Une énorme niche fiscale au profit d’une infime minorité de contribuables de l’ISF !

Abrogation du bouclier fiscal

Publié le 26 mars 2009 à 16:07 Mise à jour le 8 avril 2015

Alors que les Français sont chaque jour un peu plus scandalisés par les insolentes rémunérations patronales, les sénateurs UMP et centristes ont rejeté la proposition de loi des élus du groupe CRC-SPG demandant l’abrogation du bouclier fiscal, des parachutes dorés et des stock-options.

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, mes premiers mots seront pour regretter que ce débat se déroule, eu égard au thème de notre discussion et à leurs récentes déclarations, en l’absence de Mme la ministre de l’économie, de l’industrie et de l’emploi ainsi que de M. le ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique,

Sans vouloir vous faire un faux procès, monsieur le secrétaire d’État, nous déplorons que l’initiative parlementaire en matière fiscale ne se traduise pas par la présence, au banc du Gouvernement, des premiers intéressés, ce qui semble précisément montrer le peu de considération dans lequel on tient la représentation nationale, surtout s’agissant d’une question qui préoccupe, vous le savez, les Françaises et les Français.

Venons-en maintenant au cœur de notre sujet.

Quand nous avons déposé, le 15 octobre dernier, la proposition de loi tendant à abroger le bouclier fiscal et à moraliser certaines pratiques des dirigeants de grandes entreprises en matière de revenus, nous ne pensions pas que ces questions prendraient place dans le débat politique avec l’acuité toute particulière que l’on constate aujourd’hui. Voyons-y l’une des conséquences de l’approfondissement d’une crise économique qui apporte chaque jour son lot de plans sociaux, de chômeurs supplémentaires, de réduction d’activité et de fermetures d’entreprises, conduisant à une remise en cause de la vie quotidienne de centaines de milliers de salariés et de leurs familles, confrontés désormais à l’incertitude du lendemain.

Cette crise, globale et mondiale, trouve son origine dans les dérèglements dont les marchés financiers ont fait l’objet, à force de rendre toujours plus opaques les libres échanges qui s’y déroulaient et de faciliter la libre et rapide circulation des capitaux. Il serait toutefois malhonnête de limiter la crise que nous connaissons au seul dérèglement des marchés financiers, moyennant quoi il suffirait d’une bonne dose de régulation, et d’une subite prise de conscience des organismes financiers internationaux, comme d’ailleurs des banques centrales, pour remettre le tout d’aplomb.

La crise prend, dans chaque pays où elle se produit, des caractéristiques nationales, fruits notamment du degré de libéralisation du droit des affaires comme du travail, mais aussi des choix budgétaires et fiscaux opérés depuis de nombreuses années. En ce sens, le bouclier fiscal trouve toute sa place dans ce schéma, comme facteur et fauteur supplémentaire de crise, parce qu’il correspond au détournement de l’argent public au profit exclusif d’une infime poignée de privilégiés !

Concernant la rémunération des dirigeants, la question posée est également celle de l’égalité devant l’impôt. Au seul motif d’exercer des responsabilités à un haut niveau dans telle ou telle entreprise, une infime minorité de cadres salariés du privé - et leurs familles, parfois ! - bénéficient de conditions de rémunération privilégiées les dispensant de s’acquitter de l’impôt qui serait dû si ces revenus étaient assimilés à des salaires.

La question de l’attractivité de certains postes de direction d’entreprise se mesure-t-elle, comme tente de le faire croire depuis si longtemps, et sous les prétextes les plus fallacieux, M. le rapporteur général, à la consistance du parachute doré, au plan d’options d’achat d’actions, à la valeur des actions gratuites ou à la « retraite chapeau » dont bénéficient ou bénéficieraient les dirigeants concernés ? Si tel devait être le cas, permettez-nous de nous interroger sur la conscience professionnelle de tels dirigeants, devenus de véritables chasseurs de primes !

Aujourd’hui, il semble clairement établi, dans l’affaire de la Société Générale - « Jérôme Kerviel, reviens ! » - et des bonus qu’ont failli s’attribuer ses dirigeants, que le dispositif des stock options, comme toute autre rémunération de cette nature, ne vise qu’à permettre de gagner beaucoup d’argent, sans nécessairement mériter de le percevoir au regard du travail accompli, et de verser le moins possible d’impôts et de cotisations sociales !

Oui, monsieur le rapporteur général, les stock options ou les parachutes dorés ne sont qu’une magnifique niche fiscale et sociale réservée à quelques privilégiés, au mépris du travail des autres, et surtout en profitant du travail des autres ! Ce sont d’obscurs conseillers clientèle, rémunérés au pourcentage, qui « font » le produit net bancaire de nos grandes banques, mais ce produit est appelé à être largement capté par les dirigeants, dont le seul mérite est bien souvent de seulement « diriger » ! Ce sont, d’un côté, des ouvriers, des techniciens, des cadres, qui conçoivent, fabriquent et vendent les produits de nos grandes entreprises industrielles, de l’autre, quelques dirigeants, souvent investis de missions de représentation, qui sont appelés, via leurs stock options et leurs bonus divers et variés, à en tirer parti !

