôts locaux, flamber le prix du plein d’essence à la pompe, augmenter le prix du paquet de cigarettes ou s’envoler le prix des produits frais peuvent répondre que les taxes et les impôts se portent très bien quand il s’agit de frapper la consommation populaire !

À ceux qui se demandent si, pour financer les entreprises, il faut passer par les banques ou par la bourse, les salariés victimes de plans sociaux en 2010, ceux qui sont frappés par le chômage partiel et le ralentissement, déjà perceptible, de l’activité industrielle, peuvent répondre que là n’est pas la question !

Enfin, à toutes celles et tous ceux qui parlent d’État modeste, de « performance » des services publics, d’efficacité, d’efficience, et de je ne sais encore quelle optimisation des services publics, les fermetures de classes, les files d’attente dans les préfectures ou la lenteur de la communication administrative apportent autant de réponses.

Depuis plusieurs années, le service public, élément décisif dans la vie de la nation, source d’efficacité économique et sociale, est attaqué, mis en cause, amoindri, au nom d’une idéologie libérale dépassée qui veut faire croire qu’une diminution du « collectif » et de la solidarité est nécessaire au bien commun !

Ce projet de loi pour 2011 s’inscrit, dans ses grandes lignes, dans la filiation des lois de finances dont nous avons pu débattre depuis 2002.

La « priorité des priorités », nous l’avons vu lors de l’examen de la loi de programmation des finances publiques, c’est la réduction des déficits publics. La belle affaire que voilà !

Comment se fait-il que, depuis 2002, toutes les lois de finances aient fait de cette réduction des déficits publics l’absolue priorité de leur mise en œuvre et que ces déficits, et la dette avec eux, n’aient cessé de croître et d’embellir depuis ?

Ce matin, le rapporteur général nous a gratifiés d’un plaidoyer, que je qualifierai d’idéologique – toujours le même ! –, en faveur d’un budget qu’il estime bon pour l’avenir.

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. L’existence de la dette, ce n’est pas de l’idéologie, c’est une réalité !

M. Thierry Foucaud. Monsieur le rapporteur général, tous les ans, nous avons droit à la même rengaine !

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. La situation empire d’année en année !

M. Thierry Foucaud. Il s’agit de l’un de ces budgets où il y a encore moins d’argent utile, celui qui va à la santé, à l’école, à l’industrie ou au logement.

Les déficits s’accroissent d’année en année, le nombre de chômeurs également, et le problème du logement ne se résout pas.

À l’école aussi, les problèmes sont évidents, notamment dans le premier degré, au regard de l’augmentation du nombre d’élèves et de la diminution du nombre d’enseignants, et la situation est très tendue.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. La dette, c’est la disparition de l’indépendance nationale ! C’est une aliénation !

M. Thierry Foucaud. Le problème, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, c’est que les déficits et la dette ne viennent pas d’un excès de dépenses publiques, mais de la crise et des cadeaux faits aux plus riches et aux grands groupes, comme nous le voyons avec les 142 milliards d’euros de trésorerie dont disposent les sociétés du CAC 40 !

Joseph Stiglitz disait dernièrement que tout avait été fait « pour contourner les normes comptables et échapper aux impôts nécessaires pour financer investissements publics en infrastructures et en technologies qui portent la croissance réelle et non la croissance fantôme promise par le secteur financier ».

En guise de conclusion provisoire, le Gouvernement nous a d’ailleurs enjoint de voter la loi sur les retraites, au motif de la nécessité de sauver la retraite par répartition, et ce pour la troisième fois en moins de vingt ans !

En 1993, il fallait sauver les retraites, et ce sont les 35 heures et la croissance retrouvée de 1997 et 1998 qui ont remis les comptes à l’équilibre !

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Les 35 heures, ça m’étonnerait !

M. Thierry Foucaud. En 2003, il fallait déjà sauver les retraites. Faute d’alternance, et d’alternative politique en découlant, 2010 a marqué la fin – provisoire, je l’espère ! – de la retraite à 60 ans, parce qu’aucune autre solution n’était admissible pour les libéraux, incapables de réduire les déficits !

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Nous attendons vos propositions !

M. Thierry Foucaud. Ave ce projet de loi de finances pour 2011, on nous annonce, pour la énième fois, que nous allons lutter avec détermination et efficacité contre les déficits. Ces déclarations nous laissent dubitatifs puisque les précédentes lois de finances, sous-tendues par les mêmes intentions, n’y sont pas parvenues !

Par ailleurs, nous nous demandons depuis plusieurs années quels sont les vecteurs essentiels de ce déficit public et de cette dette publique, agités comme autant d’épouvantails pour justifier des politiques d’austérité.

Cette démarche, largement inspirée par la Commission européenne, est également défendue becs et ongles par la Chancelière de La République fédérale d’Allemagne, qui sait fort bien, et de longue date, que son pays doit une bonne partie de sa force économique à la manière dont il écrase la concurrence des autres pays de l’Union, notamment sur le plan commercial.

