Responsabilités locales : finances et missions des collectivités

Publié le 29 octobre 2003 à 15:31 Mise à jour le 8 avril 2015

par Thierry Foucaud

Monsieur le Président,
Monsieur le Ministre,
Mes cher(e)s collègues,

On pourrait évidemment se demander, au seuil de cette discussion, si la question des finances locale mérite d’être posée, alors même que l’essentiel du texte de loi qui nous est soumis, porte, à la vérité, sur le nouveau partage entre Etat et les collectivités territoriales pour ce qui est de répondre aux besoins sociaux collectifs.

A dire vrai, à la lecture même du texte, la question financière n’est finalement que secondaire, couvrant seulement deux des cent vingt six articles originels.
Pour autant, c’est une autre question qui se pose, à l’occasion de cette discussion générale : celle de savoir s’il suffirait de résoudre les contraintes financières inhérentes aux transferts de compétences entre Etat et collectivités territoriales pour s’assurer de leur plein accomplissement.

Dans les faits, la première question à poser n’est pas autre que celle de s’interroger sur la pertinence même de la décentralisation des compétences, du bien fondé même de ce que l’on s’apprête à transférer comme responsabilités nouvelles aux collectivités locales.
Pour le projet de loi, le cadre est en apparence clair et les ambitions affichées pour le moins évidentes.
Il s’agit (je cite) de « faire émerger une République des proximités pour rétablir la légitimité même de l’action publique. »

Il nous est dit également :
« Cet acte II de la décentralisation (le Premier et son gouvernement se situant dans la filiation des lois DEFFERRE) sera l’aiguillon de la nécessaire modernisation de notre pays et de l’évolution de ses structures administratives. Rapprochant la décision publique du citoyen, il la rendra plus simple, plus efficace et plus démocratique. Clarifiant la répartition des compétences, il permettra aux citoyens de mieux identifier les responsables des politiques ». (fin de citation)
On pourrait évidemment souscrire à ces intentions mais les choses ne sont pas aussi claires.
Posons quelques questions.

Le développement économique doit-il être porté par l’action des collectivités locales, alors même que nous assistons à l’internationalisation et à l’intégration de notre économie, ou que la Commission européenne s’oppose, sous les prétextes les plus discutables, à toute initiative de politique économique nationale qui « sortirait des clous » de l’économie de marché, comme l’a montré l’affaire Alstom ?

L’efficacité de notre système scolaire, que bien des pays nous envient, gagnera-t-elle à voir la charge de son financement encore plus décentralisée, alors même qu’il est évident que bien des collectivités locales seront dans la plus parfaite incapacité de consacrer à cette mission publique essentielle les moyens qu’elle mérite ?
Que dire encore de l’action en matière de santé, qui, aux dernières nouvelles, est le plus souvent largement financée par la sécurité sociale, l’Etat se contentant, au travers des lois de financement, de jouer le rôle de gendarme de la dépense publique en matière de santé ?
Dans les faits, nous ne pouvons évidemment oublier le débat essentiel : le fait que le transfert de compétences risque fort d’être avant tout l’occasion d’alléger quelque peu l’Etat de ses charges, alors même que la dérive des comptes publics est particulièrement sensible cette année, atteignant en effet près de 64 milliards d’euros, et se fixant au niveau de 55 milliards pour la loi de finances initiale 2004.
Si l’on se livrait d’ailleurs à l’exercice consistant à repérer effectivement les dépenses transférées, on découvrirait sans trop de surprise que la plupart des chapitres concernés sont affectés cette année par une réduction des engagements de dépenses.

Nous ne parlerons pas, pour ne vexer personne, de la réduction des dépenses en matière de logement, de construction et d’entretien de routes, ou encore d’action sociale, mais les faits sont là.
Posons une autre question : comme nous le montre l’article 40 de la loi de finances 2004, une partie des compétences transférées va être financée au travers d’une affectation de produits fiscaux d’Etat.

Nous estimons pour notre part que la solution n’est sans doute pas là, puisque le transfert portera sur des impôts et taxes sans rapports immédiats avec les dépenses couvertes, et que la justice fiscale et sociale risque fort encore d’être aux abonnés absents, car cela commence mal avec le partage de la taxe intérieure sur les produits pétroliers.
Et ce, alors même que la fiscalité locale a connu en cette fin d’année un nouveau « coup de chaud », et que rien ne laisse penser qu’il en sera autrement les années à venir.

De fait, nous ne pouvons, au moment où s’ouvre ce débat, faire abstraction d’une nécessaire réforme des finances locales, permettant de poser la question essentielle de l’autonomie financière des collectivités territoriales, et de leur capacité à répondre aux besoins collectifs.
D’autant que, bon an mal an, des nouveaux transferts de charges sont opérés.
On peut ainsi citer l’instruction des documents d’Etat-civil comme les passeports ou les procurations électorales, sources de nouveaux coûts de gestion pour les collectivités locales.

Dans ce qui nous est proposé, il n’y a aucune possibilité de faire face aux transferts de compétences.
Au-delà, l’une des finalités du projet de loi serait de permettre, au travers des transferts de compétence et de la « proximité », une réduction des prélèvements obligatoires.
Il est vrai que les impôts baissent, tandis que les taxes augmentent.

Et l’on ne peut oublier que lorsque le contribuable de l’impôt sur le revenu voit sa contribution légèrement allégée, l’usager des voies express se voit inviter à payer tous les péages que l’article 14 va permettre.
Moins pour le contribuable, plus à payer pour l’usager ! Cherchez l’erreur.

Mais ce que nous montre aussi ce débat, c’est le nécessaire retour de l’Etat sur ce qui doit être de ses missions essentielles qui ne sauraient consister au seul triptyque « défendre, assurer et juger », mais passent aussi par « lutter contre les exclusions, éduquer, former, développer l’économie et les infrastructures du pays ».

La décentralisation ne saurait être l’occasion d’un simple délestage de l’Etat vers les collectivités territoriales, qui permettront à la France de tenir coûte que coûte les critères de convergence européens, critères dont le moins que l’on puisse dire est qu’ils ont été définis au plus loin des citoyens.

Le débat financier autour de la décentralisation est donc un débat sur la pertinence même des transferts de compétences, car ce qui doit nous guider, n’est pas de permettre l’identification des responsables politiques publiques, mais bien encore une fois, de répondre aux attentes sociales de la population de notre pays.

Vous l’aurez compris, comme l’a indiqué hier mon amie Josiane MATHON, il ne peut y avoir de décentralisation qui ne soit porteuse de nouveaux droits pour les collectivités et les habitants, qui ne soit porteuse de nouvelles ambitions pour le service public.

Une décentralisation réellement démocratique avec des moyens financiers à la hauteur de la réponse aux besoins des populations.

Thierry Foucaud

Sénateur de Seine-Maritime
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