Pour les uns, modération salariale et intensification continue de la productivité ; pour les autres, vive la Bourse, les plus-values et les dividendes !

C’est cette situation qui est devenue parfaitement intolérable pour la grande majorité de la population de notre pays.

On ne peut plus dire aux salariés des entreprises confrontés au chômage technique - ceux de Renault à Sandouville ou à Cléon, de Continental à Clairoix, dont l’entreprise risque la fermeture, de Faurecia à Auchel, de Goodyear à Amiens, de Fulmen à Auxerre, de Molex à Villemur-sur-Tarn, et tant d’autres encore - que, pendant qu’ils accumulent journées de chômage technique et pertes de salaires, il reste encore en France quelques dirigeants de banque et d’entreprise qui peuvent impunément, et sereinement, jouer en Bourse !

D’ailleurs, on a encore appris ce matin que Renault a décidé de provisionner des stock options pour 2009 ! Honte à l’État actionnaire s’il accepte ce déni de justice sociale !

Mme Annie David. C’est indécent !

M. Thierry Foucaud. Au demeurant, permettez-moi un aparté.

Si nos banques et nos plus grandes entreprises étaient encore propriétés publiques, nous n’aurions sans doute pas à faire la danse du ventre pour les voir dirigées par quelques financiers et affairistes à la recherche des conditions salariales les plus avantageuses, et donc les plus dérogatoires au droit commun !

Évidemment, vous allez me dire, une fois encore, que, depuis 2007, la loi est intervenue à plusieurs reprises pour fixer le cadre de la rémunération des dirigeants et éviter toute dérive. Mais voilà, chers collègues, qu’il s’agisse des dispositions de la loi TEPA, la loi en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat, du code éthique du MEDEF ou de la loi en faveur des revenus du travail, tout a volé en éclats entre l’affaire Forgeard et celle de la Société Générale, entre l’affaire Cheuvreux-Crédit Agricole et toutes celles qui vont être rendues publiques dans les jours à venir, sans parler de ce que l’on entend dire sur Renault et Valeo !

Et ne nous dites pas que MM. Oudéa et Bouton n’ont rien compris. Ils ont, au contraire, très bien compris que le cadre législatif fixé par les textes que je viens d’évoquer ne créait pas d’obstacle insurmontable à la poursuite des pratiques antérieures !

Pour nous, sénateurs du groupe CRC-SPG, il n’est ni juste ni justifiable qu’un dirigeant d’entreprise puisse obtenir, au titre d’une rémunération « accessoire », plusieurs centaines de fois le salaire moyen des employés de son entreprise ! Oser concevoir des plans de stock options, comme cela se fait à la Société Générale ou au Crédit Agricole, alors même que l’argent public est venu ces derniers temps renflouer des caisses passablement asséchées par des comportements insensés enregistrés sur les produits financiers dérivés, c’est, pour nous, parfaitement inacceptable !

Il est donc temps de légiférer, et de légiférer vraiment sur la rémunération des dirigeants d’entreprise, d’autant que la pertinence des stock options, à en croire Mme Lagarde, commence à être mise en cause par ceux-là mêmes qui les défendaient encore récemment.

Rappelons que légiférer sur cette question revient à s’intéresser à la situation de moins de 20 000 redevables de l’impôt sur le revenu, ce qui représente environ un demi-millième des contribuables de cet impôt fondateur de l’égalité républicaine et de la justice fiscale. Le régime de faveur dont jouissent ces contribuables a un coût pour l’État, puisque le manque à gagner en termes de recettes fiscales est de l’ordre de 100 millions à 150 millions d’euros ! Ce sont d’ailleurs peut-être les mêmes qui sont concernés par le bouclier fiscal...

À l’occasion de ce débat, nous ne pouvons que vous présenter, mes chers collègues, avec plus de précision encore le bouclier fiscal.

Dès qu’il en a été question, nous avons été opposés à la création de ce dispositif de remboursement d’impôt, dont on avait prétendu, à l’origine, qu’il allait concerner, d’abord et avant tout, des ménages modestes. Mensonge !

Ainsi, M. Copé, alors ministre délégué au budget et à la réforme de l’État, avait affirmé en décembre 2005 : « En effet, sur les 93 000 personnes qui bénéficieront de ce plafonnement, près de 90 % sont dans le premier décile de revenu. Cela s’explique par le fait que les impôts locaux ont été intégrés au bouclier fiscal. C’est un point très important, auquel je tiens beaucoup. Cela signifie qu’il s’agit d’une mesure de justice. Ce dispositif concernera les artisans ayant connu une année difficile, les agriculteurs ayant subi une mauvaise récolte, des créateurs d’entreprise, bref, un certain nombre de nos compatriotes qui sont, aujourd’hui, dans une situation modeste. Je tiens d’ailleurs les simulations à votre disposition, mesdames, messieurs les sénateurs. » (Rires sur les travées du groupe CRC-SPG.)

Voilà ce que disait M. Copé en décembre 2005.

