Loi de finances rectificative 2005

Publié le 19 décembre 2005 à 07:57 Mise à jour le 8 avril 2015

Monsieur le Président,

Monsieur le Ministre,

Mes chers collègues,

Ce projet de loi de finances rectificative pour 2005 présente, sous nombre d’aspects, les mêmes défauts que ceux que nous avons déjà pu constater lors des lois de finances rectificatives depuis 2002.

Premier de ces défauts : le caractère affirmé de ‘ voiture balai ‘ du texte soumis à l’examen de notre Haute Assemblée.

Le projet de loi initial comportait 44 articles, dont certains doublonnant d’ailleurs les termes du projet de loi de finances initiale...

Et le texte issu des travaux de l’Assemblée en comporte près de 100, dont 16 ajoutés, soit directement par le Gouvernement, soit à la demande du Gouvernement, en fin de texte, sur les sujets les plus divers.

A combien d’articles allons nous nous arrêter ?

Déjà, le même phénomène a été constaté les années précédentes.

La loi de finances rectificative pour 2004 comportait ainsi 60 articles à l’origine et nous sommes parvenus à un texte promulgué de 137 articles, après une première lecture Assemblée nationale qui avait arrêté le compteur à 102.

La loi de finances rectificative pour 2003 s’appuyait sur un texte initial de 49 articles, et nous sommes parvenus à un texte de 77 après la lecture Assemblée nationale, avant de parvenir à un texte promulgué de 104 articles.

Nous faisons donc peu à peu des lois de finances rectificatives de plus en plus longues et de moins en moins cohérentes, d’autant qu’une bonne partie des dispositions qui sont votées, au fil des ans, sont d’une application parfois complexe pour les contribuables auxquels elles sont censées s’adresser.

Cette dérive qui consiste à faire du collectif de fin d’année une sorte de session de rattrapage de toutes les mesures qui n’étaient pas prêtes au moment voulu ( c’est-à-dire lors de la discussion des lois spécifiques à tel ou tel domaine législatif ou lors de la loi de finances initiale ) ne peut plus être acceptée.

D’autant que la portée des mesures votées n’est parfois pas tout à fait secondaire, comme peuvent le montrer par exemple l’abrogation de la loi sur le contrôle des fonds publics versés aux entreprises ou la réforme de l’aide médicale d’Etat.

Toutes mesures qui, dans ce cas précis, ont d’ailleurs prouvé leur inefficience, au regard notamment de ce qui se passe sur le front de l’emploi dans bien des entreprises et de ce qui se passe sur la question de la santé publique.

Un des premiers motifs d’adoption de cette question préalable pourrait donc être le refus de cet empilement législatif, ce feuilletage incohérent en apparence qui encombre peu à peu notre législation fiscale et financière et finit par la rendre illisible.

Mais la seconde raison qui peut fort bien motiver cette question préalable est le contenu même de la loi de finances rectificative tel qu’il nous laissé l’occasion de le lire, au travers des différents articles.

Premier point essentiel : l’amélioration du déficit budgétaire pour un peu plus d’un milliard d’euros ne doit rien à l’amélioration de la situation économique.

En effet, nous constatons une contraction des recettes fiscales nettes de l’Etat, affectant notamment la taxe intérieure sur les produits pétroliers ( pour près d’1,1 milliard d’euros ), de la taxe sur la valeur ajoutée ( pour plus de 800 millions d’euros ) et de l’impôt sur les sociétés ( pour environ 3 milliards d’euros en net ).

Les correctifs apportés par les moindres remboursements et dégrèvements sur la taxe sur la valeur ajoutée ( moins 1,3 milliard d’euros ) montrent clairement que la croissance prévue en loi de finances initiale n’est pas atteinte.

L’INSEE confirme d’ailleurs la situation.

Alors que le projet de loi de finances initial était basé sur une croissance de 2,5 %, l’Institut nous indique que la croissance devrait atteindre 1,6 % en 2005 et flirter avec les 2 % en 2006, alors que nous venons de discuter d’un projet de loi basé sur 2,25 % !

C’est donc au travers de la minoration des dépenses publiques que le Gouvernement parvient à réduire le déficit budgétaire.

Comment dès lors ne pas prendre en compte dans cette affaire l’impact du décret d’annulation du 3 novembre dernier, qui, portant sur plus de 3 060 millions d’euros, a en réalité constitué une annulation globale des dépenses nouvelles autorisées par le Parlement à l’automne 2004 ?

Ainsi, au plein cœur de la crise des banlieues, le Gouvernement a opté pour la mise en cause de la dépense publique pour l’emploi, pour la vie associative, pour le développement des transports collectifs, pour la construction et la rénovation de logements, pour la préservation du patrimoine culturel de la Nation, pour la prévention sanitaire, pour la formation des jeunes et des chômeurs de longue durée.

C’est à ce prix là, celui du mépris pour les besoins urgents de la Nation, des habitants de notre pays, que vous pouvez aujourd’hui nous présenter ce projet de collectif budgétaire.

Il n’y a qu’une seule chose envers laquelle vous soyez soumis : c’est la loi de la financiarisation de l’économie.

Elle se décline sous plusieurs caractères.

C’est votre soumission aux marchés financiers, traduite dans la gestion de la dette publique dont vous faites désormais l’alpha et l’oméga de votre politique des finances publiques pour les cinq années à venir.

C’est cette nouvelle série de mesures tendant à déréglementer et libéraliser certaines activités économiques stratégiques, dans le droit fil de la course éperdue à la libre concurrence voulue par les instances européennes.

C’est, à l’intérieur, ces nouveaux avantages fiscaux consentis aux détenteurs de capitaux et notamment cet incroyable article 19 du présent projet de loi qui nous invite à défiscaliser totalement les revenus tirés de la cession de titres sous conditions de détention.

