Projet de loi de finances rectificative pour le financement de l’économie : question préalable

Publié le 15 octobre 2008 à 17:03 Mise à jour le 8 avril 2015

Rarement une question préalable aura eu autant de sens. Le Gouvernement nous propose de dépenser 360 milliards d’euros : pour qui, et pour quoi faire ? Nous vivons non seulement une crise financière historique, mais aussi une crise économique et sociale profonde, qui appelle des solutions fortes et urgentes. Il y a urgence à préserver l’emploi et le pouvoir d’achat, à venir en aide aux petits épargnants et aux petites entreprises. M. Fillon lui-même s’accorde à le dire, mais c’est l’incendiaire qui crie au feu ! Car nous sommes au bord du gouffre, confrontés à une crise systémique.

M. Nicolas About. - N’exagérons rien !

Mme Marie-France Beaufils. - Mais il n’y a aucune urgence à renflouer les spéculateurs et ceux qui nous ont conduits là où nous en sommes aujourd’hui.

Une dépense de 360 milliards d’euros, pour qui, et pour quoi faire ? Nos interrogations persistent après le débat à l’Assemblée nationale. Une telle somme est l’équivalent du budget de l’éducation nationale ! Elle exige d’importantes garanties en contrepartie.

Car il faut rappeler une évidence, que le Gouvernement et sa majorité ont du mal à percevoir : le krach boursier résulte d’une politique à long terme, qui s’est détournée du développement économique et industriel pour favoriser les profits financiers. La bulle financière qui vient d’éclater est la conséquence des politiques mises en oeuvre à partir de la fin des années 1970, sous l’impulsion de Reagan et de Margaret Thatcher. Le modèle libéral anglo-saxon s’est vite imposé, et un intense travail idéologique a été entrepris pour faire croire que la préservation du secteur public conduisait à la stagnation, que l’intérêt général était une notion conservatrice, et que l’individualisme exacerbé, la réussite sociale et l’argent étaient des valeurs de progrès. Le chacun pour soi, la concurrence et l’enrichissement sont devenus les valeurs cardinales de nos sociétés.

La construction européenne s’est rapidement mise au diapason libéral. L’Acte unique en 1986 posa le principe de la libre circulation des marchandises et des capitaux. Le traité de Maastricht mit en place des institutions dévouées au marché, comme la BCE -que ni M. Sarkozy, ni le Gouvernement ne remettent en cause. Ce traité imposa les dogmes de la concurrence libre et non faussée. Aujourd’hui encore, vous défendez le traité de Lisbonne qui vise à perpétuer un système qui s’effondre. Les dirigeants acquis au capitalisme financier refusent même la démocratie, puisqu’ils tentent de contourner le refus opposé par les Français, les Néerlandais et les Irlandais à cette Europe qui sert les intérêts des financiers et non des citoyens.

Oui, il était acquis depuis longtemps que nous devrions payer l’addition des politiques libérales. Les privatisations massives de 1986 et 1993, sur lesquelles la gauche n’a pas pu, pas su ou pas voulu revenir, ne furent pas seulement un moyen de combler les déficits publics : elles constituèrent un immense cadeau aux marchés financiers, qui a entraîné la formation de bulles spéculatives. Les privatisations ont grandement participé à la déconnexion des bourses et de l’économie réelle.

Le Gouvernement, la majorité et le Président de la République espèrent sans doute qu’une fois l’orage passé, les affaires pourront reprendre comme auparavant. A ce qu’il paraît, la privatisation de La Poste serait suspendue : M. Sarkozy estimerait peu judicieux de mettre sur le marché la Banque Postale dans la conjoncture actuelle. Mais le projet n’est pas abandonné. Monsieur le ministre, il faut aujourd’hui reconnaître publiquement que les privatisations à tout va ont été une erreur, et affirmer que La Poste ne sera pas cédée aux spéculateurs.

Oui, la crise d’aujourd’hui a sa source dans l’évolution du capitalisme vers un capitalisme financier et mondialisé. M. Fillon pourrait en tirer enseignement, lui qui s’est attaqué au système de financement des retraites par répartition, en favorisant le développement de produits financiers destinés à compenser la baisse des pensions par des recettes tirées de la capitalisation. Heureusement, il y eut les archaïques, les partisans d’une société prétendument révolue, pour empêcher que l’exemple américain soit tout de suite imité : les fonds de pension des États-Unis ont perdu pas moins de 2 000 milliards depuis le mois de janvier, provoquant l’appauvrissement immédiat de centaines de milliers de personnes. J’ai lu dans Les Echos de ce matin que les performances financières du Fonds de réserve pour les retraites ont baissé de 14,5 % depuis le début de l’année. Nous avons de longue date alerté le public sur la crise des fonds de pension et ses graves conséquences pour les économies du monde.

