Monsieur le président,
Madame la Ministre,
Mes chers collègues,
Il n’y a pas quinze jours, nous avions demandé au Président du Sénat, l’organisation dans les délais les meilleurs, d’un débat sur la grave crise financière que connaît le système bancaire international.
Et nous voici en présence, suite à de nombreuses péripéties, d’un projet de loi de finances rectificative pour le financement de l’économie.
Le Gouvernement vient donc de se rendre compte qu’un projet de loi était nécessaire, alors que qu’un simple débat sans vote semblait suffisant la semaine dernière.
Dès que le projet de loi a été annoncé, les appels à l’unité nationale se sont faits pressants, certains, notamment au parti majoritaire mais aussi dans l’opposition, espérant que Sénat et Assemblée nationale voteraient sans broncher et d’un même élan unanime le texte qui nous est présenté !
Et bien mes chers collègues, il ne faut pas compter sur nous pour donner un chèque en blanc à ceux là mêmes qui ont créé la situation de crise que nous connaissons.
L’union nationale ne peut se faire à nos yeux, autour des recettes libérales qui sont à la racine même de la crise.
Dans le débat, certains ont même avancé des propositions surprenantes, jusqu’au Président de l’Assemblée Nationale qui a appelé à l’amnistie fiscale des fraudeurs spécialistes de la fuite des capitaux.
Cette ahurissante proposition, ce coup d’éponge sur la délinquance financière de haut vol, destiné à cimenter l’unité nationale a profondément choqué.
Comme choque d’ailleurs le texte qui nous est présenté.
N’oublions pas que ce texte est un collectif budgétaire, et que le valider, de fait, revient aussi à valider la traduction des choix budgétaires du Gouvernement depuis 2007 ( paquet fiscal de la loi TEPA, bouclier fiscal par exemple ) et à valider l’option d’austérité qui la sous tend.
Des choix budgétaires que nous pouvons traduire en quelques mots.
Ainsi, l’article 2 consacre l’aggravation du déficit des comptes publics, le déficit de l’Etat approchant des 50 milliards d’euros !
50 milliards d’euros de déficit de l’Etat, plus de 10 milliards d’euros de déficit de la Sécurité Sociale, plus ou moins 50 milliards d’euros de déficit de notre commerce extérieur, beau bilan au bout d’un an et demi d’un Gouvernement où ‘ tout devient en effet possible ‘, et surtout le pire !
Les sommes en question sont très importantes, mais finalement ne faudrait il pas les relativiser ?
Quand on est prêt à mettre 360 milliards d’euros, levés sur les marchés financiers, à l’endroit même où se développe le cancer de la spéculation, pour sauver la cause perdue de l’impéritie bancaire, tout devient très vite relatif...
L’aggravation de la situation économique n’est pas seulement liée au yoyo du CAC 40, et cela fait déjà longtemps que l’économie boursière s’est éloignée de l’économie réelle, cette économie boursière où les indices se nourrissent de rumeurs, de bruits de couloir et de spéculations diverses, où les valeurs progressent à la faveur des plans de licenciement et de l’attente de dividendes sans cesse accrus.
Elle est d’abord et avant tout une réalité, traduite en termes de récession économique, en chute de l’emploi salarié, en ralentissement des investissements.
Où sont passés les communiqués victorieux sur la croissance du début d’année ? Où sont passés les discours fustigeant le pessimisme des conjoncturistes de l’INSEE ?
Les banquiers ont leur part de responsabilité dans cette situation, avec leur fâcheuse habitude de refuser aux entreprises les crédits dont elles ont besoin pour faire face à leurs coûts d’exploitation, pour financer leurs investissements et penser à leur développement.
Combien de dépôts de bilan, de procédures collectives diverses, de licenciements, de missions d’intérim interrompues derrière la bonne santé de nos établissements de crédit, dont vous vous félicitez par ailleurs ?
Nos banques ne seraient pas trop exposées à la crise, dites vous ?
Et pour cause, vu que le coût du crédit aux entreprises s’est redressé, sans parler des crédits accordés aux ménages, de moins en moins d’ailleurs !
Les fonds propres des banques françaises sont plutôt dans le vert, même lorsque leur valeur boursière chute, parce qu’emprunter est toujours plus cher pour les entreprises et pour les particuliers.