Vous avez fait le choix, clair, de la financiarisation accrue de l’épargne des ménages, créant toutes les conditions possibles pour la dilapider sur les marchés financiers, en achat d’actions et de titres de sociétés.

Mais posons la question : qui, dans un pays où la moitié des contribuables ne paient pas, faute de revenus suffisants, de cotisation d’impôt sur le revenu, qui peut, consacrer plusieurs dizaines de milliers d’euros à l’épargne boursière et, surtout, avoir la patience d’attendre huit ans pour bénéficier de l’exonération intégrale de la plus value de cession ?

Certainement pas les 46 millions de Français qui optent pour le livret A et qui, contre un intérêt aujourd’hui limité à 2,25 %, recherchent d’abord et avant tout la liquidité suffisante pour faire face, le moment venu, à quelques dépenses incontournables.

Les apprentis boursicoteurs, déjà échaudés par le passé sur l’achat de titres Eurotunnel, Vivendi ou France Télécom, qui ont vite compris que les actions EDF distribuées dans le public n’étaient surtout une bonne affaire que pour les intermédiaires ( 250 millions d’euros de commission versées aux établissements placiers et 1 milliard d’euros de perdus le jour de la cotation ) ne sont pas légion.

Quant aux autres, ceux qui savent y faire, qui signent des pactes d’actionnaires pour échapper à l’ISF ( et aux disputes sur le montant du dividende dans les repas de grandes familles ) et qui ont les moyens d’acquérir, à chaque occasion, des titres de telle ou telle entreprise, ils vous remercient déjà de leur avoir offert pour Noël ce dont ils n’avaient jamais rêvé : une zone franche fiscale, appelée à grandir en taille et en coût pour les finances publiques, sur les revenus du capital !

Quelqu’un a dit un jour que la politique de la France ne se faisait pas à la corbeille.

La corbeille du Palais Brongniart a disparu depuis, mais nous avons fâcheusement l’impression que c’est de nouveau là que se déterminent les grands choix de la politique économique et budgétaire de ce Gouvernement !

Nous ne faisons pas de lois de finances pour les 424 000 foyers fiscaux dont le revenu est en moyenne, majoritairement composé d’autres éléments que de revenus salariaux et qui dépassent le seuil de 78 000 euros annuels !

Nous ne faisons pas de loi de finances pour plaire à quelques familles domiciliées entre Passy et l’Ecole Militaire ou logeant près des Sablons, et qui n’attendent qu’une chose de la discussion du budget, c’est-à-dire de savoir quelle sera la nouvelle niche fiscale dont ils pourront bénéficier !

Cela fait plusieurs jours que le Gouvernement se répand dans la presse sur la dette publique qui aurait, si l’on était honnête, atteint le seuil de 2 000 milliards d’euros...

Même si cette analyse mélange ce qui est la dette publique ( l’encours des obligations d’Etat et des Bons du Trésor ) avec les retraites de la fonction publique que l’on devrait verser dans les vingt cinq années à venir, elle ne supporte pas très longtemps l’analyse.

Cela fait des années et des années que la dépense fiscale et les allégements d’impôts sont largement utilisés comme éléments de la politique budgétaire et économique.

L’Etat ne fait qu’accompagner le mouvement de l’économie dans son ensemble, et se refuse désormais à y jouer un rôle moteur.

Illustre ce choix la poursuite de la grande braderie des entreprises publiques dont le coût progresse année après année.

La vente à l’encan de la participation de l’Etat dans les autoroutes, avec une moins value nette et immédiate de 8 milliards d’euros ( près de 20 % du déficit 2006 ! ), les pertes constatées sur la cession partielle d’EDF, les emplois supprimés en masse dans les entreprises privatisées depuis 1993 ( voyez Alstom ) sont autant de preuves patentes de ces faits.

La dépense fiscale est en phase continue de croissance, elle, sans que cela n’ait d’impact patent sur l’activité économique ( dans le cas contraire, les indices auraient un autre caractère ).

Prenons celle concernant l’impôt sur le revenu.

La masse des mesures dérogatoires s’élève à près de 43 milliards d’euros.

Pour plus de 6 milliards, ces sommes sont consacrées à alléger la fiscalité de l’épargne spéculative.

Des engagements équivalents sont pris pour les revenus d’activité non salariée tandis que les revenus fonciers, nonobstant le report des déficits, jouissent de 1,8 milliard d’euros de dispositions spécifiques.

Pour l’impôt sur les sociétés, dont le projet de loi fixe le produit net à moins de 40 milliards d’euros, les dispositions ‘ dérogatoires ‘ représentent un coût supérieur à 20 milliards d’euros, essentiellement pour servir les intérêts des grands groupes !

Et l’impôt de solidarité sur la fortune n’échappe pas à cette règle avec 640 millions d’euros de ‘ correctifs ‘ divers, soit le cinquième du produit constaté !

Ce ne sont là que les mesures dont le coût est chiffré, convient il de le souligner mais c’est là la source essentielle du déficit public dont on nous rebat les oreilles depuis plusieurs jours.

Ce déficit public, cette dette publique que vous laissez croître en feignant de la réduire, ne sont pas utiles à la vie économique et sociale.

Ils sont marqués du sceau de votre allégeance aux desiderata des marchés financiers et du MEDEF.
Continuer dans cette voie, et ce collectif y participe, est ruineux pour l’argent public et porteur de profonds déséquilibres à terme dans la vie économique et sociale du pays.

Nous ne pouvons donc qu’inviter le Sénat à voter cette question préalable.

Bernard Vera

Ancien sénateur de l'Essonne
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