Loi de finances rectificative pour 2004

Publié le 17 décembre 2004 à 00:00 Mise à jour le 8 avril 2015

par Marie-France Beaufils

Une dépêche laconique de l’A.F.P. nous est parvenue hier : le ministre annonçait qu’une « réserve de précaution de 4 milliards d’euros sera effectuée sur le budget de l’État en tout début d’année 2005 afin de pouvoir maintenir la stabilité des dépenses de l’État d’une année sur l’autre ». Quel sens la discussion budgétaire a-t-elle encore ?

 D’autant que vous modifiez la loi organique pour prévoir les gels, ministère par ministère - des gels de « précaution »…

 Ce projet de loi de finances rectificative s’inscrit dans la droite ligne de la loi de finances initiale. Les mesures de simplification fiscale ne bénéficient qu’aux plus aisés ; mais la pauvreté et l’exclusion gagnent du terrain, comme le dénoncent l’UNICEF, le Secours populaire ou le Secours catholique.

 La précarité progresse, touchant de plus en plus d’enfants. Les politiques de l’emploi ne répondent qu’aux attentes du Médef, tandis que l’on exige des efforts de tous, notamment en remettant en cause des garanties collectives.

 L’évolution du pouvoir d’achat est si préoccupante que le précédent ministre des Finances avait demandé aux grandes surfaces de baisser leurs prix - mais les loyers augmentent continûment. Comment un salarié payé au S.M.I.C. peut-il faire face à ses obligations et faire vivre sa famille ? On ne verse plus les A.P.L. lorsqu’elles sont inférieures à 24 euros par mois - trop lourd à gérer ! Pourtant, 288 euros par an, pour ces foyers, ce n’est pas négligeable.

 Quand vous parlez annulations de crédit, rationalisation des dépenses, ou que vous évoquez, monsieur le Ministre, la loi organique sur les lois de finances comme une « révolution » qu’il faudrait faire connaître aux Français, vous oubliez quelques détails importants.

 C’est que votre souci de dépenser à l’euro près se traduit ici par une fermeture de classe, là par la disparition d’une option ou d’une formation dans un lycée professionnel… Quand ce n’est pas tout l’établissement qui disparaît, comme c’est le cas dans une commune d’Indre-et-Loire. Je pourrais citer également la voirie mal entretenue, le retard dans la construction de logements sociaux. En outre, les collectivités préfinancent des actions en s’exposant à des gels, annulations ou reports de crédits…

 La voilà, la réalité de la régulation budgétaire, que vous qualifiez de bel outil.

 Cette loi de finances rectificative confirme aussi la remise en cause de la politique d’intermodalité des transports urbains, l’abandon de projets ferroviaires, comme la réouverture de la ligne Chartres-Orléans, réclamée par tous les élus de la région Centre.

 La loi de finances rectificative poursuit la dégradation des transports collectifs en Ile-de-France, où il confirme le retard pris dans le renouvellement du matériel roulant ou la programmation de nouvelles dessertes. C’est vrai du tramway, des contrôles en sites propres, du réseau ferré !

 Le gouvernement se félicite de réduire le déficit comptable, mais il ne diminue pas le déficit social de sa politique !

 Vous dites que l’État n’a plus les moyens de poursuivre une action budgétaire que vous présentez comme une exception française. Peut-être, mais cet héritage de la Libération a permis le développement de notre pays !

 Depuis deux ans et demi, vous avez réduit l’impôt sur le revenu acquitté par les ménages les plus aisés, ainsi que l’impôt sur les sociétés.

 Cette démarche n’a de sens que pour les sociétés transnationales et les acteurs financiers qui poussent à la destruction des services publics, exigent des rendements de 15 % à 20 % et confisquent le produit de l’effort collectif !

 L’inventaire infini des dispositions en apparence techniques de ce collectif montre l’aggravation de la financiarisation à l’œuvre dans l’espace européen. Des exemples ? L’extension de l’exonération de retenue à la source sur des dividendes versés à des sociétés d’États membres de la Communauté européenne ; l’assouplissement des transferts des déficits lors de fusions. Encore une fois, vous écoutez les entreprises, notamment transnationales, pourtant largement bénéficiaires des dernières lois de finances, particulièrement en 2004. Tout se passe comme si notre législation fiscale était continuellement au service des restructurations capitalistiques dans notre pays et dans l’espace économique européen.

 L’amendement de la commission des Finances destiné à supprimer l’imposition des plus-values de cession d’actifs des entreprises en est une parfaite illustration : certains voudraient laisser les détenteurs de titres jouer au Monopoly avec les emplois, équipements, usines et bureaux sans rendre de compte à la collectivité, même lorsqu’ils imposent des plans sociaux, afin d’accélérer le retour sur investissement.

 L’agenda 2005 du Premier ministre aggrave la logique à l’œuvre depuis deux ans et demi : il met en cause la réduction du temps de travail, accroît la précarité, le travail du dimanche et les formules d’emploi sous-qualifiées !

 Pour couronner le tout, M. Dutreil, ministre de la Fonction publique - pour qui la fonction publique compte « 500 corps morts » à liquider - ne propose, après plusieurs années de gel des rémunérations, qu’un demi à huit-dixièmes de point de revalorisation !

 Combien oublier que l’inflation est prévue à 1,7 % en 2005 d’après la loi de finances, après environ 2 % en 2005 ?

 À l’opposé, les patrons du CAC 40 voient leur rémunération annuelle enregistrer systématiquement une progression à deux chiffres !

 Cette comparaison résume ce projet de loi de finances rectificative.

 Le déficit est en baisse, grâce aux plus- values fiscales, que l’on aurait parfaitement pour inscrire dans la loi de finances initiale. S’ajoute une exécution budgétaire marquée par le triptyque « gel- annulation-validation » que nous voyons à l’œuvre chaque année dès que la loi de finances initiale est votée.

 Quelle est votre conception du rôle des Assemblées parlementaires ? La loi de finances rectificative 2004 comprend ainsi une annulation de crédits ordinaires des services civils pour 1 600 millions d’euros, soit 20 % des mesures nouvelles votées à l’automne. D’ailleurs, en dehors de l’ajustement sur les crédits des charges communes, éminemment liés à la croissance pour les remboursements et dégrèvements fiscaux, la ponction atteint 484 millions d’euros dans les crédits d’intervention publique, soit plus de 12 % des mesures nouvelles de l’exercice.

 Comment ne pas souligner encore, que les ouvertures prévues portent essentiellement sur des dépenses manifestement sous-évaluées à l’origine, comme la solidarité nationale, la compensation des charges transférées aux collectivités locales ou les exonérations de cotisations sociales des entreprises ? Pourquoi ce mensonge permanent qui laisse peser sur l’exécution de ces dépenses le risque des insuffisances de recettes ?

 Mais votre annonce pour 2005 atteint des records.

 Les mesures nouvelles en dépenses ordinaires comportent des ouvertures pour deux milliards d’euros. Sur les dépenses en capital, les crédits de paiement sont en hausse de 2,6 milliards avec les reports de crédits. Et voilà que vous annoncez une « mise en réserve » de quatre milliards, par « précaution », dès janvier !

 Pourquoi solliciter la représentation nationale pour discuter les lois de finances ?

 En tout état de cause, les ministres agissent sans tenir compte de l’avis des parlementaires.

 Ce collectif budgétaire ne peut donc recevoir notre assentiment.

Marie-France Beaufils

Ancienne sénatrice d’Indre-et-Loire
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