Il est juste dommage de constater, au point où nous en sommes, que le nombre des bénéficiaires du bouclier fiscal n’a jamais atteint le niveau annoncé en 2005, ce qui pose évidemment la question même de la raison d’être du dispositif, question ô combien récurrente.

Alors qu’il a encore renforcé le bouclier en y intégrant - mais cela, vous ne le dites jamais, en tout cas jamais assez ! - la CSG, la CRDS, et en réduisant le plafond à 50 % des revenus, le Gouvernement Sarkozy/Fillon n’a que 14 000 « misérables » contribuables à se mettre sous la dent !

De surcroît, voilà que, si plus de 8 000 de ces contribuables ont reçu un chèque d’une valeur moyenne de 535 euros, sans doute lié à leurs seules impositions locales, un peu moins de 900 se sont vu accorder un remboursement d’une valeur moyenne de 368 000 euros, c’est-à-dire trente fois le SMIC annuel !

Et, pour obtenir un remboursement de 368 000 euros, j’insiste sur le fait qu’il faut quand même déclarer un patrimoine d’au moins 24 millions d’euros !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Les pauvres !

M. Guy Fischer. Tout ça !

M. René-Pierre Signé. Les malheureux !

M. Thierry Foucaud. Un remboursement de 368 000 euros pour un patrimoine de 24 millions d’euros : les malheureux, en effet !

Des données encore plus précises indiquent qu’une petite vingtaine de contribuables auraient obtenu du Trésor public un remboursement supérieur à 2,5 millions d’euros.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Un beau cadeau de fin d’année !

M. Guy Fischer. Le cadeau des cadeaux !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C’est pour les Rolex !

M. Thierry Foucaud. Résultat, comme nous l’avons dénoncé lors de la discussion des différents textes budgétaires, loi de finances initiale ou collectif, l’essentiel de la dépense fiscale liée au bouclier fiscal, c’est-à-dire l’essentiel des 458 millions d’euros de pertes de recettes qu’il représente, est accaparé par des contribuables particulièrement riches, très riches, et pour tout dire, assujettis à l’ISF !

Je vais vous livrer mon sentiment : c’est bel et bien parce que vous avez décidé de vous attaquer à l’ISF dans la loi TEPA, en prenant des mesures d’allégement sur la valeur de l’habitation principale ou le financement des PME, que, finalement, le bouclier fiscal ne rencontre désormais qu’un succès tout relatif.

Le bouclier fiscal agit, quelque part, comme une niche de plus, une niche de trop, comme une boursouflure du droit, pour des contribuables dont la situation est déjà largement prise en compte par ailleurs.

Combien déjà de patrimoine faut-il déclarer pour récupérer 368 000 euros d’ISF, mes chers collègues ? Je vous l’ai dit, mais il convient de rappeler ce chiffre quand on connaît cette France qui vit mal aujourd’hui : 24 millions d’euros de patrimoine. Cela représente douze à quinze fois le patrimoine moyen des contribuables soumis à l’ISF ! Et encore ne s’agit-il que du remboursement au titre du bouclier fiscal. On peut en effet penser que des impôts restent dus...

Vous allez nous expliquer, chers collègues, que l’on récompense la réussite ! En vérité, ce qui est récompensé, ce ne sont que des privilèges acquis par héritage. La plupart du temps, ils n’ont rien à voir avec la rémunération du travail, mais ils dépendent beaucoup de la position sociale d’origine !

Nous devons faire la loi non pour quelques affairistes à l’affût de coups de Bourse, mais pour servir l’intérêt général !

À la vérité, devant son peu de succès auprès des contribuables, le bouclier fiscal est devenu indéfendable : il a aujourd’hui tous les travers d’une énorme niche fiscale au profit d’une infime minorité de contribuables soumis à l’ISF !

Notre proposition de loi a le mérite de la simplicité.

La suppression du bouclier fiscal, dispositif inopérant, sans impact économique avéré, superfétatoire, est une nécessité objective en ces temps de crise où la grande majorité des Françaises et des Français doivent se « serrer la ceinture ».

Alors, chers collègues, tirez le bilan de la pratique et osez, pour une fois, revenir sur ce que vous avez voté et ce sur quoi certains concèdent aujourd’hui avoir été abusés ! Supprimons ensemble le bouclier fiscal. La mise en cause des stock options et autres rémunérations dérogatoires, dans un contexte de pression continue et renforcée sur les salaires, est du même ordre.

La faillite d’un système économique dans lequel la richesse créée par le travail a été, au fil du temps, de plus en plus captée par le capital et ses dérivés est patente et impose de repenser l’organisation économique comme notre système fiscal sur des bases nouvelles.

Cette proposition de loi que nous vous invitons à adopter en constitue une première étape, modeste, assez fortement symbolique, mais néanmoins nécessaire.

Il est temps de rendre à l’impôt toutes ses vertus républicaines et de faire contribuer justement chacune et chacun, en fonction de ses possibilités, à l’œuvre commune.

Mes chers collègues, le redressement économique du pays passe aussi par les mesures que nous vous proposons ici d’adopter.

Thierry Foucaud

Sénateur de Seine-Maritime
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