C’est dans les années 1980 que la bourse est devenue l’alpha et l’oméga de l’économie. On n’a plus mesuré alors l’influence de notre pays à la richesse de son agriculture ni au rayonnement de sa culture mais à l’épaisseur des portefeuilles de ses courtiers. Ici même, quelle n’a pas été l’insistance de Mme Lagarde pour faire de Paris une place boursière de tout premier ordre ?

Quel sera le bénéfice de ce plan de sauvetage ? Plus de croissance et de pouvoir d’achat ? Certainement pas, mais bien plutôt la joie immense des financiers, trop heureux de cette manne publique ! La crise est-elle terminée ? Un collègue vient de se féliciter d’un retour à plus de sérénité, mais aujourd’hui, même les marchés sont en baisse !

J’entends le Gouvernement chanter « Du passé, faisons table rase » ! (Sourires) Mais le Président de la République refait aux Français le coup du « Je vous ai compris » en leur expliquant qu’il y a urgence face à la crise mais qu’il est plus urgent encore pour lui d’aider d’abord ses amis... L’autoproclamé « président du pouvoir d’achat », qui a commencé par accorder un cadeau fiscal de 15 milliards aux plus riches, échange son costume de libéral dogmatique pour celui de refondateur du capitalisme ! Sa recette est très simple : on prend les mêmes banquiers, responsables de la crise, et on recommence en leur confiant 360 milliards de plus ! La refondation viendra plus tard !

Oui, il faut agir, mais certainement pas pour ne rien changer ! Les sommes engagées doivent s’accompagner de contreparties : les banques, qui gèrent l’épargne populaire, doivent rompre avec la spéculation, qui ne fait rien d’autre que détourner et retourner l’argent du peuple contre le peuple même !

Plutôt que de signer un chèque en blanc aux spéculateurs, ce que fait cet article 6 en n’exigeant aucune garantie des spéculateurs, nous vous proposons d’agir en profondeur. D’abord en conditionnant l’intervention à un véritable changement de la stratégie des banques pour qu’elles s’engagent à aider d’abord l’économie réelle, l’industrie. Ensuite en augmentant le rendement du livret A et en consacrant au logement social l’intégralité des fonds collectés. Il faut également relever le plafond du livret de développement durable : il n’est que de 6 000 euros, à comparer aux 150 000 euros d’un contrat d’assurance vie, orientés vers la spéculation...

Il faut exiger, également, un certain contrôle sur l’avenir des banques. L’argent public vole à leur secours mais, le calme revenu, les bénéfices devraient revenir au privé ? C’est insupportable car cela revient à socialiser les pertes et privatiser les profits. La nationalisation n’est plus un tabou, nous devons saisir l’occasion de constituer un grand pôle financier public, au service du pays, comme cela s’est produit en 1945.

Il faut encore exiger des garanties budgétaires. Chacun sait que les 320 milliards seront utilisés : aux États-Unis, neuf banques ont utilisé hier 125 milliards de dollars du plan américain ! Le service public ne doit pas être mis en cause, et il ne faut pas solliciter les contribuables modestes. Ce sont les financiers, les plus riches, les grandes fortunes qui, pour une fois, doivent mettre la main à la poche ! Il faut abroger le bouclier fiscal, modifier le barème de l’impôt sur le revenu pour taxer les plus hauts revenus, il faut reformer l’ISF pour accroître son rendement et y intégrer les fortunes financières et industrielles !

Nous demandons encore que les banques rompent avec les paradis fiscaux et la pratique détestable des « hedge funds ». Nous vous proposerons encore de mettre fin aux « parachutes dorés » et à la pratique des stock-options : des voix s’élèvent partout, y compris à l’Élysée, contre ces excès, mais il ne se passe rien ! Les responsables de la crise doivent répondre de leurs actes et de leurs malversations !

L’État doit également garantir les emprunts des collectivités locales car elles vont subir de plein fouet la crise du crédit. Enfin, il faut garantir les rémunérations en cas de licenciement et interdire les expulsions, y compris pour les accédants touchés par la crise des crédits-relais. Tout doit être mis en oeuvre pour garantir les emplois, y compris l’interdiction du licenciement quand le motif est financier.

Vous demandez l’union nationale et certains mettent en cause notre sens des responsabilités quand nous repoussons ce hold-up planétaire ! La ficelle est grosse : pour masquer votre responsabilité écrasante, vous tentez d’associer l’opposition à vos erreurs et turpitudes passées ! Ce plan, largement précipité, ne comporte aucune garantie : avec la responsabilité de ceux qui dénoncent depuis si longtemps les dangers du capitalisme aujourd’hui mondialisé, nous voterons contre ce texte !

Marie-France Beaufils

Ancienne sénatrice d’Indre-et-Loire
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