Permettez-moi d’ailleurs de pointer, dès maintenant, l’une des limites essentielles de la politique d’austérité qu’entend mener le Gouvernement.

Alors que nous avons connu en 2008 un épisode inédit de la crise, sous la forme d’une surchauffe des secteurs financiers – un incident dont il convient de sortir ! –, l’Union européenne a décidé d’être la seule partie du monde à mener des politiques d’austérité pour enclencher de nouveau le processus de croissance.

Il n’y a qu’en Europe que l’on entend remettre les économies d’aplomb par la réduction des dépenses publiques et la limitation de la création monétaire !

À peine avions-nous débattu de la loi de programmation que le Gouverneur de la Banque centrale américaine, à la suite des résultats des élections de mi-mandat, annonçait qu’il allait mettre en circulation 600 milliards de dollars supplémentaires pour racheter une partie de la dette publique colossale de l’État fédéral américain ! Quitte à ce que tout cela pèse sur la valeur du dollar – et c’est l’architecture d’une loi de finances fondée sur un euro à parité de 1,30 dollar qui en prend un coup ! –, car l’objectif est de relancer l’activité économique, une relance qui permettra à la valeur du billet vert d’être adossée à une production réelle de biens et de services !

On pourrait se demander, à ce stade, ce qu’attend Jean-Claude Trichet, arc-bouté sur sa crainte de l’inflation monétaire, pour agir de la même façon …

Pourquoi la Banque centrale européenne ne procède-t-elle pas à des émissions de monnaie ou d’obligations rachetant tout ou partie de la dette publique des États de l’Union, à commencer par les plus mal en point que sont l’Irlande, la Grèce, le Portugal ou l’Espagne ? Comme nous ne pouvons décemment pas demander à la présidence belge de l’Union européenne de le faire, ce serait bien la moindre des choses !

Mes chers collègues, une partie de l’origine de nos difficultés actuelles se situe probablement au niveau européen.

Cela fait en effet quelques décennies que l’Union est conçue comme une vaste zone de libre-échange, fondée sur la recherche permanente du moins-disant fiscal et social et, singulièrement, sur une harmonisation des législations nationales visant à réduire, sans cesse, les taux nominaux d’imposition des sociétés et des ménages les plus aisés, et à faire disparaître, autant que faire se peut, toute taxation supportée par l’entreprise, le capital ou le patrimoine.

La croissance des déficits publics, en ce qu’elle va bien au-delà des dépenses d’équipement de la nation – qui peuvent motiver le recours à l’emprunt, comme pour une famille qui achète une maison mais ne dispose pas immédiatement de l’argent nécessaire ! –, date du milieu des années 1980.

Avec le temps, nous avons en effet connu une dérive des comptes publics qui a ajouté au financement de l’investissement un service de la dette de plus en plus conséquent et une insuffisance des recettes de fonctionnement, tout cela conduisant au fameux effet « boule de neige » de la dette publique. Seuls les exercices budgétaires compris en 1997 et 2002 ont permis d’éviter cet effet.

À quoi tient l’insuffisance des recettes de fonctionnement, sinon aux moins-values constamment réévaluées de recettes fiscales, sous les effets conjugués des baisses des taux nominaux ? Nous sommes en effet passés de 50 % à 33,33 % pour l’impôt sur les sociétés, et de 65 % à 40 % pour le taux marginal supérieur de l’impôt sur le revenu, par exemple. S’y ajoutent des évictions d’assiette, c’est-à-dire les niches fiscales, au sens large.

Le Conseil des prélèvements obligatoires a rendu un avis sur le sujet : 172 milliards d’euros ont été dépensés en 2009 pour alléger les cotisations sociales et les impôts des entreprises, c’est-à-dire plus que le déficit.

Pour le seul impôt sur les sociétés, les mesures d’exonération, les régimes spéciaux, les allégements temporaires et les crédits d’impôt ont coûté 106 milliards d’euros, soit plus de deux fois le rendement net de l’impôt !

Le vrai taux de l’impôt sur les sociétés, en France, n’est pas de 33,33 %, mais de 10 %. Bien des cadres moyens dépourvus de patrimoine important aimeraient se voir appliquer un tel taux d’imposition !

C’est cette accumulation de niches fiscales plus ou moins bienvenues qui est, aujourd’hui, à la source de l’accumulation de déficits que constitue la dette publique.

Le projet de loi de finances pour 2011 a été annoncé comme celui qui doit remettre en question cette logique infernale et coûteuse, mais nous sommes vraiment très loin de ce qu’il conviendrait de faire. Nous ne sommes aucunement enclins à accepter une telle orientation.

Je n’ai pas tout à fait achevé mon propos, mais je m’interromps afin de respecter le temps de parole qui m’est imparti. Je reviendrai sur cette question lors de la discussion des amendements.

Thierry Foucaud

Sénateur de Seine-Maritime
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