Tout cela a une traduction budgétaire immédiate : ce sont les moins values fiscales que consacre le présent projet de loi pour 5 milliards d’euros, c’est la hausse du coût du service de la dette de 4 milliards d’euros, ce sont les 7 milliards d’euros de plus que l’Etat va devoir consacrer aux remboursements et dégrèvements d’impositions diverses !
La bonne santé de nos banques, c’est aussi le déficit budgétaire !
De plus, comme il faut, dans ce contexte, tenir les critères de Maastricht et de Lisbonne, 300 millions d’euros de dépenses sont annulées !
Pour le Gouvernement, il apparaît donc préférable de dérouler le tapis rouge sous les pieds des spéculateurs financiers que de financer ici les transports en commun en site propre, là la construction de logements sociaux, ailleurs la formation supérieure de notre jeunesse !
Car ce sont ces champs d’intervention de l’Etat qui sont, une fois encore, frappés par la régulation budgétaire.
De la même manière, l’article 4 du présent texte consacre le report d’un prêt de près d’un milliard et demi d’euros à la Côte d’Ivoire.
Faut il en conclure que la coopération internationale et l’aide au développement passent après la stabilisation des marchés financiers ?
Venons en maintenant au hold up du siècle, ces fameux 360 milliards d’euros de l’article 6...
Les chiffres donnent le vertige ou le tournis, mais osons quelques comparaisons.
360 milliards d’euros, c’est dix fois le montant du programme de rénovation urbaine de l’ANRU, trente fois le montant du budget de la Solidarité qui paie les minima sociaux, cent fois le montant du plan Pécresse pour les Universités !
Ainsi donc, alors qu’on nous dit depuis des années que les grands équilibres budgétaires ne permettent pas de consacrer ici 100 millions, là 1 milliard d’euros à consacrer pour satisfaire les besoins sociaux, voici que l’on est prêt à engloutir 360 milliards d’euros pour sauver les traders perdus des marchés financiers !
Et par quel biais le fait on ?
Eh bien tout simplement en créant deux structures, l’une de refinancement, l’autre de capitalisation dont l’Etat va garantir l’intervention !
Ces deux sociétés ad hoc ont des fonctions différentes.
J’évoquerai surtout ici le cas de la première.
C’est une sorte de lessiveuse à crédit bancaire, et, comble du paradoxe, pour ne pas risquer de voir son endettement figurer dans la dette publique au sens européen du terme, voici que le capital de la structure sera majoritairement détenu par les banques elles mêmes !
En définitive, c’est une banque que l’on nous appelle à créer.
La Banque Sarkozy - Fillon - Lagarde - Woerth et associés, en quelque sorte !
Car enfin, une société de refinancement qui lève des ressources sur les marchés financiers, à titre onéreux et qui prête aux établissements de crédit suffisamment solvables, moyennant une marge d’intermédiation, qu’est ce que c’est ?
Une banque, tout simplement.
Cette « banque », majoritairement détenue par les auteurs de la crise financière eux mêmes, lève des ressources sur les marchés disons à un taux proche du taux directeur actuel de la BCE.
La BCE, cette structure qui veille à la stabilité des prix et propose un taux directeur supérieur de trois points (donc quatre fois plus élevé) que le taux de croissance de la zone euro !
La « banque des banques « prête aux banques qui, vu qu’elles doivent reconstituer leurs fonds propres avec leurs mésaventures hypothécaires américaines, en profitent pour en rajouter un peu en termes de taux d’intérêt !
Qu’est ce que cela va changer pour les PME qui se feront prêter de l’argent par les banques, disposant de ressources ‘ garanties ‘ par l’Etat ?
Rien ou presque en termes de taux d’intérêt, ce qui ne manquera pas de voir le texte dont nous débattons conduire aux mêmes résultats, sur le moyen terme.
A la vérité, adopter ce collectif budgétaire, dans cet état de faits, conduira à jeter par les fenêtres des milliards d’euros et à constater sur deux ou trois ans une dégradation sensible de la situation économique réelle du pays.
Derrière ce collectif budgétaire, et le plan de sauvetage des banques, il y a des milliers de chômeurs en plus, il y a des investissements en panne, il y a encore et encore des difficultés accrues pour les salariés, les retraités et leurs familles !
La récession est déjà là, après deux semestres de régression du PIB, et le texte plie à la seule volonté des marchés financiers l’ensemble de la sphère sociale.
Le peuple de France a assez subi. Il est grand temps de changer les règles du jeu !
Nous ne voterons pas ce projet de loi.