Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme nous l’avions souligné la semaine dernière, les dispositions de ce projet de loi de finances rectificative pour 2009 sont sans doute appelées à connaître de nouveaux ajustements.
Le texte, dans sa rédaction actuelle, consacre la progression du déficit budgétaire de l’État, celui-ci ayant désormais passé la barre symbolique des 100 milliards d’euros.
En outre, cette progression n’est due que pour partie aux quelques « mesurettes » prises en faveur des ménages les plus modestes, dans le droit fil des déclarations présidentielles du 19 février dernier. Pour l’essentiel, elle tient aux engagements que l’État a pris envers les constructeurs automobiles et, plus encore, à la diminution des recettes fiscales liée à la chute de l’activité.
Quoi qu’on en dise, et nonobstant l’invention sémantique de la « croissance négative », la France est entrée en récession.
Cette récession se traduit par une croissance ininterrompue du nombre des sans-emploi, malgré la systématisation par les services de Pôle emploi, à la demande du Gouvernement, de la gestion administrative des radiations d’inscription. Elle se traduit aussi par une chute libre de l’activité dans de nombreux secteurs, comme celui du bâtiment et des travaux publics.
En dépit des déclarations du ministre chargé de sa mise en œuvre, force est de constater que le plan de relance de janvier semble quelque peu en panne. Ce plan de relance, dont les apparences étaient déjà trompeuses du fait de son caractère de « session de rattrapage » des crédits d’investissement jusqu’ici non affectés, est aujourd’hui devenu une sorte d’Arlésienne, sans effet réel sur la situation économique du pays.
L’actualité récente est, à cet égard, sans pitié.
Il n’est, en effet, pas de jour que des salariés d’une entreprise ne soient victimes du chômage technique ou d’un plan social ! Le temps du « travailler plus pour gagner plus » semble subitement très loin, puisque la seule préoccupation qui vaille aujourd’hui, c’est travailler tout court !
Nous attendons avec le plus grand intérêt, monsieur le ministre, l’annonce du bilan des heures supplémentaires du premier trimestre de 2009, ainsi que les chiffres officiels du chômage à la fin du mois de mars. Je crois d’ailleurs savoir que ces derniers, en dépit de l’insertion d’un article en ce sens dans la loi TEPA en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat, n’intègrent toujours pas les personnes sans emploi résidant outre-mer.
Le marasme économique est tel que l’accomplissement hypothétique du budget tel que rectifié par le présent texte repose en partie sur les effets de la récente réunion du G20. Quant au sommet de l’OTAN, nous ne sommes pas certains qu’il sera source d’économies, puisqu’il est à craindre que le budget général ne doive supporter, avant longtemps, le coût de l’envoi de forces supplémentaires en Afghanistan...
L’opinion publique, avant le sommet du G20, a manifesté à la fois une forte attente et un profond scepticisme quant aux décisions prises à l’issue des discussions entre les vingt plus importants chefs d’État et de Gouvernement de la planète. En dépit d’un battage médiatique tendant à faire accroire le contraire, rien ne semble devoir profondément modifier la situation économique après la réunion de Londres.
Nous aurons l’occasion d’en reparler à la fin du mois, mais permettez-moi de donner dès maintenant notre sentiment sur ce sujet.
S’agissant des paradis fiscaux, il a été procédé à une apparence de remise en ordre qui ne remet aucunement en question la situation extraordinaire de nombreux territoires, y compris quand ils relèvent de l’Union européenne.
Le déclassement rapide des pays placés sur la « liste noire » et l’établissement d’une « liste grise » où figurent des pays comme Malte, Chypre, l’Autriche ou les Pays-Bas, tous membres de l’Union européenne, témoignent que l’on ne souhaite pas vraiment s’attaquer au problème. Cela permettra au registre du commerce et des sociétés des Pays-Bas de continuer à accueillir le groupe Arcelor Mittal, alors même que le site de Gandrange vient de fermer et que le groupe annonce la réduction de l’activité de l’unité de Florange !
Cela étant, ce débat sur les paradis fiscaux est, sous certains aspects, parfaitement vain, pour la simple raison que les deux principales dispositions prises au sommet de Londres tendent précisément à encourager la poursuite des pratiques anciennes.
Ainsi, on a annoncé un renforcement des moyens du Fonds monétaire international, à hauteur de 1 000 milliards de dollars. On ignore l’origine exacte de cette somme ! Comme, selon toute vraisemblance, elle n’est pas le produit de l’activité économique, cela signifie-t-il que l’on va tirer des chèques en blanc sur l’avenir ? À quelles fins et pour quelles politiques seront mobilisés ces moyens importants ? Dans la mesure où rien ne figure, dans les conclusions du sommet de Londres, sur l’aide au développement des pays du Sud ou, par exemple, sur l’accès à l’eau pour les êtres humains qui en sont aujourd’hui privés, il est à craindre que les ressources du FMI ne soient consacrées à la lutte contre la crise financière !
