Dans son discours d’Orsay, le Président de la République affirmait que la France, reléguée en seconde division de la recherche mondiale, ne serait plus la France. Or notre pays a perdu du terrain en très peu de temps. La France était en 1970 le 3e pays au monde pour les dépenses intérieures consacrées à la recherche et au développement en proportion du PIB ; elle était encore au 5e rang en 1985, au 7e en 1995, mais elle est aujourd’hui tombée au 14e rang. Le taux de 2,08 % du PIB consacré à la recherche est le plus bas depuis vingt-cinq ans ; pour la seule recherche civile, ce taux stagne en dessous de 1,90 %.
Dans le même temps, d’autres pays progressent : l’Allemagne dépense, en proportion, un tiers de plus que la France pour sa recherche civile, la Japon 75 %, et la Finlande 82 %.
En France, la recherche est financée pour moitié par le secteur public, pour moitié par le secteur privé. Mais compte tenu des aides de l’État et de la sous-traitance, elle est réalisée aux deux tiers par le secteur privé. La recherche privée en France reste très en dessous des objectifs de Lisbonne : elle représente seulement 1,1 % du PIB, malgré les incitations fiscales. Cela place la France au 6e rang européen, au 13e rang mondial. L’écart se creuse avec les autres pays technologiques et industriels : la recherche privée représente 1,7 % du PIB en Allemagne et aux États-Unis, 2,55 % au Japon et en Suède.
Les aides de l’État à la recherche privée sont pourtant très importantes : des sommes colossales sont dépensées au titre du crédit impôt recherche -2 milliards d’euros en 2008, et peut-être 4 milliards en 2012- qui finance 30 % de la recherche et développement des entreprises. Cela place le crédit impôt recherche à un niveau inégalé dans le monde, comme l’a dit M. Sarkozy ; mais l’efficacité du dispositif reste à démontrer, puisque aucune évaluation n’en a été faite. Rappelons qu’entre 2002 et 2006, les dépenses de recherche des entreprises ont augmenté plus lentement que les frais afférents au crédit d’impôt recherche. C’est pourquoi nous avions proposé de limiter la progression de ce dispositif pour augmenter les crédits des universités, mais cette suggestion n’a pas été retenue.
Les organismes publics, quant à eux, sont soumis à un contrôle de plus en plus pointilleux de la part de l’Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (Aéres), qui dispose d’un droit de vie et de mort sur les projets et les laboratoires. Ainsi, tandis que le Gouvernement fait preuve d’une extrême largesse envers les entreprises, il renforce toujours plus le pilotage politique du secteur public.
Depuis cinq ans, les gouvernements successifs ont répété que la France financerait massivement sa recherche publique, à hauteur d’1 % du PIB. Le budget de la recherche serait ainsi devenu l’un des plus élevés du monde. Mais on en est loin. Le financement public de la recherche s’élève à 0,85 % du PIB, mais cela comprend la recherche publique menée par les universités et les organismes, la recherche militaire, les « grands programmes » nucléaires, spatiaux et aérospatiaux en partie, ainsi que diverses recherches industrielles. Pour la recherche publique stricto sensu, la France ne dépense que 0,6 % du PIB et se trouve en 18e position mondiale, après la Turquie.
Il est réconfortant de voir qu’en dépit de cette situation, la recherche française continue à recevoir des distinctions internationales.
Le CNRS occupe la cinquième place mondiale mais la première en Europe en termes de publications, et la France se place au sixième rang mondial. L’entreprise de destruction en cours n’est donc pas légitimée par les résultats : ce ne sont pas les structures mais les moyens qui sont en cause. Or le budget n’augmente guère : sur 758 millions supplémentaires, 370 millions vont aux cotisations retraite. Hors cette mesure de rattrapage, les moyens diminuent en valeur absolue.
La faiblesse de l’investissement de l’État s’accompagne de la démolition de tout ce qui assure la liberté des chercheurs et leur permet un minimum de prise de risques. Laboratoires, organismes et statuts sont remis en cause ; l’ANR et l’Aéres sont composées de personnalités nommées ; à chaque niveau s’impose une logique de concurrence et de rémunération à la performance, de financements à court terme. Vous supprimez plus de 900 emplois et programmez la disparition d’allocations doctorales et post-doctorales. Chacune des 130 chaires sera gagée par la suppression d’un poste à l’université et d’un autre dans l’organisme de recherche. Voilà un signal extrêmement négatif quand les étudiants boudent et que le nombre de thèses stagne.
C’est aujourd’hui que se joue la qualité de la recherche pour les trente années suivantes, aujourd’hui qu’il faut mieux encadrer les étudiants de premier cycle, ce qui suppose de recruter mille enseignants-chercheurs au lieu d’imposer aux maîtres de conférences des heures supplémentaires qui les empêchent de poursuivre leurs recherches. C’est aujourd’hui que ces secteurs ne doivent plus être soumis à ce dogme intégriste qu’est le non-remplacement d’un départ en retraite sur deux. Ces économies à court terme fragilisent durablement le pays. Alors que l’investissement dans la matière grise devrait être la priorité des priorités, des comptables arrogants nous expliquent que la science et la culture coûtent cher, comme si leur absence ne coûtait pas bien plus cher ! Le temps politique a sa logique et sa dynamique peut conduire à afficher d’illusoires résultats à court terme, mais la politique, c’est aussi de savoir anticiper et offrir une vision d’avenir. Il est urgent de créer un appel d’air pour les jeunes, pour tous ceux qui sont partis à l’étranger, d’ouvrir de réelles perspectives d’emploi et de conditionner le crédit impôt recherche à des embauches.
Le Président de la République rappelait en 2006 qu’il faut des années pour créer un bon système de recherche, quelques mois pour le dilapider. Le nôtre est déjà affaibli et, d’année en année, la France s’éloigne des objectifs de Lisbonne. La communauté scientifique s’en émeut, entendons-la. Le Gouvernement présente un budget lourd de menaces, nous ne pouvons l’adopter.