Quant au plan Geithner d’apurement du secteur financier américain, il n’est rien d’autre qu’une vaste entreprise de socialisation des pertes par le biais de l’intervention publique. En effet, la décote appliquée aux créances douteuses des établissements financiers et des compagnies d’assurances américains sera supportée, pour l’essentiel, par le Trésor américain, c’est-à-dire par le contribuable et, au-delà, par l’ensemble des investisseurs qui se procurent régulièrement des bons du Trésor américain, croyant qu’il s’agit là du meilleur placement possible !
Au demeurant, M. le rapporteur a déposé et fait adopter un amendement allant dans le même sens, dont l’objet était d’insérer dans le texte un article additionnel relatif au traitement des créances bancaires. En effet, le dispositif de portage, par le Trésor public, des moins-values et des décotes affectant ces créances s’inspire tout simplement du plan « Geithner-Obama » !
Vous étiez évidemment, monsieur le rapporteur, moins favorable à l’autre amendement Obama, consistant à plafonner la rémunération des chefs d’entreprise.
M. Philippe Marini, rapporteur. M. Obama ne présente pas encore d’amendements au Parlement français !
M. Bernard Vera. Mais, comme chacun le sait, le débat a eu lieu. Le Sénat, subitement et pour une fois, s’est montré audacieux en présentant un texte législatif alors que certains avaient voulu régler le problème par le biais d’un décret de portée et de durée d’application limitées.
Les sénateurs du groupe CRC-SPG ont formulé des propositions concrètes portant sur l’ensemble de cette question. Oui, il est scandaleux et parfaitement anormal qu’un dirigeant d’entreprise puisse gagner 310 fois le SMIC ! Oui, il est scandaleux et parfaitement anormal que le P-DG d’une entreprise venant de conclure un plan social assorti de 1 600 suppressions d’emploi puisse partir à la retraite avec un bonus de 3,26 millions d’euros non imposable et non soumis à cotisations sociales ! Oui, il est anormal et scandaleux que l’on s’en remette, sur cette question essentielle pour les rapports sociaux dans une société moderne, aux seules recommandations du code éthique du MEDEF !
Les déclarations faussement naïves, dans Les Échos de ce jour, de MM. Besson et Lefebvre ne changent rien au problème : cela fait des années que les dirigeants de nos plus grandes entreprises s’auto-attribuent des rémunérations scandaleusement élevées !
Oui, enfin, il est critiquable que l’on instrumentalise les difficultés quotidiennes de nombre de petits entrepreneurs pour masquer les comportements de ceux qui, par rapacité, sans souci de l’intérêt de leur entreprise ni du développement économique, ont fait de la nomination aux fonctions dirigeantes un parcours de chasseurs de primes !
Le texte de l’amendement présenté par Jean Arthuis, modifié au fil du débat et encore une fois en commission mixte paritaire, représente une première étape.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Merci !
M. Bernard Vera. Même si nous sommes encore loin du compte, il constitue effectivement une phase intéressante d’un débat qui, de toute manière, n’est toujours pas achevé, puisqu’il traverse l’ensemble du corps social, de plus en plus rebelle au discours convenu de l’économie libérale. C’est d’ailleurs, en définitive, l’état de l’opinion qui vous a conduits à faire ce pas.
Avant de conclure, j’évoquerai encore le bouclier fiscal et l’impôt de solidarité sur la fortune.
À nos yeux, la priorité n’est pas, en matière fiscale, de réduire encore le produit de l’impôt de solidarité sur la fortune en doublant le plafond des sommes déductibles au titre de l’investissement dans les PME.
Ce dispositif est en effet la forme la plus aboutie d’un gaspillage de ressources fiscales pour un effet de levier particulièrement limité : 650 millions d’euros de réductions d’impôt sont attribués à quelque 20 000 contribuables très fortunés tout au plus, pour un investissement total de 1 milliard d’euros dans les PME.
M. Philippe Marini, rapporteur. Sans ce dispositif, d’où viendrait cet argent ?
M. Bernard Vera. On ne fait pas mieux comme gâchis !
En définitive, rien, dans la lettre comme dans l’esprit de ce collectif budgétaire, ne semble de nature à faire évoluer notre position de fond. Nous ne voterons donc pas le texte issu des travaux de la commission mixte paritaire !